Un jour de novembre 1940, Rachel Wolf, qui a aujourd’hui 93 ans, a été expulsée du Grand-Duché avec sa famille, de confession juive. Bayonne, Lyon, Casablanca et New York ont été les étapes de la fuite de cette Eschoise d’adoption.
Le Quotidien : Quels souvenirs gardez-vous du jour de votre expulsion?
Rachel Wolf : C’était le 3 novembre 1940, si je me souviens bien. J’avais 18 ans et on m’avait fait cadeau d’une belle chevalière ornée de mes initiales. Je portais également une montre simple avec un ruban en tissu noir. Lorsque j’ai descendu les escaliers pour monter dans le bus, on m’a sommée de montrer mes mains. Alors le type de la Gestapo m’a ôté ma chevalière et ma montre : je n’avais plus rien. C’était un transport de 300 juifs. Les gens nous observaient, mais à l’arrière de chaque bus il y avait deux soldats allemands avec des baïonnettes. Tout le monde se taisait.
Nous avions des sacs à dos et seulement de quoi se nourrir pour quelques jours. Cela devait être différent pour nous, enfants, mais pour nos parents qui avaient travaillé pour mettre sur pied ce qui représentait leur vie entière, laisser tout derrière eux était extrêmement éprouvant. Il y avait des bébés en sanglots dans ce bus, qui ne s’est d’ailleurs jamais arrêté lorsqu’on devait aller aux toilettes.
Que s’est-il passé ensuite?
La première nuit, on a dormi à Poitiers dans un hôtel misérable. Pendant trois jours, nous avons traversé la France entière. J’ai gardé une lettre de ma grand-mère qui ne voulait pas partir avec nous et qui a été internée à Cinqfontaines. Nous autres avons atterri à Bayonne où nous avons fini par rester trois mois. Nous avions fait le trajet jusqu’à la frontière portugaise, mais on ne nous avait pas laissé entrer. Au lieu de cela, on nous mettait dans des trains, jeunes et vieux. C’était atroce. Il y a même eu un incendie. La Croix-Rouge nous donnait du pain et du thé, mais c’était à peu près tout.
Il y eut un Monsieur Greif [Hersch] qui est mort dans notre coupé. Mon père a eu la permission d’aller à son enterrement, à Vilar Formoso (Portugal). L’épouse aussi est morte peu après. Quel homme aimable… Ils étaient réfugiés autrichiens. Lui fabriquait du chocolat qu’il vendait à des connaissances pour joindre les deux bouts. Puis, un jour, il a été décidé de nous transférer à Bayonne d’où on nous a dit de partir fin février. On n’a jamais su qui en avait donné l’ordre. C’est alors que nous avons pris un train pour Lyon, où nous sommes restés une année entière.
Comment avez-vous vécu à Bayonne?
Ni mes parents ni les autres n’ont beaucoup bougé. Ils ont tous obéi et avaient peur. On n’avait pas le droit de sortir. C’était primitif. Il n’y avait pas d’eau courante, que des constructions en bois, des tables, des bancs. On dormait sur des espèces de civières. Nous recevions des sacs blancs que nous remplissions de foin ainsi que des couvertures grises. Du coup, on souffrait d’éruptions. Mais nous étions jeunes.
Le soir, on se retrouvait entre nous. L’un jouait du violon, l’autre chantait… Cela a duré trois mois. Je l’ai mieux vécu que ma sœur, qui a développé un rhumatisme articulaire. Un certain René Nussbaum, sportif originaire d’Esch-sur-Alzette, venait lui faire des massages. Bien plus tard, elle s’est mariée et a eu des enfants. Malgré tout, son cœur continuait de lui poser problème. Cela lui venait de ce rhumatisme articulaire qui n’avait pas pu être soigné et elle en est morte, à l’âge de 64 ans seulement.
Après Bayonne, vous êtes allés à Lyon…
Ma mère nous a amenées à l’hôpital pour nous faire désinfecter. Elle tenait beaucoup à ce qu’on ait l’air net et propre. On habitait un hôtel bon marché, place Bellecour, avec d’autres réfugiés. Là, une association offrait des cours de couture et aussi de chimie cosmétique. Cela ne m’aura servi à rien du tout, mais au moins cela nous occupait. La vie était difficile. Nous n’avions pas de tickets alimentaires. Le pain, le beurre, tout cela, il fallait l’acheter sur le marché noir et cela coûtait cher.
Nous dormions à quatre dans une seule pièce, mes parents, ma sœur et moi. Il n’y avait qu’un lavabo et un réchaud à alcool. Mais en bas, il y avait un restaurant et la tenancière, qui était gentille, venait des fois nous apporter de la soupe. Un jour, mon père s’est retrouvé au milieu d’une rafle. Il voulait acheter du chocolat pour nous sur le marché noir. Il a été libéré le jour d’après. Il y eut à Lyon un abbé qui a fait beaucoup de bien pour les juifs…
Finalement, comment avez-vous réussi à quitter l’Europe?
On a reçu nos visas pour les États-Unis le jour de mon anniversaire. À Lyon, il restait le consulat américain et on a eu beaucoup de chance qu’il nous laisse entrer dans son pays avec mon père qui était déjà malade. À mon père, le monsieur a dit : « Je ne devrais pas vous le donner puisque vous êtes malade. » Puis, en nous regardant, ma sœur et moi : « C’est bon, vos deux filles pourront subvenir à vos besoins. » Cela a été une journée horrible.
Mais avant d’obtenir nos visas, il a fallu qu’on passe encore trois semaines dans un camp pas loin de Casablanca, à Aïn Sebaâ. Là, nous avons retrouvé beaucoup de Luxembourgeois. ( Elle cite ses notes ) « Le camp est sous surveillance française, le mot hygiène est inconnu. Il y a des milliers de mouches qui nous tyrannisent. » C’était insupportable. Il n’y avait aucune intimité. Enfin, en juin 1942, nous sommes arrivés à New York à bord d’un petit bateau, le Serpa Pinto.
Avant tout ce périple, à partir de quand avez-vous su que vos jours seraient en danger?
Dès les années 30, on s’est rendu compte que la situation avait changé, lorsque des juifs allemands sont venus s’installer à Luxembourg, dont de jeunes filles avec qui j’étais en classe. Nous avions une grande cave où se trouvaient des vêtements pour les réfugiés qui débarquaient sans rien, gérée par Esra (NDLR : société d’aide fondée par le Consistoire). Et puis, il y eut une association d’étudiants qui chantait « 1,2,3 t’geet e Judd kabott » (NDLR : un juif crève). Cela nous terrifiait.
Puis un jour, toutes les filles juives ont été convoquées par le directeur qui nous a annoncé qu’on n’avait plus le droit d’aller à l’école. Il fallait qu’on reste chez nous. Nous n’avions plus le droit ni d’aller au cinéma, ni d’aller au parc. Dès 1936/1937, nous écoutions les discours de Hitler et nous étions conscientes de la situation en Europe. Je me souviens qu’en 1938 on s’était réfugiés à Bruxelles par peur d’une invasion allemande. Nous aurions dû partir à ce moment-là.
Quelle place le judaïsme occupait-il dans votre jeunesse?
Nous n’étions pas particulièrement religieux, à part que nous observions les jours de fête. Ma grand-mère était une femme très sévère, très pieuse. Avant que mon père ne tombe malade, nous étions un ménage casher. Lorsqu’on mangeait de la viande, il n’y avait pas de lait sur la table. Mais ma grand-mère était beaucoup plus sévère. Elle avait sa propre nappe au bout de la table. Elle mangeait des sardines en boîte et non dans l’assiette, avec un œuf dur et du pain. Un jour, elle a estimé qu’on ne mangeait pas suffisamment casher et elle a décidé de ne plus revenir ( elle rit ). Nous allions aussi à la synagogue. Je prenais des cours auprès du Rabbi Serebrenik.
Vous viviez à Luxembourg…
J’ai fréquenté l’école primaire du quartier de la Gare où mes parents tenaient un commerce de laine en gros. Mon école, qui n’existe plus, se trouvait rue de Strasbourg. J’ai été éduqué chez les nonnes : sœur Aloysia, sœur Séraphine… Elles étaient gentilles avec nous. Au lieu des prières chrétiennes, elles nous demandaient de réciter les nôtres. J’avais une très belle écriture. J’ai écrit moi-même ma demande d’entrée au lycée. À 12 ans, ma sœur et moi avons participé au cours moyen de Serebrenik, qui nous a familiarisées avec la littérature juive. J’ai passé une belle jeunesse, au fond. Sans souci.
À la maison, quelle langue parliez-vous?
Nous parlions français à ma mère et luxembourgeois avec mon père. Mes parents parlaient yiddish entre eux pour qu’on ne les comprenne pas. Je ne le parle toujours pas, ce qui est dommage. Mais j’ai beaucoup de livres traduits d’Isaac Bashevis Singer ou de Sholem Asch. Ma mère lisait beaucoup en français. Nous avions une bibliothèque dans notre salon. J’ai lu Émile Zola à 14 ans, par exemple. Ma mère était une femme très intellectuelle, et dans sa pensée et dans son être.
Une fois à New York, comment avez-vous vécu?
Ma mère tenait absolument à ce que ma sœur, qui n’avait que 14 ans, retourne à l’école. Ma sœur faisait aussi du babysitting, tandis que moi j’ai réussi à décrocher un emploi comme tailleur de diamant, grâce à un cousin de ma mère, qui était née à Anvers. Cela m’a permis de gagner beaucoup d’argent et de soutenir mes parents auxquels ils ne restait plus grand-chose. C’était un travail qui demandait une certaine agilité : 100 pièces à un carat! Plus on travaillait et mieux c’était rémunéré. On était une vingtaine dans ce « shop » : des Belges, des Allemands, des Viennois. Tous des Européens. C’était un temps plaisant. Mon père s’est essayé à l’anglais, sans succès. Cela nous a toujours beaucoup amusées. De même que mon futur beau-père.
C’étaient de vrais Luxembourgeois pour lesquels l’anglais, ça n’allait pas du tout. C’est à New York que j’ai fait la connaissance de mon mari : un Eschois luxembourgeois ( elle rit ). Nous formions une clique de Luxembourgeois, juifs et autres. On s’est mariés et, en 1945, nous sommes retournés au Luxembourg pour rouvrir l’ancien magasin de meubles de mon mari, qui se trouvait rue du X-Septembre à Esch-sur-Alzette. Au début, je n’ai pas osé entrer à l’intérieur, car il était plein de souris. Peu à peu, mon mari a recommencé à travailler. Il s’est rendu à Malines pour acheter deux tables et huit chaises. Il fallait en effet tout recommencer de zéro.
Avez-vous eu droit à des réparations?
Rien. Pas un sou. Si on n’avait pas travaillé nous-mêmes, nous n’aurions rien. Je n’étais pas luxembourgeoise, mais apatride comme mon père. Il était né en Pologne, près de Varsovie, et était venu à Luxembourg à l’âge de 11 ans. Toutes ses demandes de naturalisation avaient été refusées, soit parce qu’il manquait quelque chose, soit parce qu’il y avait une erreur… On ne naturalisait pas beaucoup à l’époque, et je pense que cela a beaucoup peiné mon père, qui après tout avait été scolarisé à Luxembourg, avec mon grand-père employé à la manufacture de gants dans le Grund.
Avez-vous perdu des proches?
Oui, ma grand-mère, qui a été transféré à Theresienstadt avec sa sœur et la nièce de celle-ci. On l’a ensuite transportée ailleurs. Elle est morte gazée, contrairement à sa sœur et à la petite fille qui vit toujours en Israël. Elle m’a appelée il y a deux mois pour prendre de mes nouvelles. Nous avons longuement parlé ensemble.
Entretien avec Frédéric Braun
Repères
Naissance. Rachel Wolf (née Galler) voit le jour en 1922.
Nazisme. Le 30 janvier 1933, prise du pouvoir par les nazis dans la République de Weimar. Adolf Hitler est désigné chancelier du Reich.
Invasion. Le 10 mai 1940, le Luxembourg est envahi par l’armée allemande dans le cadre de l’opération «Fall Gelb». L’occupation durera de mai 1940 à septembre 1944.
Le retour. En 1946, René et Rachel Wolf rouvrent le magasin de meubles au 40, rue du X-Septembre à Esch-sur- Alzette «qui se développe et acquiert une renommée dans l’ameublement au Luxembourg» (www.wolf-moritz.lu).
Rapport Artuso. Le 10 février 2015, l’historien Vincent Artuso présente son rapport sur le rôle de la Commission administrative durant la Seconde Guerre mondiale et son implication dans les politiques antijuives du régime national-socialiste. Sur les 3 700 juifs résidant au Grand-Duché avant la guerre, 1 200 sont morts, victimes de la Shoah.
un peu comme quand le PS est arrive au pouvoir en France en 2012, des centaines de milliers de Français ont ete expulses de France suite a des persécutions nazies, des pillages nazis et des spoliations nazies par les fonctionnaires de la France.
cette Chanson n’a pas cesse d’etre chante apres la guerre. je me souviens bien avoir ete pris par des ecoliers a Hollerich chantant « 1,2,3 t’ass e Judd kapott, huelt e mat de been a a schleeft e fort » Si je pardonne au Luxembourg le comportement de certains a l’epoque vu que le pays etait Sous occupation, je ne peux pas pardonner la politique du pays ces jours ci Envers Israel. Cette politique est une continuation de la solution finale – mais cette fois ci par son propre choix. Le Luxembourg veut forcer Israel a remettre la Cisjordanie dans les mains de Terroristes Musulmans qui n’ont aucune Intention de laisser les Juifs vivre dans leur pays en paix. Il est evident que ce territoire deviendra une base tres pratique pour lancer des roquettes et obus sur tout le pays mieux que par le Gaza. Un politicien serieux devrait savoir que cette politique ne peut aboutir. elle empoisonnera les Relations entre Israel et l’Europe. Merci