La réforme du renseignement s’annonce plus compliquée que prévu : le projet de loi relatif n’a pas convaincu le Conseil d’État, mais les attaques terroristes en France ont bouleversé la donne.
Rembrandt, « La Ronde de nuit ». D’après le Conseil d’État, le projet de loi en discussion permettrait de « poursuivre les errements du passé ». (Photos : AFP)
Pur produit de la guerre froide, c’est par devoir d' »allégeance » envers l’OTAN que le Luxembourg crée le 30 juillet 1960 le « Service de renseignements ». Avant que la chute du Mur de Berlin et la normalisation des relations Est-Ouest ne viennent changer la donne après 45 ans d’opposition frontale.
Puis il y a les attentats du 11 septembre 2001 avec, derrière, le « spectre du terrorisme international », qui, comme le résume le Conseil d’État, « alimentait le souhait politique d’impliquer le service de renseignements dans la lutte préventive » pour empêcher d’autres attentats.
Pour beaucoup, dont Gérald Arboit (lire son interview demain dans Le Quotidien), un historien français spécialiste des services secrets, le 11-Septembre correspond à un acte « salvateur » pour les services de renseignements, dont celui du Luxembourg, négligé depuis la fin de la guerre froide et de fait à toutes fins utiles, comme le montrera la suite.
> Aucune emprise
Sa réforme, inscrite dans la loi du 15 juin 2004, trois ans après les attentats de New York, mais en pleine guerre d’Irak, quelques mois seulement après la capture de Saddam Hussein, obéit donc davantage aux exigences du milieu du renseignement qu’à une feuille de route du gouvernement.Laquelle ligne de conduite n’a probablement jamais existé.
Cette réforme, comme le rappellent les Sages dans leur avis, a pour but de moderniser les « missions » du renseignement, en les adaptant aux exigences de l’époque, de définir ses « moyens » (le nombre d’agents sera fixé à 60), d’expliquer ses « modes opératoires » et d’instaurer un « contrôle parlementaire » ou commission de Contrôle, présidée par les chefs de fraction.
Mais la révélation, en 2012, de l’enregistrement secret par Marco Mille, ancien directeur du SREL, d’une conversation de ce dernier avec le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, en 2008, ne donne pas seulement l’impression qu’il y a quelque chose qui cloche dans ce service, mais encore que le contrôle légal, parlementaire, auquel on le croyait soumis n’a visiblement pas fonctionné, pire, qu’il n’a aucune prise sur lui.
On ne sait pas encore à ce moment-là ce que l’on sait depuis grâce aux travaux de la commission d’enquête parlementaire mise en place le 4 décembre 2012. Tout ce que l’on sait, c’est que le Premier ministre a été mis sur écoute (prétendument pour reconstruire le contenu d’une conversation que le chef du gouvernement a eu avec le Grand-Duc).
On notera au passage le dédoublement ici observable : l’écoute scandaleuse au premier plan, révèle un autre scandale, qui concerne la population luxembourgeoise pendant la guerre froide. Car dans son entrevue avec le Premier ministre, Marco Mille révèle l’existence de 300 000 fiches stockées dans les caves du SREL.
Et c’est en réaction à ces « révélations par la presse » que la Chambre des députés entreprend « l’instauration d’une commission d’enquête » dont la mission est d’examiner les « méthodes opératoires » du renseignement luxembourgeois « depuis sa création ». Ce n’est qu’en cours d’enquête que les multiples autres déviances manifestes du SREL sortiront au grand jour.
L’avis que le Conseil d’État a rendu le 19 décembre sur le projet de loi, visant à « remplacer le cadre légal créé par la loi modifiée du 15 juin 2004 », compte huit oppositions formelles. Dans le cadre de leur évaluation, les Sages se sont essentiellement basés sur les recommandations du rapport de la commission d’enquête, présidée par le socialiste Alex Bodry. Les membres du Conseil d’État s’étonnent d’abord de ce que ni la commission d’enquête ni le gouvernement « n’entendent apparemment remettre en cause l’utilité d’un service étatique chargé du renseignement ».
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Que l’avis remette en cause l’utilité du SREL peut sembler plus naïf maintenant qu’avant l’attentat contre Charlie Hebdo. En tout cas, le gouvernement a déjà annoncé son intention de passer outre les deux oppositions formelles concernant le nombre d’agents dont doit disposer le SREL, qui devra passer de 60 à 65.
Le contexte ressemble donc étrangement à celui de la première réforme du service de renseignement, en 2004, en réponse aux attentats du World Trade Center.
Dans son avis, le Conseil critique vertement le gouvernement, en qualifiant le projet de loi de « nouveau cadre légal permettant de poursuivre les errements du passé ».
En effet, constatent les Sages, il ne prend que « très partiellement » en compte les « modifications législatives parallèlement suggérées par la commission d’enquête ».
De notre journaliste Frédéric Braun
L’intégralité de notre dossier de deux pages « Réforme du SREL » est à retrouver dans notre édition papier du Quotidien du jeudi 5 février.