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Reclassement professionnel : « Une loi à gros problèmes »


"L'OGBL a eu l'impression que le ministre Nicolas Schmit n'avait pas la volonté de créer un statut pour tous les reclassés", estime Carlos Pereira. (Photo : Alain Rischard)

Membre du bureau exécutif de l’OGBL, Carlos Pereira appelle d’urgence le gouvernement à revoir sa loi sur le reclassement professionnel.

Une délégation de l’OGBL, menée par le syndicaliste, rencontrera jeudi les ministres du Travail, de la Sécurité sociale et de la Santé, afin de convaincre le gouvernement qu’il fait fausse route sur la question du reclassement professionnel.

Vous avez (enfin) obtenu une entrevue avec les trois ministres compétents en matière de reclassement professionnel. En quoi cette loi, entrée en vigueur le 1er janvier 2016, est-elle imparfaite?

Carlos Pereira : Pour bien cerner les aberrations de cette loi, il me faut impérativement contextualiser la problématique et faire un petit retour dans le passé. La procédure dite de « reclassement professionnel » a été créée, au Luxembourg, par le biais d’une loi de 2002. Celle-ci a ensuite été amendée et adaptée, à plusieurs reprises, au fil des années. La dernière grande réforme de cette loi a été votée en 2015 et sa dernière version est entrée en vigueur au
1er janvier 2016.

Il faut savoir que cette loi s’applique d’office à tous les dossiers dont la commission mixte est saisie, aussi bien par le biais de la médecine du travail que par celui du CMSS (Contrôle médical de la Sécurité sociale).

Quel est, dans ce contexte, le rôle du médecin de contrôle de la Sécurité sociale?

Il se limite à contrôler l’état général du salarié, tandis que les médecins du travail auscultent les reclassés par rapport à leur type d’emploi. Malheureusement, le médecin du travail ne peut saisir que très limitativement la commission mixte.

Que prévoit exactement le texte de 2016?

Il s’agit d’une pure « invention luxembourgeoise », car ce type de loi n’existe nulle part ailleurs, sauf en Allemagne où existe une loi qui y ressemble, mais de très loin. Concrètement, elle vise à favoriser le reclassement interne d’un salarié, qui reste donc dans son entreprise tout en bénéficiant de certaines adaptations de ses tâches professionnelles. Cela est rendu possible par la compensation, à l’employeur ou au salarié, de la perte de productivité, par le Fonds pour l’emploi. Mais le législateur a commis une erreur, en abolissant les quotas prévus dans la loi sur les travailleurs handicapés. Avec la nouvelle loi, toute entreprise de 25 salariés – ou plus – est obligée de passer par la procédure de reclassement interne.

Quelles sont les autres aberrations du texte actuellement en vigueur?

Il attribue le statut de « reclassé » aux personnes qui sont en reclassement externe, ce qui est positif, et l’OGBL le revendiquait depuis 2002. Mais le texte ne va pas assez loin sur ce point. Pourquoi est-ce qu’une personne en reclassement interne n’aurait pas le droit à ce statut? Car une personne en reclassement interne bénéficie d’une protection de licenciement pendant un an seulement. La conversion du reclassement interne en externe est seulement possible sous certaines conditions, à savoir la faillite et le licenciement collectif pour raisons économiques.

Pensez-vous que le ministre du Travail a délibérément « omis » cette question, au moment d’élaborer son projet de loi?

L’OGBL a eu l’impression que le ministre Nicolas Schmit n’avait pas la volonté de créer un statut pour tous les reclassés. Peut-être que l’aspect financier a joué un rôle, parce qu’un reclassé interne qui perd son emploi bénéficiera uniquement du droit au chômage, mais il ne touchera pas l’indemnité professionnelle d’attente. Quant au salarié frontalier, la loi permet de se « libérer » de lui, parce qu’il va tomber dans le chômage de son lieu de résidence. Ceci dit, je reconnais que la loi sur le reclassement est une loi très « onéreuse » à charge du Fonds pour l’emploi.

Cette non-volonté des pouvoirs publics s’inscrirait donc dans les mesures d’austérité du paquet d’avenir?

À mon avis, le gouvernement a voulu stabiliser voire réduire le coût du reclassement. Cette affirmation se confirme si l’on voit que la loi de 2016 introduit la réévaluation périodique du salarié reclassé, par le médecin du travail, et la possibilité de retrait du statut si le reclassé ne remplit plus les conditions requises. En clair, avant 2016, certains reclassés qui ont rétabli leur niveau d’état de santé ont bénéficié pendant des années des avantages du reclassement, puisqu’il n’y avait pas de réévaluation régulière.

Entretien réalisé par Claude Damiani

Retrouvez l’intégralité de l’interview dans Le Quotidien papier de ce lundi