Une qualité de travail stable mais toujours en deçà de l’avant-pandémie et un bien-être qui se dégrade, c’est ce qui ressort de l’étude annuelle «Quality of Work Index».
Comme chaque année depuis 2013, la Chambre des salariés (CSL) et l’université du Luxembourg ont lancé le «Quality of Work Index», une vaste enquête menée auprès d’un échantillon représentatif de salariés du Luxembourg, qu’ils soient résidents ou frontaliers, afin de déterminer le niveau de leur qualité de travail et de leur bien-être. Les résultats pour 2021 ont été dévoilés jeudi au cours d’une conférence de presse.
Il ressort de cette étude que l’indice global de qualité de travail reste relativement stable par rapport à l’année 2020, avec 53,9 points contre 53,5 l’an passé. Toutefois, certaines catégories se situent bien en dessous de cette moyenne et une baisse significative de l’indice est à noter : c’est le cas pour les plus de 55 ans (pour lesquels l’indice tombe à 51,8 sur 100) et les parents isolés (indice à 50).
En outre, si cet indice de qualité est stable par rapport à l’an passé, il reste néanmoins plus bas qu’avant la pandémie (le score se situait alors autour de 55 points et au-delà). Le taux de 2021 s’avère même être la deuxième valeur la plus basse depuis le début des mesures.
Le télétravail a permis de maintenir la situation
«La dégradation de l’évaluation de la qualité de travail globale va de pair avec la dégradation de la qualité de travail des travailleurs qui n’ont pas pu bénéficier du télétravail», relève David Büchel, conseiller de la direction de la CSL et psychologue du travail. Avant la pandémie, en effet, les rapports montraient une certaine égalité au niveau de la qualité de travail entre les salariés sur site et ceux bénéficiant du télétravail. Mais depuis la crise sanitaire, et l’augmentation du télétravail pour un certain nombre de salariés, l’écart s’est creusé et une dégradation notoire de la qualité de travail pour les travailleurs sur site est à relever. L’étude montre en effet que les travailleurs peu qualifiés, les professions à forte composante manuelle, les professions de la vente, de la restauration et des services qualifiés présentent les valeurs les plus faibles. Le télétravail n’a cependant pas non plus engendré une véritable augmentation de la qualité de travail.
«Si certains ont pu se dire que le recours massif au télétravail contribuerait à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, cette idée doit malheureusement être réfutée pour 2020 et 2021», a commenté David Büchel. «Néanmoins, le recours au télétravail permet de maintenir la situation antérieure ou du moins de ne pas la dégrader, alors que les travailleurs qui ne font pas de télétravail connaissent une dégradation significative dans ce domaine.»
Conflits entre vie privée et vie professionnelle
Quant au bien-être général et à la motivation au travail, ils chutent encore en cette deuxième année de pandémie. La charge mentale continue d’augmenter (reflet également d’un marché de plus en plus tourné vers les services et les professions intellectuelles), tout comme le risque de dépression, qui est passé de 11 % de personnes présentant un risque sévère en 2019 à 15 % en 2021. Le taux de pensées suicidaires atteint même 6,1 % en 2021, c’est le taux le plus élevé depuis que l’enquête existe.
«Les méga-tendances des dernières années se poursuivent sans relâche : l’augmentation des conflits entre vie professionnelle et vie privée atteint un sommet, avec 38,9 points en 2021, soit 25 % de plus qu’en 2014», explique David Büchel. Les risques de burn out ont également considérablement augmenté, passant de 29,4 points en 2014 à 39,3 points en 2021.
Afin d’améliorer sensiblement la qualité de travail et le bien-être des salariés, la CSL préconise la mise en place d’un certain nombre de mesures, en premier lieu desquelles la réduction du temps de travail hebdomadaire, une revendication de «très longue date mais de grande actualité», comme l’a rappelé Nora Back, la présidente de la CSL. «Le travail a pris une place déséquilibrée dans nos vies. Cette période nous a recentrés sur ce qui est essentiel : notre santé, notre famille. C’est le moment de parler d’une réduction généralisée du temps de travail. Dans les pays scandinaves, la semaine de travail a été réduite à quatre jours par semaine et l’économie ne s’est pas écroulée!» «Les entreprises peuvent mettre en place des actions sans forcément attendre le législateur», a ajouté David Büchel.
Tatiana Salvan
Un quart veut changer de travail
Pratiquement un quart des salariés (24 %) a fait part en 2021 de son intention de changer d’emploi dans un avenir proche, un record. «Avec la pandémie, beaucoup de gens se sont posé des questions sur leur vie professionnelle et ont pris conscience de l’impact de leur travail sur leur vie privée. La pandémie nous a recentrés sur nos priorités», commente David Büchel. Si cette intention était suivie d’effets, quel impact cela pourrait-il avoir sur le marché du travail luxembourgeois ? Sans être catastrophiste, il s’agit cependant de réagir face à l’éventualité de départs en masse. «Je doute que ces personnes se tournent vers les secteurs qui souffrent déjà d’une pénurie de main-d’œuvre… Il est donc très important de travailler sur la manière dont on peut offrir aux salariés un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle afin de les maintenir dans l’entreprise mais aussi d’attirer de nouveaux talents.»
«Deux jours, pas plus !»
Avec la pandémie, le télétravail a explosé. Mais celui-ci doit rester limité, selon la CSL.
Comme chaque année, le «Quality of Work Index» s’est penché sur une thématique spécifique, qui a porté cette fois-ci sur le télétravail. Le travail à distance a en effet explosé avec la pandémie, 40 % de salariés y ayant eu régulièrement recours en 2021, contre 21 % seulement en 2017.
Si la plupart de ces salariés ont estimé être bien équipés pour télétravailler (pour plus de 60 % d’entre eux) et la moitié (51%) à parvenir à séparer vie professionnelle et vie privée, 13 % ont cependant déclaré être dérangés durant le travail et 18 % devoir mener de front des tâches privées et des tâches professionnelles.
Des conditions de travail qui ont indubitablement des conséquences sur le désir ou non de travailler depuis son domicile. Ainsi, 4 personnes sur 10 sont plus favorables au télétravail qu’au travail au bureau, 3 sur 10 sont moyennement d’accord et un tiers préfère le bureau. Des avis partagés qui laissent entendre qu’un mix entre télétravail et travail au bureau serait idéal, «mais pas plus de deux jours par semaine !», prévient David Büchel.
«Le lieu de travail est aussi un lieu social, qui participe au bien-être social. De plus, recourir au télétravail à 100 % pourrait détruire localement des emplois : au bout d’un moment, le lien de proximité entre l’entreprise et le salarié se rompt, et certaines d’entre elles pourraient être tentées de travailler beaucoup plus à distance avec des personnes dans des pays lointains ou avec des contrats non salariés.»