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Procès du SREL : au tour des juges d’écouter


Les juges auront notamment à se pencher sur le fameux CD crypté, baptisé «Frisbee» et les écoutes menées sur l'informaticien Loris Mariotto. (illustration Fabrizio Pizzolante)

Le procès contre trois ex-agents du Service de renseignement de l’État (SREL) s’ouvre ce mardi. Il s’agit de la suite judiciaire de l’affaire politique ayant entraîné en 2013 la chute de Jean-Claude Juncker.

On est le 10 juillet 2013. Après un débat houleux de plus de sept heures à la Chambre des députés, le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, claque la porte. La pression politique et médiatique, à la suite des révélations à répétition sur des dysfonctionnements au SREL, a fini par avoir raison du chef politique du service de renseignement.

Il s’agit du point culminant d’un psychodrame politique et juridique, ayant notamment des liens avec la série d’attentats à la bombe incombés aux Bommeleeër, dont le procès hiberne depuis début juillet 2014, des écoutes illégales, un CD crypté et une tentative de déstabilisation du procureur général d’État.

Après l’affaire politique, place au volet judiciaire. Les faits qui ont mené à l’inculpation de Marco Mille, André Kemmer et Frank Schneider, tous trois ex-agents du SREL, ont leur point de départ fin 2005. Jean-Claude Juncker accepte alors d’accueillir Eugène Beffort, qui déclare avoir aperçu le 9 novembre 1985, jour de l’attentat des Bommelëer au Findel, le Prince Jean aux abords de l’aéroport. Le témoin refuse de parler à la police et insiste pour voir le Premier ministre.

Dans la foulée de cet entretien, Jean-Claude Juncker aurait fait part au Grand-Duc Henri des accusations formulées à l’encontre de son frère. Ce colloque singulier aurait fait l’objet d’un enregistrement secret. L’informaticien Loris Mariotto affirme être en possession d’un CD crypté qui contiendrait cette conversation. Le SREL ne tarde pas à se procurer le CD, sans toutefois parvenir à le décrypter.

Vu la teneur potentiellement explosive du CD, Marco Mille, alors directeur du SREL, aurait demandé par téléphone au Premier ministre de mettre Loris Mariotto sur écoute. Dans un premier temps, un téléphone portable est utilisé. Ces écoutes étant restées sans résultat, Marco Mille dit avoir repris contact avec Jean-Claude Juncker pour mettre en place une écoute élargie.

Juncker savait-il ou pas ?

C’est ici que se trouve l’un des points clés du procès qui s’ouvre ce mardi matin devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Jusqu’à ce jour, l’ancien Premier ministre conteste avoir donné son autorisation orale à la mise sur écoute de l’informaticien, qualifié d’«obsédé» par nos confrères de RTL.

Mal à l’aise, Marco Mille exige de rencontrer Jean-Claude Juncker en tête-à-tête. Ce rendez-vous lui est accordé le 31 janvier 2007. L’ancien directeur du SREL décide d’enregistrer cet entretien à l’aide d’une montre-bracelet, à l’insu du Premier ministre. Le procès-verbal de cet entretien fuite en 2012 dans les colonnes de nos confrères du Land. Ce document joue lui aussi un rôle crucial dans cette affaire.

Marco Mille dépose en novembre 2017 un plainte pour utilisation de faux. La transcription du fichier audio ne contiendrait pas le passage où Jean-Claude Juncker laisserait entrevoir qu’il était bien au courant des écoutes pratiquées sur Loris Mariotto. L’ancien directeur du SREL évoque un «flagrant et inacceptable leurre». Il remet une couche fin janvier 2018 dans les colonnes du Spiegel en insistant sur le fait que Jean-Claude Juncker avait bien autorisé la mise sur écoute et qu’il aurait «menti» sous serment, le 2 mai 2015 devant le juge d’instruction.

L’ancien Premier ministre sera donc attendu au tournant lors de ce procès. La date de son audition n’est pas encore connue.

Les juges auront notamment à se pencher sur le fameux CD crypté, baptisé «Frisbee» et les écoutes menées sur Loris Mariotto. Les rôles joués par les deux autres anciens agents du SREL, André Kemmer et Frank Schneider, vont aussi être élucidés. Le 13 juillet 2017, la Cour d’appel avait confirmé qu’il existait «des charges suffisantes de culpabilité» contre les trois prévenus.

Marco Mille a quitté la direction du SREL en 2009 pour devenir chef de la sécurité chez Siemens à Munich. André Kemmer, policier de formation, a été suspendu en 2013 et s’est lancé dans l’écriture de romans. Frank Schneider a lui lancé en 2008 sa propre société de renseignement économique.

Chacun des prévenus bénéficie de la présomption d’innocence jusqu’à une décision définitive de la justice.

David Marques

Notre Une du 11 juillet 2013

Notre Une du 11 juillet 2013

Une affaire qui a fait vaciller le pays

Il semblait indéboulonnable. Régnant depuis 1994, Jean-Claude Juncker a fini par tomber à la suite de l’affaire du SREL. Après les révélations de 2012 sur l’enregistrement secret d’une conversation entre le directeur du SREL et Jean-Claude Juncker, la Chambre décide de mettre en place une commission d’enquête parlementaire. Les choses s’accélèrent en juin 2013.

Alors qu’il est accusé par le procureur général d’État, Robert Biever, d’avoir influencé l’enquête sur les Bommeleeër, le ministre de la Justice, Luc Frieden, échappe de peu à un vote de défiance à la Chambre. Le matin même, Robert Biever s’indigne des tentatives du SREL visant à le discréditer en le faisant passer pour un pédophile.

La commission d’enquête finit par constater la responsabilité politique de Jean-Claude Juncker. Déjà déstabilisés par l’affaire Frieden mais aussi l’affaire Livange-Wickrange (soupçons de corruption dans le cadre de la construction d’un centre commercial et du stade national), Jean-Claude Juncker et le CSV sont lâchés, le 10 juillet 2013, par leur partenaire de coalition, le LSAP.

Huit audiences, quatre témoins

Reporté à deux reprises, en novembre 2017 et novembre 2019, le procès SREL va enfin s’ouvrir ce matin. Huit audiences sont prévues, quatre cette semaine (mardi à vendredi) et quatre la semaine prochaine (mêmes jours).

Ils sont trois à se retrouver sur le banc des prévenus, tous des ex-agents du Service de renseignement de l’État : Marco Mille, André Kemmer et Frank Schneider.

Pour résumer, le parquet leur reproche des écoutes illégales contre l’informaticien Loris Mariotto, qui s’est d’ailleurs constitué partie civile dans cette affaire. En termes juridiques, les trois ex-agents sont renvoyés du chef d’infractions à la loi sur la protection de la vie privée, à la loi relative à la protection de la personne à l’égard du traitement de données à caractère personnel dans le secteur des communications électroniques et à la loi relative à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel. En outre, Marco Mille et André Kemmer doivent répondre du détournement, sinon du recel, du CD crypté «Frisbee», jouant un rôle central dans cette affaire.

Le parquet, représenté par Jean-Jacques Dolar, veut entendre quatre témoins : l’enquêteur de la police judiciaire (PJ), un policier du service «Nouvelles technologies» de la PJ, un agent du Service de renseignement et, enfin, l’ancien Premier ministre Jean-Claude Juncker, chef politique du SREL à l’époque des faits.

Le procès sera présidé par Marc Thill.

Entrevue avec André Kemmer : Bettel éclaboussé à son tour

Mis dans l’embarras par une entrevue privée fin 2012 avec André Kemmer, ancien agent du SREL, alors qu’il officiait comme vice-président de la Commission d’enquête parlementaire sur le SREL, Xavier Bettel a été obligé de s’exprimer devant la Chambre, le 19 avril 2016. Devenu Premier ministre dans la foulée des élections anticipées d’octobre 2013, provoquées par la chute du gouvernement Juncker, Xavier Bettel a pu compter sur le soutien accordé par la nouvelle majorité DP-LSAP-déi gréng.

En amont du débat, le CSV avait demandé la tête du Premier ministre. Devant les députés, Xavier Bettel a dit que l’État de droit était capital pour lui. Il a reconnu qu’il aurait dû donner les vraies raisons de sa démission de la commission d’enquête. Et Xavier Bettel a fait son mea-culpa. Il a confirmé qu’André Kemmer était venu le voir à son domicile de Bonnevoie en décembre 2012 alors que la commission d’enquête parlementaire était à peine installée. C’est son chauffeur qui a établi le contact alors que Xavier Bettel dit avoir ignoré à l’avance l’identité de son visiteur. Il a fini par admettre s’être senti manipulé et a préféré démissionner de la commission d’enquête. En fin de débat, aucune motion n’avait été déposée. L’affaire Bettel/Kemmer n’a pas eu lieu.

archives Hervé Montaigu

archives Hervé Montaigu