Les partis de l’opposition portent de lourdes accusations contre les concepteurs du projet de satellite d’observation luxembourgeois. La commission d’enquête ardemment réclamée a cependant été rejetée.
Le député déi Lénk David Wagner a beau souligner que l’objectif n’est pas de «mener un procès d’intention», il n’en reste pas moins que, dans les attaques entendues jeudi à la Chambre sur les supposées dysfonctionnements dans la conception du projet LUXEOSys, les accusations sont graves. «On nous a menti», clame ainsi Diane Adehm (CSV), qui évoque du copinage et des conflits d’intérêts. Sont plus particulièrement visés l’ancien directeur de la Défense Patrick Heck et l’ancien ministre Étienne Schneider. «Chacun sait que quelqu’un a menti au Parlement, peu importe si cela a été prémédité ou pas», enchaîne Sven Clement (Parti pirate). «Est-il normal que des hauts fonctionnaires mentent devant des élus du peuple?», s’interroge David Wagner. «Ce gouvernement se croit intouchable», martèle Fernand Kartheiser (ADR).
Comment en est-on arrivé là ? Le 24 juillet 2018, la Chambre des députés a validé avec 58 voix contre 2 une enveloppe de 170 millions d’euros pour l’acquisition d’un satellite d’observation militaire. Il s’est cependant avéré que cette somme était suffisante pour la construction et le lancement, mais non pas pour l’exploitation du satellite. En mars dernier, le successeur d’Étienne Schneider à la Défense, François Bausch, a été obligé d’informer la Chambre qu’une rallonge budgétaire de finalement 139 millions d’euros était nécessaire pour mener le projet à bout.
Malgré les explications fournies au fil des derniers mois par les concepteurs du projet aux membres de la commission du Contrôle de l’exécution budgétaire, les élus de l’opposition estiment que les contradictions sont trop nombreuses pour classer le dossier LUXEOSys sans suite. «Nous disposons de preuves pour les mensonges», lance Sven Clement en réponse au ministre François Bausch qui, venu défendre les hauts fonctionnaires attaqués, avait lancé : «C’est fort de café de monter à la tribune de la Chambre et d’accuser des fonctionnaires de mensonge. Je ne vois pas où pourraient se trouver des faits pénaux.» L’élu pirate n’exclut toutefois plus de soumettre les procès-verbaux des auditions au parquet.
À la Cour des comptes de prendre le relais
Aux yeux de l’opposition, les rôles exacts joués par Étienne Schneider, la direction de la Défense, le fournisseur du satellite, OHB-I, LuxGovSat, pressenti pour la gestion du satellite, ou encore le cabinet d’audit PwC devraient être élucidés par une commission d’enquête parlementaire, qui dispose du pouvoir d’un juge d’instruction. L’analyse de la majorité est différente, même si ses représentants admettent des «insécurités au niveau de l’historique» du projet (Stéphanie Empain) ou le fait qu’«il ne faut pas minimiser les hypothèses» qui se sont révélées fausses (Dan Biancalana). L’hypothèse que l’armée allait être en mesure de gérer seule LUXEOsys ne s’est notamment pas vérifiée.
Pour les partis de la coalition tricolore, la Cour des comptes est la mieux placée pour pousser plus loin l’analyse des errements financiers de ce projet. L’instauration d’une commission d’enquête a été rejetée par 31 voix contre 29. La résolution demandant un rapport spécial aux auditeurs indépendants de l’État a, elle, été adoptée à l’unanimité. Au plus tard lors du débat public sur le rapport de la Cour, demandé expressément par l’opposition, le règlement de comptes pourra reprendre.
David Marques
Une majorité tiraillée valide les 139 millions d’euros
Comme prévu, l’enveloppe supplémentaire de 139 millions d’euros pour financer l’acquisition et l’exploitation d’un satellite d’observation militaire a été validée, jeudi, par la seule majorité DP-LSAP-déi gréng (31 voix contre 29). Le coût global du projet LUXEOSys passe ainsi de 170 à 309 millions d’euros. Le contrôle et le pilotage du satellite (antennes comprises), le centre de traitement des images prises et les centres de données font partie de la longue liste des «oublis» dans la loi de financement initiale. «Le dossier a été ficelé de manière trop précipitée», admet Stéphanie Empain (déi gréng). André Bauler (DP) critique «une communication et une coordination défaillantes».
Il est revenu à Dan Biancalana (LSAP) de défendre l’ancien ministre socialiste de la Défense Étienne Schneider. «La conception et la budgétisation ont été suboptimales», admet l’élu, mais Étienne Schneider se serait cependant «basé sur les hypothèses qui lui ont été soumises par la Défense». Au moment du premier vote, il s’agissait, «aux yeux du ministre, de la meilleure option possible». François Bausch (déi gréng), le successeur d’Étienne Schneider à la Défense, dit lui «rester convaincu de l’utilité du satellite». Il conclut être «pour le projet, mais opposé à son historique».