Faire face au deuil d’un proche en pleine pandémie, sans pouvoir dire au revoir et privé de certains rites funéraires : une épreuve très lourde, mais pas insurmontable. Le psychologue René Langer de l’association Omega 90 apporte son éclairage.
Si la perte d’un être cher est toujours une épreuve difficile, la pandémie de covid et les restrictions sanitaires imposées aux familles compliquent considérablement le deuil, ce sentiment à la fois universel et propre à chacun.
Le psychologue René Langer de l’association Omega 90, spécialisée de l’accompagnement de fin de vie, détaille le mécanisme du travail de deuil et la façon dont les mesures sanitaires l’ont enrayé ces deux dernières années.
«Pour commencer, il faut pouvoir réaliser que la personne n’est physiquement plus là. Or, durant les premiers mois de l’épidémie, lorsque la famille arrivait sur place, le cercueil était déjà scellé.» Voir le défunt n’a donc pas été possible dans de nombreux cas. «Une première étape pourtant cruciale», note le psychologue.
Tout comme le partage des derniers instants qui a souvent fait défaut : «Les maisons de soins étaient fermées, les hôpitaux avaient restreint les visites à un strict minimum face au risque de contamination, et les proches n’ont pas pu être présents et partager des moments précieux pour le deuil : toucher l’être cher, lui dire au revoir, l’accompagner jusqu’au dernier souffle», observe-t-il.
Pour éviter ce déchirement, des chambres de fin de vie avaient été spécialement installées près de l’entrée de certains établissements de soins pour autoriser les derniers contacts, mais d’autres n’en ont pas eu les moyens. Le deuil est alors compliqué à la fois par le sentiment de culpabilité et par ce qu’on s’imagine de ces moments dont on ne sait rien.
Dans le même temps, la pandémie a aussi privé les endeuillés d’importantes ressources sur lesquelles ils peuvent normalement s’appuyer : les obsèques par exemple. Les mesures sanitaires en vigueur ont interdit tout rassemblement, ôtant à la famille le réconfort qu’elle aurait pu en tirer.
Des personnes en deuil et isolées
«C’est une cérémonie qui permet de partager son deuil, de se rappeler des moments agréables, de se soutenir les uns les autres. Mais vu le contexte, certains défunts ont dû être inhumés en présence d’une poignée de personnes seulement. Ce qui ajoute à la peine et alourdit le deuil», selon René Langer.
Sans compter que lors des périodes de confinement et de réduction des contacts sociaux, les personnes en deuil se sont retrouvées isolées, alors qu’elles auraient eu besoin d’être soutenues et entourées. Une ressource perdue là encore.
Remplacer les derniers instants
«Ce qui est important, c’est de pouvoir parler de son deuil, échanger avec d’autres personnes qui traversent cette épreuve. Nous avons des groupes pour aider ceux qui n’ont pas pu dire au revoir et en souffrent.» Lors d’ateliers, différentes pistes sont proposées pour tenter de combler les étapes du deuil qui ont été bouleversées par le covid.
«On leur demande d’apporter un objet lié au défunt et on le place au centre de la pièce, dans un cercle. Certains ont du mal à effectuer ce simple geste parce qu’il impose une distance. On rejoue ici la première étape : réaliser que la personne n’est physiquement plus là.»
Les thérapeutes peuvent aussi conseiller d’écrire une lettre au disparu, pour décrire son ressenti et combler cette envie de partager encore quelque chose avec lui. Ici, ce sont les derniers instants que l’on cherche à remplacer. La lettre peut ensuite être brûlée lors d’une petite cérémonie ou placée dans un lieu qui rappelle l’être cher.
«Il n’y a pas de raccourci possible»
«Le but est de parvenir à donner une nouvelle place à la personne qui est partie : dans nos idées, dans notre cœur. Avant, elle était là, désormais elle est intériorisée. On peut aussi lui dédier un coin de la maison, avec des photos, une bougie, une pierre», ajoute le psychologue.
Ainsi, la personne en deuil peut doucement apprendre à vivre avec ces nouveaux repères et le sentiment intense de tristesse va lentement diminuer.
Ces émotions douloureuses font malheureusement partie du cheminement et ne peuvent être contournées, selon le spécialiste : «Dans le processus de deuil, il n’y a pas de raccourci possible», tranche-t-il.
Sept universités (Belgique, France, Canada, Suisse, Espagne et Portugal ) vont analyser l’impact de la crise sanitaire sur le deuil et l’évolution des rites funéraires.
L’étude vise des personnes ayant perdu un proche depuis mars 2020 – la cause du décès ne doit pas spécialement être due au covid, vu que l’ensemble des personnes endeuillées ont été soumises aux mêmes restrictions.
Une étude canadienne a montré une augmentation de 50 % des diagnostics de deuil compliqué, c’est-à-dire qui persiste dans son intensité ou dans la durée.
Un phénomène observé au Luxembourg la première année de la pandémie : les demandes de consultation auprès d’Omega 90 avaient alors bondi, avec des hausses de 10 % certains mois.
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