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Nicolas Henckes (UEL) : « Le cap est bon » au Luxembourg


Nicolas Henckes : "Un salaire social minimum aussi élevé détruit l'emploi, même à court terme". (Photo Alain Rischard)

Nicolas Henckes, le secrétaire général de l’Union des entreprises luxembourgeoises, fait entendre la voix du patronat dans un tour d’horizon de l’actualité économique, sociale et politique.

Il évoque la délicate transposition au secteur santé de l’accord dans la fonction publique qui va entraîner de grosses dépenses. Le secrétaire général de l’UEL salue la politique budgétaire du gouvernement et rappelle sa position concernant la réforme du congé parental.

La quadripartite a révélé l’excellente forme de la Caisse nationale de santé (CNS), qui a reconstitué ses réserves, mais pourtant le patronat reste très prudent. Pourquoi ?

Nicolas Henckes : D’abord, nous sommes bien sûr contents d’avoir ramené la CNS dans des eaux beaucoup plus calmes, parce qu’elle revient de loin et la situation paraît se stabiliser. En revanche, nous avons encore des incertitudes assez fortes sur les aspects « dépenses ». Il y a notamment la transposition de l’accord dans la fonction publique qui, appliqué tel quel au secteur santé, entraînerait des dizaines de millions d’euros annuels de dépenses supplémentaires, que des mesures d’économie compensatoires ne suffiront pas à équilibrer. Nous avons insisté auprès de la Copas, qui est le représentant patronal des prestataires offrant des services d’aide et de soins : elle doit transposer l’esprit de l’accord et trouver un jeu à solde nul. La Copas peut revaloriser ses carrières, mais à ce moment-là elle doit trouver des mesures équivalentes qui permettront d’éviter l’explosion des dépenses.

Quelles mesures d’économie préconisez-vous ?

La Copas pourrait diminuer les salaires à l’embauche, par exemple. Dans la fonction publique on a réduit la rémunération des stagiaires pour compenser la revalorisation de certaines carrières, ce qui a permis d’équilibrer l’accord. Mais dans le secteur santé, ce n’est pas du tout le même environnement. Il ne faudra donc peut-être pas revaloriser autant ces carrières qui sont très représentées dans ce secteur ou trouver autre chose pour compenser. En tant qu’UEL on peut leur indiquer certaines pistes, mais la Copas reste la mieux placée pour faire des propositions. Les négociations n’ont pas encore commencé.

La réforme du congé parental a fait l’objet d’une récente passe d’armes entre les syndicats et le patronat. Quels sont les aspects qui vous gênent ?

Cette réforme donne plus de flexibilité au salarié, mais ne permet pas à l’entreprise d’être plus souple pour qu’elle puisse s’organiser en conséquence. Nous avons toujours lié ces deux aspects. Si nous avons des congés parentaux sur des temps partiels à 57,63% parce que c’est le sur-mesure qui convient le mieux au salarié, il faut que l’organisation du temps de travail permette à l’entreprise d’accepter cette flexibilité du salarié. Si l’entreprise doit monter une usine à gaz pour pouvoir accorder ces congés parentaux, alors la réponse sera non.

L’employeur peut-il refuser un congé parental?

Dans ce cas de figure, oui. Dans l’avant-projet, l’accord du patron est obligatoire pour le congé parental à temps partiel. C’est un congé parental bis, censé être plus souple et plus moderne, ce que l’on ne conteste pas, mais il faut que ce soit une réussite. Or l’autre souci, c’est le congé parental qui consiste à prendre un jour de congé par semaine sur une durée de deux ans par exemple. Dans ce cas, la protection contre le licenciement va-t-elle être prolongée jusqu’à deux ans? C’est hors de question pour nous. Pour l’instant, la protection est d’un an quand on prend un mi-temps et il faudrait conserver ce maximum.

Le dernier rapport « Travail et cohésion sociale » du Statec, présenté la semaine dernière, a révélé une augmentation du risque de pauvreté, alors que 26  % des personnes interrogées déclarent avoir des difficultés à joindre les deux bouts. Vous contestez toujours ces statistiques?

Dans ce rapport, on parle de pauvreté relative et c’est un adjectif important que l’on ne retrouve pas toujours dans les médias, surtout quand ils sont de gauche. Si demain, les ministres Étienne Schneider et Pierre Gramegna, dans leurs missions économiques, reviennent avec dix milliardaires dans le pays, nous aurons mille pauvres de plus. Nous savons bien qu’il existe des familles qui ont du mal à joindre les deux bouts, mais ces difficultés ne sont pas à un niveau tel qu’il permette de parler de pauvreté. Le fait de ne pas aller skier deux fois par an ou aller se reposer sur l’île Maurice n’est pas un état de pauvreté.

L’UEL revendique-t-elle toujours une diminution du salaire social minimum?

Non, c’est une légende urbaine! Nous n’avons jamais demandé la diminution du salaire social minimum, nous avons demandé qu’il ne progresse plus. Un salaire aussi élevé détruit de l’emploi, même à court terme. Quand on a un salaire social minimum équivalent au salaire médian français, vous avez alors des Français niveau bac+5 qui viennent depuis Nancy pour prendre le job à ce prix-là. Un chef d’entreprise prend toujours les meilleures décisions pour son entreprise, et s’il a la possibilité de prendre un universitaire pour faire le travail d’un magasinier il l’engage dans l’optique de le faire évoluer dans l’entreprise.

Le projet de budget 2016 répond-il à vos attentes?

Avec un haut niveau d’investissement, ce budget va dans le bon sens. Surtout en ce qui concerne les investissements dans les infrastructures de transport qui vont permettre de maintenir des gains de productivité à moyen et à long terme. Chaque sou investi au Luxembourg se retrouve injecté dans l’économie, il revient à l’État sous forme d’impôt. L’autre point très positif  : pour la première fois, les dépenses croissent moins vite que les recettes, même si nos dépenses croissent plus vite que notre économie, ce qui reste encore problématique. Mais le cap est le bon et nous disons bravo.

Une croissance de 3  % et surtout un taux d’emploi de 2  % témoignent de la bonne compétitivité de nos entreprises…

Il s’agit de 3  % annoncés, donc il faut voir si cela se confirme. Nous avons un type de croissance qui est très particulier. Pour passer de 100 à 105, les ressources croissent aussi de 100 à 105, car pour créer ces 5  % de croissance en plus, on va chercher des gens de l’extérieur. On accroît dès lors le nombre de personnes qui va utiliser les prestations de l’État. Cette croissance est donc quantitative, mais pas forcément qualitative. Ensuite, nous avons de bons chiffres alors que tous les indicateurs internationaux sont au vert. Le taux de change de l’euro est favorable pour les exportations, le prix du pétrole aussi, le niveau des marchés financiers est bon, donc ces indicateurs sont au mieux pour le Luxembourg. Mais si tous ces indicateurs plongent d’un coup, on aura un souci.

Le programme « Entreprises partenaires pour l’emploi », qui doit renforcer la collaboration entre les entreprises et l’Adem en augmentant les recrutements, est-il sur la bonne voie?

Nous avons eu les premiers chiffres et on est dans les clous pour les postes vacants et pour les recrutements. Le programme vise une réduction substantielle du nombre de demandeurs d’emploi par l’augmentation du nombre total de recrutements par des entreprises, via l’Adem, de 5  000 demandeurs d’emploi additionnels sur trois ans. Il faut faire en sorte que l’Adem joue pleinement son rôle et que les entreprises reprennent confiance en elle. Il faut que l’Adem poursuive sa réforme et atteigne les objectifs qu’elle s’est elle-même fixés et que nous approuvons. Les relations entre les entreprises et l’Adem s’améliorent quand même très nettement.

La place financière, qui occupe toujours une place prépondérante dans notre économie, a bien réussi son virage. Êtes-vous rassuré?

Je ne suis pas un spécialiste de la place financière, mais je vois que les banques se sont bien préparées à prendre ce virage. Le montant de la taxe d’abonnement sur les fonds d’investissement flirte avec le milliard, mais là encore, un krach boursier en Chine peut nous faire très mal.

Tous les partis politiques ont fait leur rentrée en thématisant sur la réforme fiscale et ont insisté sur le maintien d’une bonne compétitivité des entreprises. Face à l’impôt, elles apparaissent toujours épargnées…

Il y aura une réforme pour les entreprises aussi. Elle est censée se faire à solde nul au global. En pratique, cette réforme aura peut-être un impact sur certains secteurs plus que sur d’autres. Il est encore trop tôt pour se faire une idée précise. Il se peut qu’un certain type d’entreprise paiera plus d’impôts, alors que d’autres pourraient être déchargées. Si on baisse le taux et qu’on élargit la base, il y a forcément des structures d’entreprise qui vont souffrir.

Lesquelles?

Tout cela dépend de leur type d’activité, de leur structure juridique et fiscale, de la façon dont elles se sont organisées. L’univers des possibles quant à ces mesures est assez large et nous espérons être consultés dans la préparation de cette réforme. Le principal problème que nous avons actuellement est l’absence d’indicateurs fiscaux de qualité.

Un document révélé par la radio 100,7 livrait pourtant de précieux indicateurs…

Il contenait des erreurs de conception et de représentation de l’impôt assez importantes. Par exemple, dans les revenus des ménages, on retrouvait toutes les professions libérales, les artisans et les indépendants qui travaillent en leur nom propre, qui n’ont pas créé de société. Donc, ça fausse tout! Mais une juste répartition entre entreprises et ménages doit-elle être de 50-50? C’est écrit nulle part. La question pour l’État est de savoir à quel moment il impose. Il impose au niveau des salaires que paie l’entreprise ou sur la consommation? S’il impose davantage le résultat des entreprises, il y aura peut-être moins d’emplois, donc, moins d’impôt sur le revenu. Pour équilibrer, il y aurait une solution très simple  : on réduit tous les salaires de 10  %, donc, les ménages paieront moins d’impôts et les entreprises feront plus de bénéfices et paieront plus d’impôts et on a réglé le problème de juste répartition. Mais c’est absurde. Cela n’a pas de sens de chercher une équité, il faut que l’État se serve dans tout le processus de création de valeur.

Entretien avec Geneviève Montaigu