Une exposition visible au musée de la Résistance à Esch-sur-Alzette explore les destins de juifs homosexuels dans l’Allemagne hitlérienne. «Lesbisch, jüdisch, schwul» (lesbienne, juif, gay), organisée en collaboration avec l’ASBL Rosa Lëtzebuerg, est un prêt du musée Gay de Berlin.
Parmi les acteurs de l’émancipation des homosexuels dans l’Allemagne d’avant-guerre, beaucoup furent également juifs. Comme si avoir une première identité problématique (en raison de la persistance de l’antisémitisme dans un pays pourtant à la pointe du modernisme) disposait naturellement, non seulement à embrasser la deuxième – c’est-à-dire le fait d’aimer des personnes de même sexe – mais également à la lutte pour la normalisation de l’homosexualité, à un moment de l’histoire où avoir des origines juives avait commencé à ne plus être un obstacle à la mobilité sociale.
Évidemment, tant de liberté et d’insolence ne pouvaient rester impunies et les nazis, dans leur piétinement intellectuel, allaient bientôt se charger de leur gâcher la vie : par la terreur et la persécution d’abord, par une entreprise de mort programmée ensuite.
Singularités libres
Ce que raconte l’exposition «Lesbisch, jüdisch, schwul», ce sont ces poches de liberté apparues dans l’entre-deux-guerres et qu’un bon nombre d’homosexuels, souvent juifs, entreprirent d’investir, de penser et de célébrer par leur manière d’être, leur art, leur science ou leurs écrits. Pourquoi juif ? C’est la question de l’antisémite qui ne viendra pas regarder l’exposition.
Quiconque prend le temps de lire les 24 biographies, sous le bourdonnement des néons du grand hall d’exposition du musée de la Résistance, découvrira qu’ici l’accent n’est pas mis sur la judéité ni sur l’homosexualité, mais sur des hommes et des femmes, dont le parcours a été brisé, parfois fatalement, par les nazis, pour la seule raison qu’ils étaient juifs, ce qui aux yeux des nazis était une condition suffisante pour mourir.
C’est là toute la tragédie par exemple d’un Magnus Hirschfeld, médecin et fondateur du premier mouvement homosexuel, contraint d’assister, impuissant depuis son exil, à la destruction de la bibliothèque de son Institut des sciences sexuelles. Ou d’un couple de lesbiennes, comme Alice Ascher et Margot Doctor qui, après avoir quitté la communauté juive dans les années 1920, la réintègre en 1939/40, sur ordre nazi très probablement, avant que toutes les deux ne meurent en déportation à Riga, à une date inconnue. Alice Ascher ayant pris la décision, malgré un affidavit pour les États-Unis, de rester auprès de son amie, qui n’en avait pas.
«Lesbisch, jüdisch, schwul» soulève la question de la différence dans un monde globalisé, où les cultures uniques disparaissent au profit de celles de singularités libres. Et rappelle que le désir de supprimer l’autre naît de l’incapacité d’assumer sa propre différence.
Frédéric Braun
Jusqu’au 1er octobre
L’exposition «Lesbisch, jüdisch, schwul» (lesbienne, juif, gay) montre que de nombreuses juives lesbiennes et de juifs homosexuels appartenaient à la culture homosexuelle vivante des années 20 et ont fourni d’importantes contributions, «largement oubliées», au mouvement d’émancipation des deux groupes.
Exposition en allemand (traduction en français disponible sur place). Visite gratuite du mardi au dimanche de 14h à 18h, jusqu’au 1er octobre.