Le ministre hongrois des Affaires étrangères, Péter Szijjártó, était lundi et mardi à Luxembourg pour défendre la politique menée par son gouvernement.
Péter Szijjártó est un homme très posé. Rien ne laisse transparaître une quelconque animosité contre la communauté LGBT ou la presse. Mardi après-midi, le ministre hongrois des Affaires étrangères a accordé une interview exclusive au Quotidien. Selon lui, le conservatisme du gouvernement de Viktor Orban ferait de la Hongrie une victime du «mainstream occidental».
Vous avez été invité mardi à vous défendre une nouvelle fois devant vos collègues européens sur la procédure engagée envers la Hongrie pour violation des valeurs européennes. Quelle a été la teneur de votre discours?
Péter Szijjártó : Cette procédure engagée contre la Hongrie, mais aussi la Pologne, pourrait être clôturée assez facilement. Toutes les questions ont été évoquées à de multiples occasions et toutes les réponses à ces questions ont été données. Néanmoins, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que ceux qui ont émis les questions se disent satisfaits des réponses obtenues. Du coup, seul un vote à l’échelle du Conseil européen pourra venir trancher cette affaire. Nous continuons à le réclamer sans cesse. Pourquoi laisse-t-on traîner les choses? Selon moi, des motivations politiques sont en jeu. Des élections législatives auront lieu en avril 2022 en Hongrie. Je pense que ceux qui ont déclenché cette procédure veulent la tirer en longueur, au moins jusqu’en avril prochain, afin de mettre la pression et mener de nouvelles attaques contre notre gouvernement.
Vous vous sentez donc attaqué délibérément par une large frange des autres États membres de l’UE?
Nous sommes toujours ouverts au dialogue et à trouver des solutions concrètes. Or si vous vous heurtez dès le départ à de telles déclarations et perceptions, cela n’est pas correct.
Le gouvernement hongrois se sent aussi visé par la clause sur l’État de droit, une nouvelle condition à respecter pour pouvoir avoir accès aux fonds du plan de relance post-covid de l’UE. Pourquoi êtes-vous opposé à ce mécanisme?
D’une manière générale, mélanger l’octroi de fonds européens à des questions politiques n’est pas juste. Les fonds ne tombent pas du ciel. C’est la performance économique du peuple européen qui génère cet argent, dont des Hongrois. Je pense que nous pouvons être fiers de notre économie qui affiche une croissance bien supérieure à celle de la moyenne européenne. Les fonds européens ne sont certainement pas un don humanitaire et il ne s’agit pas non plus d’un don généreux provenant de nos amis de l’Europe occidentale. Comme évoqué, il n’est pas opportun de mélanger l’octroi de fonds à des questions politiques. Car qui va juger si vous faites fausse route ou pas en termes de politique? Il n’existe pas de critères objectifs, car il existe différentes orientations politiques. Les appréciations peuvent diverger fortement, avec en fin de compte le risque de voir les fonds européens devenir un élément de chantage.
Un recours contre ce nouveau mécanisme a été introduit devant la Cour de justice de l’UE. Quelles sont vos attentes?
Nous espérons bien entendu que les juges nous donnent raison. Mais nous nous devons de rester très prudents. Quel que soit le jugement de la Cour, il faudra le respecter.
Cette loi n’a donc rien à voir avec l’orientation sexuelle des adultes
Nous sommes membres de l’UE et nous allons le rester
Depuis la semaine dernière, la Hongrie se trouve sous le feu des critiques en raison de l’adoption d’une loi qualifiée de discriminatoire à l’encontre des personnes LGBT. Avez-vous eu l’occasion de vous expliquer avec vos homologues ou même la Commission européenne durant votre séjour à Luxembourg?
La loi votée par le Parlement hongrois est composée de deux parties. La protection des enfants figure au centre du texte. De un, il s’agit de la protection des enfants contre la pédophilie. Le Code pénal est adapté pour permettre la poursuite très sévère de tout acte de pédophilie. Selon la gravité des faits, le meurtre peut même être retenu pour juger les auteurs présumés de violences sexuelles contre des enfants. De deux, la loi réserve désormais aux seuls parents le droit de diriger l’éducation aux orientations sexuelles de leurs enfants. Cette loi n’a donc rien à voir avec l’orientation sexuelle des adultes. Le texte souligne uniquement qu’il n’appartient pas à des associations, des ONG ou toute autre entité d’éduquer les enfants sur l’orientation sexuelle. Il revient aux seuls parents de décider comment traiter de cette question. Une fois la majorité atteinte, cela ne doit plus nous préoccuper. Il est donc injuste et même douloureux de voir cette loi qualifiée de discriminatoire à l’encontre de personnes LGBT.
Les critiques continuent toutefois d’aller crescendo…
On ne cesse de s’expliquer sur la teneur de cette loi, mais je ne suis pas vraiment sûr qu’un grand nombre de nos interlocuteurs soit disposé à nous écouter.
Cette loi vient se joindre à une très longue liste d’initiatives pour lesquelles la Hongrie se voit reprocher des violations de l’État de droit et de valeurs fondamentales. Êtes-vous uniquement des incompris ou est-ce que le problème se situe ailleurs?
Pour moi, notre idéologie politique est tellement éloignée du courant qui est dominant en Europe que peu importe ce que nous entreprenons, c’est automatiquement qualifié d’antidémocratique ou contraire à l’État de droit. Si vous encouragez une politique qui met aussi fortement l’accent sur les parents et qui fait inscrire dans la Constitution qu’une famille est composée d’un homme et d’une femme mariés qui sont père et mère d’un enfant, cela devient inacceptable pour le mainstream libéral. Ce sont nos principes moraux qui nous placent sous le feu des critiques. Grâce à notre majorité des deux tiers, nous avons plus de libertés que d’autres pays qui souhaiteraient s’engager dans une direction semblable, mais qui connaissent plus de contraintes, car ils se retrouvent dans une coalition plus modérée.
Une partie de la population hongroise s’est toutefois mobilisée contre cette nouvelle loi qualifiée d’ »anti-LGBT ». Prenez-vous en considération les critiques émanant de la rue?
Dans une démocratie, il est très compliqué de faire adopter une loi qui peut donner satisfaction à tout le monde. Ceux qui ont manifesté devant le Parlement sont la preuve vivante que notre démocratie fonctionne. Vous êtes autorisé à vous exprimer librement, vous pouvez défiler dans la rue. En tant que gouvernement, nous comprenons qu’il existe des opinions divergentes. Ce sont toutefois nous qui nous sommes vus confier la mission de gouverner la Hongrie. Il reviendra à la population dans son ensemble de juger notre action lors des prochaines élections.
L’avenir de la Hongrie se situe-t-il toujours dans l’UE?
Absolument. Nous sommes membres de l’UE et nous allons le rester. Notre économie a pu grandement profiter de notre adhésion à l’Union. Rester parmi les 27 est vital pour nous. Notre intérêt est donc de rendre l’UE plus forte. Le modèle actuel qui tend vers une fédéralisation de l’Europe risque cependant de rendre l’UE plus faible. Une UE forte doit être bâtie sur des États membres forts. Il s’agit de notre concept, nous y tenons, même si l’on sait que nous nous trouvons dans la minorité.
Ces propos ne viennent-ils pas confirmer les allégations selon lesquelles la Hongrie est uniquement membre de l’UE pour toucher de l’argent européen?
Selon les chiffres émanant de la Commission européenne, quelque 70 % des fonds européens versés aux pays de l’Europe centrale reviennent dans l’Europe occidentale par le biais de leurs propres entreprises. Oui, nous profitons certainement de l’argent européen, mais l’UE profite aussi de la Hongrie en tant que membre de l’UE. C’est du gagnant-gagnant.
Entretien réalisé par David Marques