Une heure d’actualité consacrée au racisme, mercredi à la Chambre, à la suite des manifestations «Black Lives Matter». Un débat sans chiffres, sans données, qui font défaut dans le pays. Le Centre pour l’égalité de traitement (CET) pourrait y remédier.
Les témoignages ne manquent pas des victimes de racisme dont il a été beaucoup question mercredi à la Chambre des députés. Au Luxembourg, nombreux sont ceux qui ont une histoire à raconter sur le sujet. Aucun des 60 députés n’a jamais été victime de racisme, sinon peut-être ceux au nom à consonance italienne qui dans leurs jeunes années n’ont sans doute pas échappé au traditionnel «macaroni». Ce qui ne les a pas empêchés de réussir leur intégration jusqu’à atteindre les sommets de l’État.
Le Luxembourg n’est pas les États-Unis. Les différents intervenants à la tribune l’ont tous souligné. Le Luxembourg est une terre d’accueil, multiculturelle où il fait bon vivre les uns à côté des autres, comme le révèle encore le dernier sondage réalisé pour le compte de l’ASTI.
Il n’y a pas de place pour le racisme au Luxembourg, tout le monde s’accorde à le dire. Mais il existe, comme partout ailleurs, il est cependant difficile à cerner et à quantifier. «Il nous manque des chiffres, des statistiques, des données pour mieux analyser le phénomène», reconnaît Yves Cruchten (LSAP).
Il existe pourtant des données sur la discrimination homme/femme, comme le rappelle Charles Margue (déi gréng) mais pas sur le racisme.
L’heure d’actualité consacrée mercredi au sujet avait été demandée par les pirates et les chrétiens-sociaux. Paul Galles (CSV) a résumé son message en cinq points : il faut prendre les témoignages des victimes de racisme très au sérieux et les écouter, nommer clairement le racisme, analyser où le phénomène se produit, de manière individuelle mais aussi structurelle, renforcer les institutions qui protègent les victimes et enfin renforcer le potentiel d’intégration de notre société où cohabitent de nombreuses cultures. Le député chrétien-social en a profité pour déposer une demande d’interpellation au sujet de la politique d’intégration au Luxembourg.
Le député pirate Sven Clement confie avoir été effrayé en lisant les commentaires des internautes à la suite d’une émission Kloertext sur RTL télé dédiée au phénomène du racisme au Luxembourg. «Je lisais qu’il n’y avait pas de racisme au Luxembourg et si oui, qu’il s’agissait alors de racisme anti-Blancs ! Je lisais aussi que si les Noirs n’étaient pas contents de leur sort ils n’avaient qu’à repartir d’où ils venaient!», s’offusque-t-il.
Dans une motion votée par 56 voix pour et 4 contre (les voix de l’ADR), le député pirate invite le gouvernement à dresser un état des lieux concernant les politiques antidiscriminatoires dans tous les domaines et à élaborer un plan d’action national contre le racisme qui aborde des domaines tels que l’éducation, la santé, l’emploi, la police, les services sociaux, le système judiciaire, et la participation et la représentation politiques.
Une population non représentée
Sven Clement dressera une conclusion sans appel : «Nous, Luxembourgeois, vantons toujours la diversité dans tous les catalogues de tourisme et toutes les campagnes publicitaires du gouvernement, mais quand je regarde autour de moi dans cette Chambre, je ne la vois pas. Je ne vois personne qui ne parle pas le luxembourgeois, personne à la peau noire, je ne vois pas un échantillon représentatif de notre population, mais une classe de privilégiés qui n’y est pour rien mais qui est responsable pour le vivre ensemble dans ce pays.»
Le député Max Hahn déposera lui aussi au nom des partis de la majorité une résolution pour donner plus de compétences et de moyens au Centre pour l’égalité de traitement (CET) dans les prises de décision concernant la lutte contre toutes les formes de discrimination. La résolution envisage également d’augmenter la dotation budgétaire et le cadre personnel du Centre pour l’égalité de traitement. L’ADR a voté contre.
Pour Fernand Kartheiser (ADR), oser dire que 60 Blancs discutent du phénomène du racisme «c’est déjà être raciste». Le député défend bec et ongles la liberté d’expression tout comme la liberté d’un propriétaire de choisir son locataire. À ceux qui ont parlé de l’époque coloniale, «du Congo d’hier», Fernand Kartheiser leur rétorque, et surtout aux verts, qu’ils feraient mieux de penser au Congo d’aujourd’hui et à ses enfants qui extraient le cobalt nécessaire à la fabrication des batteries pour l’électromobilité. Agacements dans la salle.
«L’ADR est un parti antiraciste, mais nous refusons de réduire notre liberté au nom de la lutte contre le racisme. Nous sommes un pays d’intégration», conclut Fernand Kartheiser qui aura réussi à s’attirer les foudres des autres partis mais aussi celles de la ministre de la Famille et de l’Intégration, Corinne Cahen, comme celles de la ministre de la Justice, Sam Tanson.
Il a fallu rappeler tout l’arsenal législatif dont dispose le pays pour lutter contre toutes les formes de discriminations.
Comme le dit David Wagner : «Ce n’est pas évident de parler de racisme quand on est blanc.»
Geneviève Montaigu