Pour Nora Back, la présidente de l’OGBL, il est hors de question que les salariés paient la note de la crise sanitaire. Le message sera répété ce samedi lors de la manifestation du 1er-Mai que le syndicat va organiser à Esch-sur-Alzette.
On ne connaît pas encore l’ampleur de cette crise économique – qui semble inévitable – au Luxembourg et dans le monde, mais l’OGBL exige que le chômage et les faillites soient évités et que la lutte se poursuive contre le creusement des inégalités sociales et la détérioration des conditions de vie après la crise.» Il s’agit d’une des phrases-clés du tout premier discours du 1er-Mai que Nora Back a tenu comme présidente de l’OGBL. Douze mois plus tard, peu de choses ont bougé. Le premier syndicat du pays ne compte cependant rien lâcher.
Pour la première fois depuis de longues années, l’OGBL organise un cortège à l’occasion du 1er-Mai. Quelles sont les raisons de ce retour aux sources?
Nora Back : Nous avons mené une longue réflexion pour déterminer sous quelle forme on pourrait organiser notre fête du 1er-Mai. Au vu des restrictions sanitaires, il est impossible de retourner à l’abbaye de Neumünster pour notre traditionnelle fête des Cultures. On ne voulait cependant pas organiser pour la deuxième année de suite un 1er-Mai digital. Rapidement, un consensus s’est dégagé sur le fait de revenir aux sources avec un cortège dans les rues d’Esch-sur-Alzette suivi d’un discours sur la place de l’Hôtel-de-ville. Notre comité national élargi, soit quelque 200 personnes, a été invité.
Réunir un grand nombre de personnes alors que la situation reste tendue sur le front sanitaire n’est-il pas trop risqué?
Tout d’abord, il est à rappeler que le droit à la manifestation politique est ancré dans la loi Covid. Nous sommes exemptés des restrictions qui concernent les rassemblements. Les avis sont partagés. Les uns se réjouissent de pouvoir à nouveau sortir et revoir leurs collègues syndicalistes. D’autres personnes souhaitent rester prudentes. On respecte bien entendu leur décision. Chacun doit pouvoir se sentir à l’aise. Toutes les mesures de précaution ont d’ailleurs été prises. Un service d’ordre de 25 personnes va s’assurer que chaque militant porte son masque à tout moment et que les distances sont respectées. La manifestation organisée dans le cadre de la grève des femmes est venue démontrer que cela peut fonctionner sans provoquer un foyer d’infection majeur.
Votre premier discours du 1er-Mai a largement porté sur l’impact de la crise sanitaire. Une année plus tard, existe-t-il une grande déception par rapport à l’aboutissement de vos revendications?
Il existe des luttes et thèmes qui reviennent depuis des décennies dans les discours du 1er-Mai. Dans le même temps, chaque discours pose ses propres accents. En 2020, on était confronté à une énorme inconnue. On ne savait pas vraiment ce qui allait nous attendre. En fin de compte, nous sommes parvenus à obtenir gain de cause sur toute une série de points. Je citerais le chômage partiel élargi, le congé spécial pour raisons familiales ou le moratoire sur les déguerpissements de locataires.
Nulle part ailleurs, il n’existe un lobby aussi puissant composé de quelques magnats de l’immobilier à peine
Parmi ces thèmes qui reviennent sans cesse figure le logement. Les récentes initiatives du gouvernement pour enfin augmenter l’offre sont-elles suffisantes à vos yeux?
Il n’y a rien qui a bougé depuis le 1er mai dernier. Chacun se dit conscient de la gravité du problème. Il suffit de rappeler la hausse des prix de 16,7 % en 2020. De grandes promesses ont été faites, mais ce qui se trouve aujourd’hui sur la table est scandaleux. Notre patience est vraiment à bout. Le Pacte logement 2.0 était déjà décevant dans sa première mouture. Maintenant, il a été décidé de réduire de 30 à 20 % le nombre de logements qui doivent obligatoirement rester entres les mains de l’État ou des communes. Le gouvernement justifie cet amendement par l’obligation de garantir une marge de bénéfice de 25 % aux promoteurs privés. Nulle part ailleurs, il n’existe un lobby aussi puissant composé de quelques magnats de l’immobilier à peine.
Le DP s’est engagé lundi à lutter plus fortement contre la spéculation foncière. Comment jugez-vous cette annonce émanant des rangs du parti libéral?
Les paroles, c’est bien, les actes, c’est mieux. Je ne donne plus aucun crédit à des annonces faites par les uns ou les autres. Trop de promesses n’ont pas été tenues par le passé. Un Pacte logement plus ambitieux aurait pu endiguer la spéculation foncière, mais le gouvernement a plié face aux promoteurs privés.
Le même DP se dit d’accord pour soutenir une solide réforme de l’impôt foncier. Encore une promesse vide?
Le DP a raison d’affirmer que c’est à ce niveau que l’on peut vraiment faire mal aux spéculateurs. Mais aucun projet n’est encore prêt. Une entrevue que nous avons sollicitée auprès de la ministre de l’Intérieur était prévue pour le 1er avril. Elle a été annulée au dernier moment. L’argument est que les travaux préparatifs de la réforme ne sont pas encore achevés. Nous comprenons la complexité de l’exercice, mais dans l’intérêt du dialogue social, l’OGBL souhaite être consulté en amont et ne pas être placé devant le fait accompli. On veut savoir quelle sera la teneur de cette réforme. Je doute toujours qu’elle puisse constituer un véritable levier pour contrer la spéculation foncière.
Du côté du LSAP, le ministre du Travail, Dan Kersch, a proposé l’instauration d’un impôt spécial pour taxer les gagnants de la crise. L’OGBL s’est-il déjà positionné par rapport à cette revendication?
Nous restons d’avis que les finances publiques sont suffisamment stables. Dans l’immédiat, il ne faut donc pas générer de nouvelles recettes. On reste même favorable à de nouveaux emprunts. Le moment venu, il existera suffisamment de marge pour agir sur l’imposition. L’impôt foncier pourrait nous permettre de largement renflouer les caisses de l’État. Contrairement à ce qui s’est passé dans la foulée de la crise financière de 2008/2009, il est inconcevable qu’une nouvelle fois les ménages soient les seuls à être mis à contribution pour rééquilibrer les finances publiques. Cette fois, les mieux lotis aux épaules larges, en priorité les grandes multinationales, qui ont profité de cette crise sanitaire, devront payer.
Le camp syndical et le camp patronal ont décidé de former un front commun pour revendiquer une seconde tripartite
Le directeur général de Cargolux, Richard Forson, a rejeté mercredi un tel impôt spécial en affirmant que le bénéfice supplémentaire généré permet aussi à l’État de toucher plus d’impôts. Pouvez-vous partager cette argumentation?
L’argument n’est pas valable. Le problème de notre système fiscal est qu’il n’existe pas cette progressivité qui permettrait de taxer davantage ceux qui génèrent de plus grands revenus et bénéfices. Je suis donc d’accord avec le ministre Kersch qui compte introduire un impôt Covid pour les gagnants de la crise. Il reste à définir où l’on commencera à taxer. Nous partageons l’avis de la Confédération européenne des syndicats qui vise les 10 % qui se trouvent en haut de l’échelle des plus riches.
Votre appel à organiser une nouvelle tripartite nationale n’a toujours pas été entendu par le gouvernement. Quels sont les prochains pas que l’OGBL compte entreprendre pour enfin obtenir gain de cause?
Le gouvernement vient encore d’affirmer que la tripartite sera convoquée en temps utile. Or, à ce que je sache, nous nous trouvons en plein milieu d’une crise sans précédent. Le gouvernement attend donc quoi pour réunir les partenaires sociaux? Sa seule concession a été un échange dans le cadre du semestre européen (NDLR : le système de coordination des politiques économiques et budgétaires des pays de l’UE). Les deux réunions que nous avons eues avec le gouvernement ont été très décevantes. Aucun dialogue n’a pu être établi. Le camp syndical et le camp patronal ont alors décidé de former un front commun pour revendiquer la tenue d’une seconde tripartite nationale. Le Premier ministre a été pris à froid par cette initiative peu commune. Nous sommes toujours dans l’attente.
Entretien avec David Marques
Le LCGB reste en mode virtuel
À l’image de l’OGBL, le LCGB a lui aussi mené de longues réflexions pour décider quelle était la forme à donner à sa fête du 1er-Mai. «En fin de compte, nous avons décidé de reconduire le 1er-Mai en mode virtuel. On ne compte prendre aucun risque sur le plan sanitaire», note Carine Breuer, responsable presse du syndicat chrétien. Le président Patrick Dury va donc une nouvelle fois s’adresser par internet aux militants. «Parler dans le vide, face à un écran, n’est pas évident. On espère que ce sera la dernière fois», ajoute Carine Breuer.
Avant le déclenchement de la crise sanitaire, le syndicat chrétien invitait ses militants à une grande fête populaire aux abords de la Moselle à Remich. Le traditionnel cortège avait, lui, aussi disparu des mœurs du LCGB.