À trois semaines du référendum, Altay Manço craint un bug démocratique. Selon ce chercheur au Centre d’étude et de formation interculturelles et sociales (Cefis), il y a urgence à améliorer la participation politique des étrangers, qui reste marginale à la différence de leur poids démographique. Le sujet vient de faire l’objet d’une étude du Cefis. Mais, nuance Altay Manço, encore faut-il que les étrangers le veuillent.
Le Quotidien : La moitié des étrangers disent vouloir s’inscrire sur les listes électorales pour les communales. Pourtant, dans la réalité, ils n’étaient même pas 20 % à l’avoir fait en 2011. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Altay Manço : La plupart de ces étrangers savent qu’ils devraient voter. Après tout, certains peuples n’ont même pas ce droit. Eux l’ont. Et pourtant ils ne s’en servent pas. Ils disent vouloir participer, et je pense que la réponse est sincère, mais le jour venu, ils trouvent une excuse. Car ils ne font pas le lien entre leur intérêt et la participation politique.
Une cause serait notre société « assurantielle », dites-vous…
Oui. Par contre, comme ce sujet sort de l’étude elle-même, je précise que je m’exprime en mon nom, pas en celui du Cefis. Donc, en effet, les gens ont l’impression d’être assuré, protégé, car on vit dans un pays calme, où le niveau de vie est très élevé. Donc, les gens se disent : « Mon intérêt est de garder mon boulot, d’éduquer mes enfants… En quoi le fait de voter pour untel ou untel va changer cela? » Le problème commence lorsqu’on n’arrive plus à trouver son intérêt dans l’offre politique.
La participation des étrangers ne peut donc que s’améliorer?
Oui. Et c’est déjà le cas. Le Luxembourg se réveille à l’intérêt de voir les résidents étrangers participer à la chose politique. Les choses bougent, y compris parmi les étrangers : une partie commence à s’y intéresser et à participer. Mais cela reste une minorité, à peine une personne sur cinq.
Il est risqué de généraliser la problématique, avec plus de 150 nationalités au Luxembourg…
Évidemment. On le voit bien, il y a déjà une différence entre Européens et non-Européens, mais aussi entre les pays européens et entre les membres des communautés. Par exemple, on note que la population italienne est plus politisée que la population portugaise. Pourquoi? La réponse est complexe et je ne veux stigmatiser personne, mais au niveau tendanciel, peut-être que les Portugais se complaisent davantage dans des formes de vie associative interne à la communauté, tandis que les Italiens sont plus dans la participation politique, l’assimilation à travers les syndicats, etc.
Votre étude est clairement orientée et milite pour la participation politique des étrangers.
En effet. Notre travail a une orientation : créer plus d’intégration, de justice, d’égalité dans la société. On ne s’appelle pas pour rien Centre d’étude et de formation interculturelles et sociales! On veut vulgariser ce qui est complexe pour les acteurs du milieu social, leurs donner des outils. Car si la moitié de la population ne vote plus, on a un véritable problème…
Pensez-vous que l’on risque un bug démocratique?
Oui. Ce n’est pas juste par gentillesse qu’il faut accorder le droit de vote aux étrangers. Il en va de l’intérêt du fonctionnement de la machine collective! Il y a maintenant plus de 45 % de résidents étrangers au Luxembourg. Et regardez dans la capitale, c’est carrément plus de 70 % de résidents étrangers. Or si un jour, il n’y a plus qu’une minorité de résidents qui décident pour ce pays, les décisions ne seront plus pondérées et équilibrées, car une majorité sera hors-jeu… Ce n’est alors plus une démocratie, c’est Dubai! Pour un pays qui est au cœur de l’UE et qui essaie d’exporter ses valeurs, cette situation est inadmissible.
Certains voient dans le référendum un calcul politique visant à sonder et récupérer cet électorat étranger potentiel…
Les partis politiques ne sont évidemment pas en reste. Ils veulent être démocratiques, mais ils sont aussi prudents. Ils ne vont pas pousser au changement si cela peut les desservir aux élections suivantes. J’ai passé l’âge de croire au père Noël : les gens bougent par intérêt, comme le confirme notre étude. Il en va de même pour les partis politiques, c’est naturel.
Mais ce n’est pas si simple… Par exemple, imaginons que la plupart des étrangers d’origine portugaise votent social-démocrate. Ce parti aurait intérêt à être pour l’ouverture du droit de vote, vu le poids de la communauté portugaise. Mais en même temps, peut-être qu’ils perdraient des votes, avec des électeurs qui glisseraient à droite, vers des groupes plus identitaires… Ils doivent donc calculer si gagner 3 % avec les étrangers ne leur fera pas perdre 5 % avec le départ d’électeurs…
Donc, l’ensemble des partis a raison d’avancer de manière prudente. Je trouve que cela les honore. Notre système politique est lent, il s’adapte, il est plus réformateur que révolutionnaire. Et peut-être que de fonctionner par à-coups, de tester des choses, c’est plus sain que la précipitation.
Propos recueillis par Romain Van Dyck