Une semaine après les débordements survenus dans la capitale en marge d’une manifestation contre les restrictions sanitaires, la bourgmestre Lydie Polfer estime qu’il y aura un avant et un après.
Une semaine s’est écoulée, mais la bourgmestre de la Ville de Luxembourg, Lydie Polfer, le visage grave, est toujours marquée par les incidents du week-end dernier, lorsqu’un rassemblement non déclaré a semé la panique dans la capitale, envahissant plusieurs marchés de Noël et allant jusqu’à menacer le Premier ministre à son domicile.
Elle revient sur cet épisode et évoque son rôle dans un climat social de plus en plus tendu.
Madame la bourgmestre, c’est vous qui demandez à fermer les marchés de Noël samedi dernier, en apercevant une foule agitée depuis votre bureau. Vous ne saviez rien de cette manifestation ?
Lydie Polfer : Rien. Je suis plongée dans mon travail, quand j’entends des détonations et des hurlements. Je me précipite aux fenêtres, et c’est là que je vois la horde arriver : une impressionnante masse de gens et des policiers qui tentent tant bien que mal de les canaliser.
J’attrape mon téléphone et j’appelle le chef de la police de la capitale. Il faut sécuriser au plus vite les marchés de Noël, c’est évident que c’est leur prochaine étape. Je donne l’ordre de fermer les chalets et je fonce place d’Armes.
Sur place, à quelle situation êtes-vous confrontée ?
Il y a déjà énormément de manifestants qui essayent de forcer l’entrée, et le personnel aux postes Covid Check, en première ligne, est dépassé. Je leur demande surtout de ne faire aucune provocation, et j’adresse le même message aux forains : ma priorité absolue à ce moment-là, c’est l’apaisement. La minute d’après, la foule fond sur la place et envahit le marché de Noël. Heureusement, tous les chalets sont déjà clos.
Chercher le dialogue est primordial, mais encore faut-il un partenaire en face
Que faites-vous alors ?
Je décide de monter au premier étage du Cercle municipal et je filme toute la scène depuis le balcon, parce que je veux garder des preuves de cette tension et de cette volonté d’affrontement : j’entends les leaders du mouvement qui enflamment la foule et c’est extrêmement préoccupant.
Ils scandent « Liberté!« – alors qu’ils ne respectent clairement pas la liberté des autres, bien au contraire. Mon seul souhait à cet instant, c’est qu’il n’arrive rien de pire, que personne ne tombe ou ne soit blessé par un feu de Bengale alors que certains en jettent dans la foule.
En rentrant chez vous ce soir-là, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
C’est quelque chose que je n’ai jamais vécu. (Silence) Je pense tout de suite aux discussions qu’il va falloir mener dès le lendemain avec les autorités nationales pour assurer la sécurité publique.
Durant les dernières semaines, y avait-il eu des indices qui auraient pu indiquer un tel dérapage ?
Non, pas vraiment. J’ai encore reçu il y a deux semaines trois représentants de la Marche blanche pour déterminer le trajet de leur prochaine manifestation, et ça se passe comme ça depuis un an et demi.
Et avec la Polonaise solidaire, les seuls soucis que nous avions eu concernaient des plaintes pour des nuisances sonores.
Ce climat de tension de plus en plus palpable au sein de la société, y compris désormais au travail, dans les familles ou les cercles d’amis. Comment le gérer en tant que bourgmestre ?
On a déjà connu des moments de tension, des fractures entre les uns et les autres – je me souviens de fortes crispations à la fin des années 1990 entre représentants du secteur public et du secteur privé. Dans ces cas-là, j’ai toujours à cœur de ne pas dresser les uns contre les autres.
En ce qui concerne la situation aujourd’hui, je ne suis pas médecin, mais je pense que les données scientifiques tout comme les chiffres des hospitalisations démontrent l’efficacité de la vaccination contre ce virus.
Cependant, force est de constater qu’une partie de nos concitoyens ne veut pas se faire vacciner, par crainte pour beaucoup, par idéologie pour d’autres, et dans ce cas, il est extrêmement difficile de convaincre.
Des voix commencent à s’élever contre ce mouvement antivaccin et voudraient que la Ville se montre plus ferme. Que leur répondez-vous ?
Que ni le gouvernement ni la Ville ne peut interdire une manifestation. C’est l’article 24 de notre Constitution. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’on peut faire n’importe quoi : d’où les mesures exceptionnelles instaurées pour garantir le droit à manifester dans un cadre sécurisé par la police. Ceux qui refuseront de s’y soumettre seront dans l’illégalité. On verra alors qui est là pour exprimer son opinion et qui est là pour autre chose.
Depuis un an et demi, ces manifestations ont lieu sans problème, tout comme la Marche blanche. Mais avec les évènements de samedi, soyons clairs : une page s’est tournée. On ne peut pas permettre ça, et on ne le permettra pas.
Je suis convaincue que parmi les 2 000 manifestants, beaucoup n’avaient pas conscience que ça allait déborder et qu’ils étaient à la limite d’un comportement responsable. Mais ça, c’était samedi dernier. Désormais, ceux qui participeront à des rassemblements hors du parcours prévu, ne pourront plus dire qu’ils ne savaient pas.
Comment faire face à cet extrémisme ?
On agit avec tous les moyens légaux dont on dispose. Chercher le dialogue est primordial, mais encore faut-il un partenaire en face. Quand la volonté d’en découdre est évidente, c’est à la police d’intervenir.
La majorité commence à s’agacer face à la minorité qui refuse le vaccin
Alors que la cohésion sociale se craquèle, le temps n’est-il pas venu pour tous – politiques, patronat, syndicat, société civile – d’être unis face à ce qui la menace ?
Je crois que c’est ce qu’on recherche. Lors de la déclaration du Premier ministre mardi à la Chambre, tous les partis politiques, de déi Lénk jusqu’à l’ADR, ont fermement condamné ces agissements, et c’est un message important qui a été adressé à ces manifestants, toujours prompts à faire référence au peuple.
Là, tous les représentants du peuple étaient réunis pour dénoncer unanimement ces façons de faire. Nous avons affiché une unité nationale face à des débordements inacceptables qui ne ressemblent en rien au Luxembourg.
Et je veux aussi me rappeler que, depuis le début de cette crise sanitaire, bien avant ces tensions, nous avons vécu ensemble des moments de très grande solidarité.
Désormais, il est vrai que les restrictions sanitaires se resserrent et que cela devient difficile pour les personnes non vaccinées, et la majorité commence à s’agacer face à la minorité qui refuse toujours le vaccin. C’est pourquoi il faut plus que jamais préserver le dialogue : on ne peut pas faire fi de 20 % de la population.
Gardons-nous de mettre ces gens à l’écart et de nous blesser les uns les autres à travers des paroles ou des gestes : cela ne fera qu’élargir le fossé et durcir les fronts. Aussi ténu soit-il, ne rompons pas notre lien.
Entretien réalisé par Christelle Brucker
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Que lydie tourne la page enfin. Elle colle à sa chaise au lieu de laisser faire les jeunes!