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Pauvreté : « Le Luxembourg est en retard sur certains pays »


"L'État doit s'occuper des personnes fragilisées, de personnes en difficulté. C'est son rôle", estime Alexandra Oxacelay. (photo Fabrizio Pizzolante)

Alexandra Oxacelay, 47 ans, est à la tête de la Stëmm vun der Strooss depuis une vingtaine d’années. Elle a vu apparaître de nouvelles formes de précarité et se «débrouille» pour les combattre.

Vous dirigez la Stëmm vun der Strooss depuis plus de 20 ans. Le type de bénéficiaires a-t-il changé ?

Oui. Il y a de plus en plus d’étrangers qui arrivent au Luxembourg. Il y a dix ou quinze ans, nous arrivions encore à nous faire comprendre avec nos cinq langues. Les conflits culturels et religieux sont plus nombreux qu’avant, l’agressivité et la volumétrie ont également énormément augmenté. Il y a 20 ans, nous n’aurions même pas imaginé avoir un jour besoin d’agents de sécurité.

Ces derniers temps, nous étions forcés d’intervenir trois ou quatre fois par semaine et d’appeler la police en raison d’agressions verbales et physiques. Le personnel ne parvenait plus à faire son travail éducatif et social. Il n’était pas question d’exclure les plus difficiles. Nos portes sont ouvertes à tous, mêmes aux personnes intégrées dans la société. Au début, l’idée du café social était le mélange.

La Stëmm vun der Strooss accueille quel type de personnes ?

Ce sont des gens mal logés, qui habitent chez des marchands de sommeil, ce sont des gens qui sortent de prison, dont les papiers ne sont pas en ordre et qui font les démarches pour avoir droit au Revis…

Nous accueillons également des gens qui ont des petites pensions d’invalidité, des jeunes en difficulté qui ont fui des foyers de redressement, beaucoup de travailleurs pauvres qui ont des petits salaires et sont surendettés, des jeunes qui ont grandi dans des familles d’accueil ou en foyer et qui ont échoué dans la rue à leur majorité. La rue, au début, c’est la liberté. Ils y retrouvent une famille, des gens qui les comprennent.

Qui sont les sans-abri au Luxembourg ?

Ils ont différents visages. Il y a les sans-abri classiques. Le clochard que l’on voit dehors, qui dort dans la rue, qui ne veut pas ou ne peut plus respecter les règles imposées dans les structures d’aide et est complètement désinstitutionnalisé. Les sans-abri peuvent être luxembourgeois, avoir des droits et ne pas y avoir recours, tout comme ils peuvent être frontaliers ou de n’importe quel pays. Ils peuvent aussi être des toxicomanes qui dorment dans des foyers d’accueil la nuit et qui passent la journée dehors.

Selon les statistiques, un jeune sur cinq de 18 à 24 ans risque de tomber dans la pauvreté. Que pensez-vous de la loi sur le Revis, dont les jeunes de moins de 25 ans sont exclus ?

Les jeunes n’y ont pas droit, à moins qu’ils n’acceptent de retourner à l’école ou de suivre une formation. Les jeunes que nous suivons n’ont plus envie de respecter des règles ni d’être en contact avec des éducateurs. La loi ne prévoit rien pour les jeunes en décrochage scolaire. À mes yeux, ce n’est pas normal. Pour avoir droit au Revis, il faut une adresse. Ce qui n’est pas normal. Il y a trop de barrières. Il y a trop de personnes qui pourraient avoir des droits mais qui n’en ont pas et que l’on retrouve à la Stëmm vun der Strooss ou dans d’autres associations.

La politique fait-elle mal son travail ou est-ce un problème de société ?

Le gouvernement nous soutient énormément depuis le début, mais étant donné que la pauvreté augmente plus rapidement que les solutions n’apparaissent, il y aura toujours du travail. Le Luxembourg est en retard sur certains pays. Nous devons changer notre manière de procéder.

Revenons au Revis, par exemple : l’âge de ses bénéficiaires devrait être baissé ou un autre financement devrait être trouvé pour les jeunes de 18 à 25 ans. Il ne faudrait plus non plus enlever les Revis aux personnes qui sont retombées malades – parce qu’elles ont été encore davantage fragilisées à la suite d’un traumatisme et parce qu’elles ne remplissent plus les règles imposées – et les sanctionner pendant des mois. Dès qu’on leur enlève ce revenu – qui est, je pense, trop bas – elles risquent de retomber dans la délinquance, de se retrouver en prison ou à l’hôpital et cela coûtera aussi à la société. La loi n’a pas été bien pensée.

Pour moi, un revenu minimum garanti est un droit. Que l’on dorme dehors ou que l’on ait un logement, que l’on ait un travail ou que l’on n’en ait pas, l’État doit s’occuper des personnes fragilisées, de personnes en difficulté. C’est son rôle.

Entretien avec Sophie Kieffer

A lire en intégralité dans Le Quotidien papier du 17 juin