Fage a abandonné son projet d’usine de yaourt au Luxembourg. La faute au travail de sape d’un «lobby écologiste», selon le LSAP de Bettembourg qui souhaite rectifier certains «mensonges».
Il y a un mois, le groupe agroalimentaire Fage renonçait à son projet d’implantation au Luxembourg. Le fabricant de yaourts grecs devait installer une usine dans la zone Wolser, entre Dudelange et Bettembourg. Évoquée depuis 2016, l’usine devait produire près de 80 000 tonnes de yaourt par an et entraîner à terme la création d’environ 300 emplois. Un projet a priori favorable à l’économie luxembourgeoise autant que clivant. Les édiles de la commune de Bettembourg et le syndicat intercommunal en charge de l’Alzette s’y étaient formellement opposés, craignant entre autres une consommation d’eau trop importante ainsi que le rejet des eaux usées dans la rivière et ses conséquences sur la qualité de l’eau et sur les écosystèmes existants. La ministre de l’Environnement avait elle-même douté des capacités de la rivière à supporter ce volume d’eau supplémentaire rejeté par l’usine.
À ces considérations environnementales sont venues s’ajouter une enquête de la Cour des comptes sur les conditions d’acquisition du terrain dans la zone Wolser pour 30 millions d’euros et, plus récemment, l’ouverture d’une enquête par le parquet de Luxembourg pour vérifier des faits portés à sa connaissance concernant des sommes versées à deux entreprises de consulting dirigées par les deux fils du fondateur de Fage. Le projet ne partait donc pas sous des auspices favorables. Fage n’a pas souhaité attendre l’avis du ministère de l’Environnement prévu à la mi-octobre pour abandonner son projet. L’entreprise n’aurait pas supporté les nombreuses atteintes à sa réputation, a tenté de justifier le ministre de l’Économie, Franz Fayot. Le projet aurait également été rendu plus onéreux, moins économique et moins rentable par les adaptations réalisées notamment pour optimiser le filtrage des eaux usées dans une centrale d’épuration propre au site de production. Avant même de commencer, Fage avait investi plus de 41 millions d’euros. Au total, 277 millions d’euros devaient l’être. Au lieu de cela, le terrain sur la zone Wolser va être rétrocédé à l’État.
Le LSAP veut rétablir «la» vérité
Le projet a tourné court. La décision de Fage est irrévocable et pourtant la section bettembourgeoise du LSAP veut rétablir «la» vérité autour de ce ratage : l’arrêt du projet ne serait pas, selon elle, à attribuer à cette accumulation de faits mais au travail de sape «du lobby écologiste formé pour empêcher le projet de voir le jour à coups d’arguments fallacieux répandus dans l’opinion publique». «La pression politique autour du projet a été énorme. Les responsables politiques ont sciemment diffusé de fausses informations pour lancer une polémique», affirme Patrick Hutmacher, conseiller LSAP de la commune, qui se dresse en défenseur du projet «sans faire de lobbyisme pour Fage».
Le LSAP Bettembourg tord donc le cou à ces rumeurs dans un document de sept pages, basé principalement sur des explications fournies par ProSolut, bureau d’ingénieurs en charge du projet d’usine de production de yaourt. «Nous les avons rencontrés début septembre. Ils ont répondu à nos questions et nous avons été étonnés du nombre d’informations erronées qui avaient jusque-là été transmises au public. (…) Ce projet est un bon projet à la base et il a été amélioré au fil de ces quatre dernières années. Malheureusement, la ministre de l’Environnement et le collège échevinal de Bettembourg ont prétendu des choses fausses», estime Patrick Hutmacher, pour qui «tout était prétexte à critique», alors que le collège échevinal de Bettembourg n’aurait jamais cherché à s’informer des détails du projet. «ProSolut leur a pourtant proposé à de nombreuses reprises de leur présenter le projet et n’a jamais obtenu de réponse favorable.»
«Il était créateur d’emplois. Je ne veux pas faire de plaidoyer pour Fage, mais les mensonges qui ont été proférés ont enterré le projet. C’est du populisme et nous ne comprenons par-dessus tout pas l’attitude de déi gréng dans ce dossier alors que le projet présentait des critères environnementaux élevés. Le fait que l’entreprise parte s’installer dans un pays moins regardant en la matière est dangereux pour l’environnement», juge le conseiller.
À commencer par la question de l’utilisation de l’eau. «Le syndicat intercommunal en charge de l’Alzette a prétendu que l’eau venant de Fage allait étouffer la rivière, mais il n’a jamais été dit que la station d’épuration prévue sur le site était équipée d’une installation au biogaz permettant de produire de l’énergie avec les deux tiers de déchets filtrés, indique la section socialiste dans son document. Ni que l’eau rejetée dans l’Alzette après avoir été traitée aurait été de qualité identique à celle des eaux de surface. Elle aurait en plus été refroidie et son taux d’oxygène aurait été très haut. La qualité de cette eau aurait été meilleure que celle de l’Alzette. (…) Ces eaux usées auraient également pu être récupérées et distribuées aux agriculteurs ou aux particuliers durant la saison chaude à défaut d’être rejetées dans la rivière (…).» L’usine aurait utilisé de grandes quantités d’eau pour nettoyer ses équipements et éviter la présence de germes, c’est d’ailleurs une des principales critiques des opposants à son installation, mais trois à quatre fois moins que Luxlait dont la production est plus diversifiée, selon le conseiller communal.
Patrick Hutmacher continue sur sa lancée et démonte «la polémique du lait en poudre» – «Fage n’utilise que de grandes quantités de lait frais et n’est pas équipé pour utiliser du lait en poudre» – avant de s’attaquer à la question de l’origine du lait utilisé. «Fage avait tout intérêt à acheter le lait le plus près possible et donc directement aux producteurs luxembourgeois, ce qui leur aurait évité de devoir le vendre sous forme de lait en poudre aux pays du tiers-monde et de casser ainsi les marchés pour les petits producteurs locaux», explique-t-il. «Le lait aurait pu être livré en train directement à l’usine. Il suffisait de prolonger une voie déjà existante à proximité. Fage n’avait pas prévu de le faire, mais l’entreprise aurait pu.» Et si elle ne l’avait pas prévu, c’est bien que son installation n’aurait pas eu un impact massif sur la circulation dans la région, selon Patrick Hutmacher. «Quatre-vingts camions devaient entrer et sortir du site chaque jour» plus les voitures du personnel, précise le conseiller communal, qui poursuit : «Il a été dit que cela augmenterait le trafic de 25 % sur le nouveau rond-point. L’analyse de laquelle ce pourcentage a été tiré a été réalisée dans le contexte de l’installation de trois entreprises. À Bettembourg, nous avons des grandes surfaces et centres logistiques qui entraînent chaque jour plus de trafic qu’une usine comme celle de Fage.»
Une attitude «irresponsable»
Quant à savoir pourquoi certains auraient tenté de saboter le projet, le conseiller communal socialiste botte en touche. «C’est incompréhensible !» La probité de ProSolut ne serait pas à remettre en question, d’autant plus que le projet a été approuvé par un autre bureau d’architectes dans le cadre de la procédure commodo incommodo. «Tous les équipements prévus étaient de dernière génération, tout était optimisé et devait permettre du recyclage. (…) Fage a fait le maximum possible pour ne pas nuire à l’environnement du site», poursuit Patrick Hutmacher, «Les plans de la station d’épuration ont été revus à trois reprises. (…) Fage n’a cessé d’apporter des modifications à son projet pendant ces quatre dernières années. Je pense qu’ils en ont eu assez.»
Assez du temps qui passait, des procédures qui s’accumulaient, des «rumeurs». «Je pense que très peu de personnes connaissaient ce dossier à fond et que cela a nui au projet d’usine. Un homme politique se doit pourtant de maîtriser ses dossiers pour bien informer la population», appuie le conseiller LSAP avant de qualifier d’«irresponsable» l’attitude des politiciens. «C’est du populisme. Les citoyens croient ce qu’on leur dit. On ne peut pas au Luxembourg permettre à un lobby écologiste de détruire de bons projets. L’écologie est très importante, mais en tant que politiciens, nous devons également assurer notre fonction sociale et créer des emplois.»
La décision de Fage est irrévocable, les socialistes de Bettembourg en ont conscience, mais, disent-ils, les citoyens ont droit à une information correcte. Le document qu’ils ont élaboré va d’ailleurs leur être transmis dans une forme épurée.
Sophie Kieffer
La fabrique de yaourt devait être implantée dans la zone d’activités Wolser, entre Dudelange et Bettembourg. (Photo : Tania Feller)