Accueil | Politique-Société | Pâques : l’ONG Fairtrade Lëtzebuerg dénonce un chocolat au goût amer

Pâques : l’ONG Fairtrade Lëtzebuerg dénonce un chocolat au goût amer


Jean-Louis Zeien, Genevieve Krol et Clara Frantz de Fairtrade Lëtzebuerg ont tenu à alerter la population sur les mauvaises pratiques de l'industrie chocolatière (photo : Alain Rischard).

À quelques heures du week-end pascal, l’ONG Fairtrade Lëtzebuerg a tenu à remettre en lumière les pratiques condamnables du secteur du cacao, notamment le travail des enfants.

Avec l’approche de Pâques et les étals des magasins débordant de chocolats de toutes sortes qui nous font saliver, on pourrait avoir tendance à oublier que le secteur du cacao est très loin de cet univers enchanté que les lapins, petits œufs et autres douceurs chocolatées essaient de nous faire imaginer. Pauvreté extrême, déforestation massive, dépendance aux pesticides, monocultures et bien sûr, violations des droits humains, sont aujourd’hui plus que jamais d’actualité dans un secteur dont dépendent 14 millions de petits producteurs, travailleurs et leurs familles à travers la planète.

Le travail des enfants reste ainsi l’une des plus grandes aberrations de l’industrie chocolatière. En 2018/2019, quelque 1,56 millions d’enfants travaillaient dans la production de cacao dans les régions productrices en Côte d’Ivoire et au Ghana, parmi lesquels 1,48 millions étaient impliqués dans un travail dangereux. «Coupes à la machette, manipulation de pesticides ou transport de sacs extrêmement lourds qui nuisent à leur développement physique sont le lot de ces enfants, qui sont en plus privés d’école pour travailler sur les plantations», a dénoncé jeudi Jean-Louis Zeien, président de l’ONG Fairtrade Lëtzebuerg, au cours d’une conférence de presse. «Et ce chiffre ne couvre pas le travail forcé des enfants, l’esclavage des enfants ou la traite des enfants», a-t-il précisé.

Pourtant, un protocole avait été signé en 2001 par huit multinationales de l’industrie chocolatière, le protocole Harkin-Engel, par lequel elles s’engageaient à mettre un terme aux «pires formes de travail des enfants» ainsi qu’au «travail forcé de leur chaîne d’approvisionnement», rappelle l’ONG. Des promesses clairement non tenues, comme celle de 2010 visant à «réduire de 70 % le travail des enfants à l’horizon 2020». « Ce protocole est basé sur le volontariat, il n’y a donc pas de véritables contrôles ni de véritables investissements. Le pur volontariat ne fonctionne pas!», s’insurge le président de Faitrade Lëtzebuerg.

Autonomisation des femmes

À ce protocole guère contraignant, viennent aussi s’ajouter des facteurs externes qui expliquent l’immobilité du secteur en matière de droits humains, entre autres la pauvreté (beaucoup de producteurs gagnent moins de 1,25 dollar par jour) et les prix d’achat trop bas. Ainsi, seuls 6 % du prix d’une tablette de chocolat revient aux producteurs de cacao (contre 16 % en 1980), tandis que les fabricants et les supermarchés empochent respectivement 33 et 35 %.

«Lorsque le producteur est correctement rémunéré, il investit systématiquement dans sa plantation et envoie ses enfants à l’école», explique Anne-Marie Yao, responsable de la filière cacao pour Fairtrade Africa, en visioconférence depuis la Côte d’Ivoire. «La responsabilité de changer la filière a donc été laissée aux producteurs pauvres alors qu’il s’agit d’une question globale.» «Il faut une vraie collaboration entre la société civile, les gouvernements et l’industrie chocolatière. On ne peut pas laisser ce poids sur les producteurs, l’effort doit être commun», complète Jean-Louis Zeien.

Le réseau de production sur tout le territoire africain compte 1,5 million de producteurs. En Côte d’Ivoire, pays de 26 millions d’habitants, le cacao fait vivre deux millions de personnes. Si le gouvernement a pris la problématique à bras le corps et s’est engagé dans la lutte contre le travail des enfants, l’un des leviers pour faire évoluer la filière du cacao pourrait être l’autonomisation des femmes. De nombreuses études ont en effet confirmé que «plus le niveau d’éducation des femmes augmente, plus le revenu mensuel du foyer augmente et plus la probabilité que les enfants soient impliqués dans le travail des enfants diminue», a rappelé l’ONG.

À cet égard, Anne-Marie Yao a mis en place des Écoles du leadership des femmes, qui visent à émanciper les femmes en valorisant leurs actions au sein des organisations des producteurs, en leur offrant une pédagogie active vers l’entrepreneuriat et l’autonomisation de leur activité ou encore en leur proposant des formations en finance, négociation et prise de décision ainsi que sur l’égalité des genres et des droits humains.

Tatiana Salvan

Le secteur du cacao en chiffres

Quatorze millions de personnes dépendent de la culture de cacao dans plus de 30 pays du Sud. Plus de 70 % de la production mondiale provient d’Afrique de l’Ouest. La Côte d’Ivoire et le Ghana sont les principaux pays producteurs, suivis de l’Indonésie, du Nigeria, du Brésil, du Cameroun et de l’Équateur. Si 90 % de la production mondiale est issue de petites exploitations familiales, cinq multinationales contrôlent à elles seules plus de la moitié du marché mondial.