Le ministre de la Défense, François Bausch, évoque la situation actuelle dans la région du Sahel et au Mali en particulier où des militaires luxembourgeois sont encore en place.
L’Union européenne est pleinement engagée pour la paix et la stabilité au Sahel, mais la junte militaire au pouvoir depuis 2020 multiplie les incidents diplomatiques avec des pays membres, comme la France, principalement, mais aussi le Danemark.
L’Union européenne, qui est présente «à la demande des États et en soutien aux populations», comme le rappelle le haut-représentant pour les Affaires étrangères, Josep Borell, déplore vivement la décision des autorités de transition maliennes de renvoyer l’ambassadeur de France et un contingent danois.
Des comportements «inacceptables», pour les Européens, qui invitent les autorités de transition maliennes «à la désescalade en adoptant des gestes concrets et en reprenant le dialogue».
La coopération au développement suspendue
Au Luxembourg, la direction de la Coopération au développement suit tous les événements de la région «de très près», comme le précise Franz Fayot à la députée Stéphanie Empain (déi gréng) qui s’inquiétait de la situation au Burkina Faso voisin et qui a connu un coup d’État militaire le mois dernier. La conséquence immédiate a été le report de la signature d’un nouveau programme indicatif de coopération qui était prévue pour aujourd’hui, le 8 février.
Avec le Mali, le programme a expiré en 2019 et n’est pas encore renouvelé à la suite du coup d’État de 2020 et de la prise du pouvoir par la junte militaire.
Le Mali est un pays partenaire depuis 1999. «Le Luxembourg reste aux côtés du Mali pendant la grave crise politico-militaire qu’il traverse en 2012-2013», rappelle la direction de la Coopération sur son site. Entre 2015 et 2019, la Coopération luxembourgeoise accompagnera le Mali avec une enveloppe totale de 55 millions d’euros.
Les militaires luxembourgeois en mission de formation
Mais il n’y a pas que des coopérants luxembourgeois, il y a aussi des militaires luxembourgeois présents au Mali. Et selon François Bausch, «ils vont rester». Le ministre de la Défense n’évoque pas de rappel des troupes encore présentes au Mali.
La vingtaine de militaires luxembourgeois ne participent pas aux opérations de combat contre les cellules djihadistes, mais à la mission de formation de l’Union européenne (EUTM Mali) décidée dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune.
Deux autres soldats sont présents dans la région avec une mission de l’ONU «en charge de la communication via Govsat», précise François Bausch. «Nous resterons aussi longtemps que les Européens décident de rester», ajoute-t-il. Dans le cas contraire, le départ devra se faire «de manière coordonnée et surtout ordonnée, mais nous n’en sommes pas là», ajoute le ministre.
«Une situation pas trop compliquée»
Pour l’heure, les militaires luxembourgeois présents au Mali ne connaissent pas «une situation trop compliquée», selon François Bausch. Ils ne sont pas en conflit avec les militaires maliens, ils les entraînent. Ils ne sont pas davantage en contact avec le groupe Wagner, qui est occupé dans le nord du pays.
«Nous instruisons les militaires maliens avec une éthique et une déontologie, alors que ces mercenaires ne sont que des tueurs à gages», ajoute-t-il en faisant référence au groupe paramilitaire privé Wagner composé de vétérans d’Afghanistan et de Tchétchénie, entre autres.
François Bausch compte sur les discussions qui ont lieu dans le cadre du 5G Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) où l’Union européenne essaie toujours de convaincre la junte militaire malienne de revenir «à des positions plus diplomatiques».
Une zone «importante pour l’Europe»
«La zone Sahel et le Mali sont très importants pour la lutte contre Daech et c’est un pays où nous avons beaucoup investi en tant que zone cible de la Coopération luxembourgeoise. On ne va pas abandonner cette zone, elle est trop importante pour l’Europe», dit encore le ministre.
En revanche, il est «inacceptable» de coopérer avec des mercenaires et de retarder le retour à la démocratie. François Bausch condamne le report des élections à cinq ans, décidé par la junte militaire.
François Bausch estime que le Luxembourg peut jouer un rôle intéressant dans cette région. Un rôle de «médiateur» qu’il a plusieurs fois endossé par le passé. «Nous n’avons pas de passé colonial et nous sommes bien acceptés pour nos investissements dans la région. Nous avons toujours fidèlement appliqué la stratégie des 3D pour diplomatie, défense et développement», conclut le ministre.
Le gouvernement malien plus exigeant
Que pense Abdoulaye Diop, le ministre malien des Affaires étrangères, de la mission européenne EUTM qui existe depuis 2013? Dans une interview accordée il y a une semaine à B2, quotidien spécialisé dans l’Europe géopolitique, il estime que ce qui a été fait par les Européens depuis 2013 «a été très apprécié». Cette mission a fait son œuvre au moment où l’armée malienne avait besoin «de capacités, de formation sur les droits de l’homme, mais aussi en termes de protection sur le terrain».
Admettant ne pas connaître la situation dans le détail, le ministre malien croit néanmoins savoir que cette formation «ne prépare pas suffisamment les militaires au combat en tant que tel» et qu’elle n’est «probablement plus adaptée à la menace à laquelle nous faisons face», ajoute Abdoulaye Diop
Selon lui, pour qu’une formation soit efficace, «cela doit venir dans le cadre d’un package, qui allie formation mais aussi équipements. On ne peut pas lutter contre le terrorisme avec des bâtons».
Le ministre des Affaires étrangères malien confiait sans ambages avoir besoin «d’avions, de véhicules, de moyens de communication» en se plaignant qu’en huit ans, «personne n’a donné même un seul avion». Résultat? «Nous avons dû acquérir quatre hélicoptères auprès des Russes, sur notre budget national», explique-t-il.
«On ne peut pas abandonner le Sahel»
Charles Goerens, eurodéputé et ancien président du Club du Sahel, craint surtout un retrait militaire des Européens. À commencer par les Français.
Fin connaisseur de l’Afrique, l’eurodéputé européen libéral Charles Goerens, ancien ministre de la Coopération et de la Défense, ancien président du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, le dit clairement et il n’est pas le seul : «On ne peut pas abandonner le Sahel.»
Face au chaos qui règne actuellement dans le pays, la pire des choses, selon lui, serait de tourner le dos aux Maliens alors que la population a besoin de l’aide humanitaire.
«Les juntes militaires n’ont rien de pérenne, donc il faut conserver les liens diplomatiques avec des gens avec qui nous pouvons dialoguer.» Pour Charles Goerens, l’Union européenne doit rester présente dans la région pour la coopération économique et l’aide au développement.
«La question qui m’inquiète, c’est la présence militaire de l’UE dans la région si la France venait à retirer ses troupes du pays», explique-t-il, alors que la France est à l’initiative d’une intervention militaire internationale dans la région.
Le groupe Wagner, «cheval de Troie de Poutine»
Il craint fort que personne en Europe n’ait cette volonté «d’arrêter des colonnes de djihadistes aux portes de Bamako comme l’ont fait les Français», selon lui.
Il redoute aussi l’influence russe grandissante, avec la présence du groupe Wagner très actif au Mali, «le cheval de Troie de Poutine», comme le nomme Charles Goerens. «Sans la présence russe, le Mali n’aurait jamais eu l’audace de renvoyer l’ambassadeur français», affirme-t-il.
Pour autant, les Européens doivent rester présents au Mali. «Au Niger, une femme élève en moyenne 8 enfants et toute la région du Sahel est en proie à une famine endémique. Il faut contrôler la natalité et être plus performant sur un plan économique, mais ces pays ne peuvent pas s’en sortir seuls», analyse Charles Goerens.
L’aide internationale est une nécessité absolue pour accompagner la région dans son développement, alors que la menace djihadiste plane tout autour d’elle. «Les cellules djihadistes sont les seules gagnantes, alors qu’elles embarquent avec elles tous les mécontents», observe encore l’eurodéputé luxembourgeois.
Pour lui, «la pire chose à faire serait un retrait de l’Union européenne de la région».