Accueil | Politique-Société | [Réfugiés du Luxembourg] Robert, du Togo, s’estime « chanceux d’être en vie »

[Réfugiés du Luxembourg] Robert, du Togo, s’estime « chanceux d’être en vie »


Robert Bodja a pu reconstruire sa vie, avec sa famille, au Luxembourg , après des années d'attente. (photo François Aussems)

Chaque semaine cet été, Le Quotidien rencontre d’anciens demandeurs d’asile qui ont (re)construit leur vie au Luxembourg. Aujourd’hui, Robert Bodja, ancien journaliste, qui a fui le Togo pour s’installer au Luxembourg, où il a mis six longues années avant d’obtenir le statut de réfugié.

Robert Bodja a quitté le Togo pour échapper à une dictature qui laissait peu de place à ses opposants. Depuis, il a fait sa place au Luxembourg en multipliant les projets et en s’investissant pour la communauté.

Dans les années 90, le Togo a vécu une période trouble. Avec un président inamovible au pouvoir et des velléités de démocratie au sein de la population. C’était particulièrement le cas pour Robert Bodja, journaliste de formation qui s’est engagé pour un multipartisme au Togo. Un souhait somme toute légitime vu d’Europe, mais qui en Afrique n’allait pas de soi. «Avec des amis, nous nous sommes formés en petits groupes pour changer les choses. C’est là que les problèmes ont commencé. Des collègues ont été tués, et je n’ai pas eu d’autre choix que de partir au Bénin en 1991», raconte Robert Bodja.

À cette époque, il a 30 ans et le Bénin se trouve être le pays le plus proche, mais pas le plus sûr. Le président du Bénin était alors très proche de celui du Togo. Il n’était qu’une question de temps avant que Robert Bodja ne soit rapatrié dans son pays, où un sort funeste l’aurait attendu. Mais heureusement, c’est par un ami de son père, proche de l’organisation Amnesty International que Robert arrive au Luxembourg, sans trop savoir comment ni pourquoi au final : «Cela s’est fait très vite, en quelques jours, car ma sécurité n’était pas assurée au Bénin.» Le jeune homme laisse alors derrière lui sa famille, mais surtout sa femme qui accouche alors sans lui de leur premier enfant, une petite fille… Qu’il ne verra pour la première fois que six ans plus tard.

Six ans sans réponse de l’administration

Si l’arrivée au Grand-Duché s’est fait très rapidement, on ne peut pas en dire autant du dossier de demande d’asile. Robert Bodja est en effet resté six ans sans réponse de l’administration luxembourgeoise, une attente insupportable car ce statut l’empêche de travailler, d’étudier, de s’installer, bref de vivre.

Les mois s’enchaînent et il faut trouver de quoi s’occuper : «Les journées étaient longues, alors pour m’occuper j’ai commencé à apprendre l’allemand (NDLR : le Togo est un pays francophone), je ne voyais au début pas l’intérêt d’apprendre le luxembourgeois, tout simplement parce que je ne savais pas si j’allais pouvoir rester dans ce pays. Puis j’ai intégré l’équipe de foot du village près de mon foyer, et c’est là que j’ai commencé à être entouré de Luxembourgeois, ça a été le déclic pour apprendre la langue! Je ne comprenais pas ce que disait l’entraîneur, j’ai donc commencé à apprendre la langue, en plus de l’allemand.»

Le déclic pour apprendre la langue

Petit à petit, l’intégration se fait malgré la précarité de son statut, lui qui attend toujours une décision de l’administration. Il commence à militer dans les associations, contre la torture puis à l’ASTI (Association de soutien aux travailleurs immigrés). Trois ans après son arrivée en foyer, le ministère de la Famille le missionne, lui et un groupe de demandeurs d’asile, de rénover leur foyer, sous le contrôle d’un peintre professionnel.

Ils acceptent avec joie : «Enfin, une occupation! Ils étaient tellement contents de notre travail qu’on nous a demandé de repeindre un autre foyer. Nous n’étions pas rémunérés, le ministère a dû faire une dérogation en créant à la hâte un service technique, histoire d’être protégés par une assurance. Nous avions quelques jetons en plus à la fin du mois, ce qui était déjà pas mal.» Parallèlement à ces travaux de peinture, il continue les cours de langue, et passe le certificat de Cambridge en langue anglaise.

La vie d'avant, au Togo.

La vie d’avant, au Togo.

Puis au bout de cinq ans, soutenu par les ASBL, il demande des explications au ministère qui lui rétorque que son dossier a tout simplement été égaré! «C’était le retour à la case départ, il fallait tout recommencer. Heureusement, le personnel me connaissait déjà bien et m’ont assuré que ce ne serait qu’une formalité. Il a quand même fallu attendre une année supplémentaire.» Mais le 10 juillet 1997 est une date qui restera gravée dans l’histoire de Robert Bodja, celle où il a obtenu officiellement son statut de réfugié au Luxembourg. «C’était une telle joie! J’avais enfin un avenir ici, j’ai pu avoir un emploi que j’ai trouvé à l’ASTI.»

Il faut encore quelques mois pour que sa femme et sa fille puissent le rejoindre. Pendant toutes ces années, la communication a été difficile : «J’enregistrais tous les jours sur une cassette audio, jusqu’à ce qu’elle soit pleine, puis je l’envoyais par courrier. A l’époque, le téléphone était trop cher.» Car menacée également au Togo, la femme de Robert Bodja a fui au Bénin pendant ces années. Elle y restera jusqu’à l’autorisation de pouvoir venir au Luxembourg, au mois d’avril 1998. C’est alors à l’aéroport de Luxembourg que Robert rencontre pour la première fois sa fille, alors âgée de six ans.

Une relation apaisée avec le Togo

Toujours positif, Robert préfère parler de l’avenir et de ses multiples projets : «Je m’estime chanceux d’être en vie, je pense qu’on peut toujours se reconstruire, sans pour autant oublier le passé.» Aujourd’hui, la famille s’est agrandie de deux autres enfants, nés au Luxembourg. Tout le monde est luxembourgeois, Robert ayant obtenu la nationalité en 2000, après cinq ans passés avec le statut de réfugié.

Robert Bodja anime aujourd'hui un groupe de gospel pour seniors.

Robert Bodja anime aujourd’hui un groupe de gospel pour seniors.

Musicien et plus particulièrement batteur, il monte son propre groupe en 1995. Cette année-là, le Luxembourg était la capitale européenne de la culture. Nostalgique de la culture africaine, il souhaite faire partager au plus grand nombre sa passion. Il monte ensuite un atelier de gospel au centre du Rham pour personnes âgées en 2005. Et alors que pour ces seniors luxembourgeois, le gospel est un univers qui leur est étranger. L’atelier est un véritable succès qui mène le groupe… jusqu’à la Philharmonie! «Il y a un véritable enthousiasme autour de ce groupe, c’est aussi un lieu d’échange. Et puis pour ces personnes âgées, cela leur donne un objectif, cela les fait avancer.»

Aujourd’hui, sa relation avec le Togo est apaisée. Il y retourne en 2004 pour la première fois, puis depuis une année sur deux en vacances. Compte-t-il y retourner à plus long terme? «J’y pense toujours, mais il va falloir voir sur le terrain. Je suis fier que la démocratie commence à s’installer au Togo. Je veux contribuer à mon pays, comme j’ai contribué au Luxembourg, notamment à travers l’accompagnement des personnes âgées avec un foyer. Pour cela, je prépare une formation d’éducateur.» Il n’est pas prêt de s’arrêter.

Audrey Somnard

Le Togo, difficile démocratie

Un des organisateurs du coup d’État de 1963, Gnassingbé Eyadema accède à la présidence de la République en 1967. Tirant les leçons des divisions constatées dans le cadre du multipartisme, il crée le Rassemblement du peuple togolais (RPT), un parti unique et d’État. Il est ensuite réélu en 1986.

En 1990, à la suite de violentes manifestations, suivies d’une conférence nationale, un Premier ministre issu de l’opposition, Maître Joseph Kokou Koffigoh, est nommé. L’adoption d’une nouvelle Constitution en 1992 n’apaise cependant pas les tensions.

En 1993, Eyadema remporte de nouveau l’élection présidentielle boycottée par l’opposition. Proche de la défaite, il remporte l’élection de 1998 dans des conditions très controversées.

Gnassingbé Eyadema est réélu en 2003 à la suite d’un changement dans la Constitution pour l’autoriser à se présenter à nouveau.