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Protection des données numériques : des défis à relever au Grand-Duché


Le Dr Clémentine Boulanger se préoccupe de l'impact de la surveillance constante dont nous faisons l'objet. (Photo : Didier Sylvestre)

La société est désormais sous surveillance constante. La démocratie à l’ère digitale a des défis à relever, d’autant que la législation a beaucoup de mal à suivre.

Le docteur en droit Clémentine Boulanger interviendra demain lors d’une conférence sur la société de surveillance et la démocratie à l’ère de la digitalisation. Elle revient sur les dangers d’une surveillance généralisée et sur le besoin accru d’une protection de nos données personnelles. Internet, réseaux sociaux, inscription à des sites en tout genre, sondages, cartes de fidélité dans les magasins : tout est prétexte à collecter les données personnelles. «Le citoyen participe à sa propre surveillance», explique ainsi le Dr Clémentine Boulanger. Cette dernière a écrit une thèse sur la société de surveillance et son impact sur la démocratie.

Si la surveillance est partout dans notre quotidien, et sans forcément qu’on s’en rende toujours bien compte, la législation, elle, a du retard pour nous protéger. Pour le moment, en la matière, il faut s’en remettre à un règlement européen sur la protection des données qui date de 1995. Autant dire une éternité compte tenu des avancées technologiques qui sont intervenues entre-temps. Le prochain règlement européen est prévu pour… 2018 (le 25 mai). En ce qui concerne le droit pénal, il faut compter sur une directive, mais elle protège encore moins les données personnelles.

«Il y a un réel manque d’harmonisation sur la question», note Clémentine Boulanger, qui prône entre autres une éducation aux réseaux sociaux. Avec des parents qui publient des photos de leur enfant dès sa vie fœtale grâce aux échographies, nous assistons à la naissance d’une génération qui n’aura aucun contrôle de son image dès avant sa naissance. «Il faut savoir quels sont les dangers du partage de données», estime le docteur en droit, en réponse à ceux qui ne s’inquiètent pas et répondent qu’ils n’ont rien à cacher.

«Bien sûr, certains n’y voient rien à redire et estiment que s’ils n’ont rien fait de mal et qu’ils n’ont rien à cacher, il n’y a rien à craindre. Mais il faut bien se rendre compte que c’est le pouvoir politique qui décide de la norme et de la légalité. Le jour où le pouvoir change, il faut être vigilant. C’est ce qui arrive par exemple actuellement aux musulmans qui sont très vite soupçonnés ou fichés», explique Clémentine Boulanger.

Difficile d’échapper à la surveillance généralisée

Il faut dire qu’il est difficile d’échapper à cette surveillance généralisée, encore faut-il en être conscient. «Il est important que tout le monde sache que lorsque l’on prend une carte fidélité d’un magasin, ce dernier anticipe alors non pas seulement nos futurs achats, mais établit un véritable tri social des consommateurs.»

Ainsi, Clémentine Boulanger indique quelques astuces pour limiter la casse : «Il faut éviter les sites où il faut s’inscrire, refuser les cookies, utiliser un pseudonyme, renouveler ses identifiants. On peut demander à Google de se faire déréférencer, ainsi que demander à Facebook toutes les données nous concernant. Aux États-Unis, le FBI peut utiliser des données de sociétés commerciales dans le cadre d’une enquête. Ce n’est pas le cas en Europe heureusement.»

Au-delà de la collecte plus ou moins consciente des données, qu’elles soient utilisées dans un but commercial ou politique, les choix deviennent de plus en plus restreints sur la Toile. Un véritable profilage algorithmique se met en place pour enfermer l’internaute dans sa bulle d’opinions et de goûts : «Les données, les like orientent vers des envies et des choix. Il faut peut-être s’obliger à liker des choses qu’on n’aime pas nécessairement pour garder un univers plus ouvert. Et surtout multiplier les sources d’information, car les médias vont traiter différemment un même événement. Il faut brouiller les pistes.»

Certains personnages publics tentent de contrer l’avancée du phénomène. L’Autrichien Maximilian Schrems a ainsi demandé en 2011 à Facebook une copie de toutes les données que l’entreprise détenait sur lui, conformément à la loi européenne. Il se rend alors compte que des informations qu’il avait effacées de son compte sont toujours stockées chez Facebook. Il milite depuis avec l’initiative «Europe vs Facebook», qui a pour vocation de pousser le réseau social à «se mettre enfin en conformité avec le droit, en ce qui concerne la protection des données».

Malgré ces initiatives, Clémentine Boulanger n’est pas optimiste et fait même plus confiance aux sociétés privées : «Elles ont tout intérêt à protéger les données de leurs clients si elles veulent les garder. À l’inverse, tout l’intérêt des politique est de nous surveiller.»

Audrey Somnard