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Monoparentalité au Luxembourg : la galère en solitaire


Le débat sur la monoparentalité au Luxembourg a été très animé, mardi à la Kulturfabrik, en présence de la ministre Corinne Cahen (à droite). La situation entraîne des bouleversements à tous les niveaux (Photo Julien Garroy).

Le débat organisé mardi soir par le Liser et Le Quotidien à la Kulturfabrik à Esch-sur-Alzette a mis en lumière les nombreuses difficultés auxquelles sont confrontées les familles monoparentales.

J’ai perdu mon emploi. J’ai été assignée par l’Adem pour travailler de 20 h à minuit, mais j’ai dû refuser cet emploi parce que j’ai la garde de mes deux enfants. On m’a donc coupé le chômage. J’ai perdu mon logement. J’ai eu honte d’aller à l’office social, parce que je suis connue dans ma commune car très active dans la vie associative. Et puis, tout prend du temps : les démarches administratives, trouver un logement, les révisions de jugement pour la pension alimentaire… Il y a huit semaines, j’ai fait une tentative de suicide, je suis aujourd’hui à l’hôpital psychiatrique.»
À l’instar de cette maman, qui, en larmes, a partagé son histoire lors du café-débat sur la monoparentalité qui s’est tenu mardi à la Kulturfabrik, les familles monoparentales sont plus souvent touchées que les autres par la précarité et l’insécurité.
La monoparentalité, qui concerne surtout les femmes (dans 8 cas sur 10), double en effet le risque de pauvreté par rapport aux autres familles avec enfants, selon une étude du Liser, l’Institut de recherche luxembourgeois. Et un tiers des enfants vivant en famille monoparentale souffre de déprivation.
Encore trop souvent taboue, la monoparentalité engendre de nombreuses difficultés, voire des injustices.

La fiscalité
Principal cheval de bataille du Collectif monoparental : la révision de la fiscalité, véritable source de discrimination selon la plupart des intervenantes.
Individualiser l’impôt semble être la meilleure solution, un avis partagé par la ministre de la Famille, Corinne Cahen : «Nous avons introduit l’individualisation, mais bien sûr, j’aurais voulu aller plus loin. Les familles monoparentales ne doivent pas payer plus d’impôts qu’un couple sans enfant.»
De même, le crédit d’impôt monoparental devrait être versé automatiquement, estiment les intervenantes. «Il faut actuellement le réclamer. Pourquoi n’est-il pas tout simplement inscrit sur la feuille d’imposition?», interroge Stéphanie Ravat, conseillère économique à la CGSP et membre du Collectif monoparental.
«Les familles monoparentales ont souvent la tête dans le guidon, des revenus bas et sont souvent moins éduquées. Elles ne pensent donc pas à en faire la demande ou ne sont même pas au courant que cela existe.»

Le logement
Le coût excessif du logement constitue par ailleurs la cause principale de la paupérisation de ces familles.
«Dans nos foyers pour victimes de violences domestiques, les femmes vivent dans une chambre avec leurs enfants. Mais lorsqu’elles sortent, on exige qu’elles trouvent une chambre pour chacun d’eux!», témoigne Anik Raskin, chargée de direction du Conseil national des femmes du Luxembourg. «Certaines retournent donc chez leur bourreau!»
«C’est culturel», ajoute Vera dans le public. «Moi je viens d’une culture où on pouvait dormir ensemble dans une chambre et on était heureux.»

L’emploi
«Il faut aussi des moyens pour aider les personnes à travailler», ont martelé les différentes intervenantes.
Selon le Liser, les familles monoparentales sont autant en emploi que le reste de la population avec enfants et ne recourent pas plus au temps partiel.
Mais la séparation peut impliquer de devoir trouver un logement éloigné de son lieu de travail et revoir le mode de garde de ses enfants. «C’est très compliqué, notamment pour les femmes qui travaillent dans la restauration, avec des coupures ou des horaires tardifs, mais également pour les personnes au chômage, qui peuvent être radiées de l’Adem ou perdre le RMG car la loi-cadre sur le chômage ne reconnaît pas le problème de garde d’enfant comme un motif suffisant pour refuser un emploi», signale Élisabeth Keil, du Centre pour femmes, familles et familles monoparentales en détresse.

L’isolement
Au vu du niveau croissant des séparations et des divorces (environ 50 %), il peut paraître étonnant que la monoparentalité soit toujours un sujet tabou. Et pourtant, les familles monoparentales se sentent souvent stigmatisées et isolées.
«Il faut multiplier les débats et informer les services sociaux. La monoparentalité est encore perçue comme une tare», insiste Pascale, qui compte monter un site d’entraide au Luxembourg (lire ci-dessous). Solidarité et entraide : des solutions pour pallier les manquements de l’État.
«Être monoparental, c’est être isolé. Mais ce soir, on se rend compte qu’on n’est pas seul», a conclu un papa dans le public.

Le chiffre

Près d’une famille monoparentale sur deux au Luxembourg vit sous le seuil de pauvreté, contre 33 % en moyenne dans l’Union européenne.
Si le seuil de pauvreté au Grand-Duché est établi à 2 231 euros net par mois pour un adulte avec un enfant, ce qui peut paraître élevé, «ce seuil n’est pas surévalué, parce que le Luxembourg est un pays riche et le coût du logement, qui représente plus de 40 % des dépenses pour 27 % des familles monoparentales, y est excessif», prévient Anne-Catherine Guio, du Liser.

Tatiana Salvan

Témoignage : « La situation encourage les mariages forcés ! »

Pascale, 43 ans, n'hésite pas à faire part de son expérience personnelle (Photo : DR).

Pascale, 43 ans, n’hésite pas à faire part de son expérience personnelle (Photo : DR).

Pascale, la quarantaine, est maman de trois enfants, âgés de 17, 10 et 7 ans, nés de trois pères différents. «J’ai donc connu la monoparentalité trois fois!», s’exclame-t-elle en riant. En effet, si la vie n’a pas toujours été un long fleuve tranquille pour Pascale, elle n’en a néanmoins pas perdu le sourire et possède une farouche détermination.
«Lorsque je me suis retrouvée seule à élever mon premier enfant, ça allait. Avec mon salaire, je vivais toujours assez bien. Avec le deuxième, la situation a commencé à devenir plus compliquée, d’autant que tout le monde ramenait tout au fait que je n’étais pas mariée : si j’arrivais en retard à la crèche, c’était pour cette raison par exemple. Alors je me suis mariée!»
C’est du moins, avec le recul, l’analyse qu’elle effectue des raisons qui l’ont poussée à épouser le papa de son troisième enfant, avec lequel elle est restée mariée trois ans. «À la séparation, là, j’ai vu les vraies difficultés.»

Le logement, quelle galère…
Trouver un logement, d’abord, a relevé du véritable parcours du combattant. «Le papa n’a pas demandé la garde, car il avait la possibilité de vivre en colocation. Mais pour moi, ça a été extrêmement compliqué avec trois enfants : je n’ai qu’un revenu minimum et il faut quatre chambres, l’aînée ayant plus de douze ans et les deux petits étant de sexe différent.»
Pascale a donc dû remuer ciel et terre pour obtenir le logement dans lequel elle vit actuellement. «J’ai harcelé le propriétaire et l’agent! Je leur ai envoyé tout un tas de lettres pour leur expliquer ma situation. À force, ils ont fini par me l’attribuer!»
Éducatrice de profession, elle a aussi accepté de s’éloigner de son lieu de travail et vit désormais dans le nord du pays, ce qui engendre d’autres problèmes.
«S’éloigner de la ville augmente le risque de perdre son emploi car il y a souvent des retards dans les transports. Le système de garde est plus compliqué aussi : on doit partir plus tôt, ou rentrer plus tard, on ne peut pas venir chercher son enfant dans l’heure quand il est malade…»
Toute une organisation à établir, le tout en gérant parallèlement le divorce et autres démarches administratives.

Solidarité et réseau d’entraide
«Par-dessus le marché, il y a toute une période où le papa ne paye pas encore de pension alimentaire et où les impôts continuent d’être prélevés sur le plus faible revenu – donc le mien. C’est un cercle vicieux, on finit par souvent baisser la tête. Quelque part, la situation encourage les mariages forcés : quand on voit ce qui nous attend après un divorce, on reste.»
Mais Pascale est une battante dans l’âme. «J’ai donc cherché des solutions.»
Auprès des travailleurs sociaux, mais aussi sur internet. Elle a d’ailleurs pris connaissance d’un réseau d’entraide au Québec, L’Accorderie, via lequel des particuliers s’échangent des services : «Une heure de garde d’enfants contre la réparation d’une machine à laver par exemple. De l’entraide et de la solidarité, c’est ce dont les familles monoparentales ont besoin.»
Décidée à aider les autres à son tour, Pascale a pour projet de monter un réseau similaire au Luxembourg, «destiné à tous : pour les familles monoparentales, bien sûr, mais aussi pour les seniors, etc.».
Elle échange actuellement avec la fondatrice de L’Accorderie. «Mais il faut un grand collectif», prévient-elle.

T.S.