Ecpat Luxembourg lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants au Grand-Duché et dans les pays dans lesquels elle intervient. Elle doit pour cela rester vigilante à l’évolution des tendances, notamment l’explosion de la pédophilie sur internet.
«D’après des études, 1% de la population masculine aurait des tendances pédophiles. C’est un chiffre énorme. Et parmi ces 1%, 1% passerait à l’acte», indique Thomas Kauffmann, le directeur exécutif d’Ecpat Luxembourg, ASBL qui lutte depuis 1995 contre l’exploitation sexuelle des enfants tant au Luxembourg que dans les autres pays dans lesquels elle intervient : Maroc, Sénégal, Cap-Vert, Mali, Burkina Faso, Niger, Inde et Népal.
Au Luxembourg, les tâches de l’association se concentrent essentiellement sur deux aspects : la lutte contre les abus commis sur des enfants dans le cadre de voyages (communément appelés par le passé «tourisme sexuel avec des enfants») et la pédophilie en ligne. «Ici, nous ne travaillons pas sur la prostitution des mineurs. On ne connaît pas de réseau organisé d’exploitation sexuelle des enfants au Luxembourg. Il y a des cas ponctuels de prostitution, traités avec la police par des organisations sur le terrain. De notre côté, on fait plutôt de la prévention.»
Connaître la violence sexuelle pour pouvoir la reconnaître afin de s’en protéger ou protéger autrui, c’est un peu le credo d’Ecpat, qui pour cela mène des campagnes de sensibilisation auprès du grand public et intervient également directement dans les écoles en organisant des ateliers autour de la violence sexuelle, complétant ainsi les interventions de Bee Secure sur la sécurité en ligne.
Un contact direct d’autant plus indispensable qu’il permet quelquefois des prises de conscience de situations abusives et ainsi d’orienter directement les victimes. «Childprotection.lu est un portail qui fournit des informations, des liens et des adresses utiles, et qui permet également d’émettre un signalement. Mais nous n’avons pas reçu de signalements provenant de mineurs. Par contre, lors des ateliers dans les écoles, il y a des choses qui remontent… On oriente alors ces jeunes vers la cellule psychologique de l’école. L’école a un rôle fondamental pour la protection des jeunes.»
Prévenir les dangers est aussi l’une des principales missions de ces ateliers. «Il ne s’agit pas de moraliser, mais de mettre en garde. Par exemple, l’échange d’images entre jeunes fait aujourd’hui partie de la découverte de la sexualité. Mais on va les prévenir de le faire sous contrôle, car les choses peuvent mal tourner lors d’une rupture.»
Explosion de la pédophilie sur internet
Que ce soit au Luxembourg ou ailleurs, internet occupe en effet désormais une place centrale dans l’assouvissement des penchants pédophiles. Entre le grooming (l’utilisation d’une fausse identité pour entrer en contact avec des mineurs) ou le sexting (l’envoi de photos ou messages à caractère sexuel), on assiste aussi à la croissance «exponentielle» des échanges d’images pédophiles ou du live streaming, un phénomène relativement récent signalé à Ecpat pour la première fois en 2016 dans des bidonvilles aux Philippines mais qui se généralise et qui consiste à commander en ligne des viols d’enfants en direct. Toutes ces tendances se sont vues davantage aggravées par la crise du Covid, avec l’augmentation du temps passé en ligne et la perte de ressources pour les personnes les plus vulnérables.
«Le nombre d’images pédophiles explose, confirme Thomas Kauffmann. Un agent d’Interpol (NDLR : l’Organisation internationale de police criminelle) m’a affirmé qu’il existe désormais des forums sur le dark web qui comptent des centaines de milliers de membres ! C’est totalement hors de contrôle car maintenant tout un chacun a les moyens d’accéder à ces forums. Sachant que pour y entrer, il faut soi-même apporter des images, les pédophiles téléchargent donc des photos de leur famille ou de leurs proches. Les abus sexuels commencent principalement au sein de la famille ou de l’entourage.»
Y a-t-il plus de pédophiles ou les repère-t-on plus facilement que par le passé ? En fait, un peu des deux, estime le directeur d’Ecpat : «L’offre participe à l’augmentation du nombre de pédophiles. La facilité d’accès à des images favorise en effet le fait qu’une personne se rende compte de ses penchants. Il faut absolument prendre conscience que ce n’est pas anodin d’échanger des images d’enfants sur internet !»
Le tourisme sexuel occasionnel ciblé
S’il n’y a pas de profil type du pédophile (tous les milieux socioéconomiques sont concernés), Ecpat vise néanmoins à empêcher une cible particulière de passer à l’acte : les «touristes sexuels occasionnels». «Le pédophile a une maladie mentale. On aura beau lui dire de ne pas aller à l’étranger pour y abuser des enfants, il le fera quand même, tout en sachant bien souvent qu’il n’en a pas le droit. Par contre, il y a une tout autre frange de population qui peut être tentée : des hommes confrontés à une offre lors d’un voyage dans une zone rouge, à Goa ou à Dakar par exemple. Ils ne partent pas pour abuser des enfants, mais se retrouvent dans une situation où ils vont franchir le cap. Nos campagnes visent donc à leur rappeler que parmi les prostituées, il peut y avoir des mineures.»
Car dans leur grande majorité, les victimes d’exploitation sexuelle sont en effet des jeunes filles post-pubères, mineures, âgées de 14 à 18 ans. C’est la pauvreté qui les conduit généralement dans les réseaux de prostitution. Elles sont souvent recrutées par des trafiquants d’êtres humains qui promettent un avenir meilleur aux familles des victimes. «Il y a des trafiquants qui visent des villages spécifiques et prétendent aux familles et à la communauté locale qu’ils peuvent fournir du travail en ville à ces jeunes filles. Il y a quelques années par exemple, dans un village du nord-est de l’Inde où nous menons des projets, une trentaine de jeunes filles sont parties presque toutes en même temps et se sont retrouvées dans des bordels à Bombay, à 5 000 km de là», témoigne Thomas Kauffmann.
Ecpat et ses partenaires sur le terrain font tout pour sortir ces mineures de l’enfer dans lequel elles se sont retrouvées. «Plus tôt on les sort de là, mieux c’est», souligne le directeur d’Ecpat. Mais pour éviter qu’elles n’y retournent, n’ayant connu que l’exploitation durant une importante partie de leur vie et y ayant trouvé des ressources pour subvenir à leurs besoins, un accompagnement psycho-socio-économique constant est indispensable. L’engagement de l’ASBL et de ses partenaires se fait donc sur le long terme. «À Goa, nous avons un partenaire qui les emploie dans un pressing, et qui dispose même d’une crèche, car ces jeunes femmes ont souvent des enfants. Au Cambodge, nous avons un partenaire dans la restauration. Nous avions aussi placé des jeunes Maliennes à l’école hôtelière.»
Mais la pandémie a mis un point d’arrêt à toutes ces mesures, les entreprises de réalisation et les petits boulots ayant dû stopper net. «Nous avons organisé une aide humanitaire pour soutenir ces personnes car sans autre alternative, elles seraient retournées dans l’exploitation sexuelle», explique Thomas Kauffmann. «Il faut faire en sorte qu’elles tiennent le temps que la crise passe.»
Tatiana Salvan
Pocket money
Un autre phénomène inquiète en matière d’exploitation sexuelle des enfants : le «sex for pocket money». Avec cette nouvelle tendance à laquelle n’échappe pas l’Europe, des jeunes acceptent des prestations sexuelles en échange d’argent de poche, pour s’acheter un téléphone dernier cri par exemple. «Certains objecteront que c’est un acte volontaire, mais lorsqu’il s’agit de mineurs, il n’y a pas débat», s’insurge Thomas Kauffmann. «Il y a un problème sociétal : on est dans le « tout consommation » et on en vient à accepter que des jeunes filles se prostituent pour cela. Le phénomène est mondial et on constate de plus en plus cette envie d’accéder à un autre mode de consommation.»
À noter qu’au Luxembourg, si l’âge du consentement sexuel est fixé à 16 ans, la jurisprudence prend en compte la différence d’âge entre les partenaires et seul dans les cas de pairs, c’est-à-dire deux à trois ans d’écart maximum, le consentement est généralement reconnu, rappelle Thomas Kauffmann.
Les droits de l’enfant ancrés dans la Constitution
Plus de 30 ans après la ratification de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies, Le Luxembourg va ancrer les droits de l’enfant dans sa Constitution. Le changement a d’abord été annoncé vendredi par le président de la commission des Institutions et de la Révision constitutionnelle, Mars Di Bartolomeo, puis confirmé par la ministre de la Justice, Sam Tanson, et le président de la commission de la Justice, Charles Margue, lors de la séance de clôture du SummerSeminar organisé la semaine dernière dans les locaux de la Chambre des salariés par l’Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher (OKaJu).
Un changement vivement salué par l’OKaJu ainsi que l’ASBL Ecpat Luxembourg. «C’est un énorme pas en avant pour le Luxembourg, a commenté Thomas Kauffmann. Une loi de protection des mineurs va également sortir prochainement – pour le moment, les mineurs sont en effet soumis au même Code pénal que les adultes. Le législatif bouge, tout comme la prise de conscience politique et l’agenda politique. C’est très positif.»
Pour Thomas Kauffmann, cette modification de la Constitution va induire d’importantes transformations. «Jusque-là, on avait encore cette vision au Luxembourg du mineur protégé par le parent, le tuteur, les institutions. Désormais, d’objet de protection, l’enfant devient sujet de ses droits, et c’est une avancée admirable. L’intérêt supérieur de l’enfant va dorénavant pouvoir véritablement primer.»