Meris Sehovic, président de déi gréng depuis un an, a le sentiment que la pandémie a entraîné des changements de paradigme. Il est d’un grand optimisme et a foi en l’action de son parti.
Énergies renouvelables, engouement pour le vélo, nouvelles formes d’habitat… Meris Sehovic reconnaît que l’«année fut très dure mais pas perdue pour le climat et l’environnement».
Il y a un an, vous avez été élu coprésident de déi gréng, en pleine pandémie, aux côtés de Djuna Bernard. Quelles ont été vos priorités au cours de cette année très particulière ?
Ce qui était important pour Djuna et pour moi, c’était de garder le contact avec nos membres, nos sections locales, nos élus communaux qui sont moins visibles que nos députés. Nous avons organisé une tournée dans les 36 sections locales, d’abord en présentiel puis en visioconférence. L’objectif était de voir comment nos sections se positionnaient, quels étaient leurs besoins et comment le parti pouvait les soutenir dans leur travail. Il s’agissait aussi de voir comment un parti qui devient toujours plus grand peut assurer un programme de formation dans un esprit de responsabilisation de nos activistes. Ensuite, c’est la pandémie qui nous a beaucoup occupés. Pour moi, c’était une leçon d’humilité face à la portée des décisions que nous avons dû prendre et un véritable challenge aussi. Notre objectif était toujours d’assurer un équilibre entre mesures sanitaires et libertés fondamentales des citoyens. Aucune des décisions que nous devions prendre n’était facile avec un discours scientifique qui ne cessait d’évoluer.
Les verts se sont construits justement en partant d’une politique locale, mais ce bilan reste moins visible. Pourquoi ?
Nous avons décidé de mieux communiquer sur les actions de nos sections locales. L’accent a prioritairement été mis auparavant sur le bilan de nos élus à la Chambre, au Parlement européen et de nos membres au gouvernement. Je constate que nos activistes sont très engagés au niveau local et œuvrent chaque jour pour la transition écologique et l’amélioration de la qualité de vie dans leurs communes. En tant que président du parti, je veux soutenir cet engagement et renforcer les liens entre le niveau local et le niveau national. Il faut en effet mieux rendre compte à l’extérieur des résultats de nos engagements au niveau local, car cela a un impact direct sur le quotidien des citoyens et c’est très concret.
Cette pandémie a donné de l’espoir à ceux qui appellent à un changement dans nos comportements de consommateurs. Avez-vous observé de nouveaux paradigmes ?
Cette crise a montré surtout comment ne pas faire de la politique climatique : enfermer les gens chez eux, mener une politique d’abstinence ordonnée par le gouvernement. Certes, il a fallu le faire pour des raisons sanitaires mais pour moi la politique climatique doit rassembler les gens et transmettre l’optimisme. Je prends toujours l’exemple des coopératives énergétiques qui sont de magnifiques exemples d’engagement citoyen pour le climat et qui comportent un volet social en ce sens qu’elles rassemblent des gens autour d’un projet commun. Concernant le changement de paradigme, je crois que ces derniers mois, les citoyens ont revu leurs priorités. Finalement on a redécouvert les plaisirs des balades en forêt, de la consommation en circuits courts, l’importance de s’entourer de ses amis, de sa famille, de ses voisins et ça me rend optimiste. Le vélo est devenu l’enfant chéri des Luxembourgeois. Il faut aussi constater un boom de la mobilité électrique qui a été acceptée par la population, comme nous le montrent les nouvelles immatriculations. Idem pour la politique énergétique : en 2019, nous avions réussi à installer trois fois plus de panneaux solaires que l’année précédente et cette tendance à la hausse se confirme en 2020 même pendant la pandémie. Finalement, le contexte international avec les plans de relance a radicalement changé en faveur des investissements pour la transition écologique. Ce fut une année très dure mais pas perdue pour le climat et l’environnement.
Sur le solaire, on a révolutionné le système des aides publiques, de l’autoconsommation…
Pourtant, produire un véhicule électrique demande plus d’énergie et émet deux fois plus de gaz à effet de serre que de produire un véhicule thermique, selon une conclusion commune à une centaine d’études sur le sujet…
Dans la plupart des études, on part sur le mixte énergétique tel qu’on le connaît aujourd’hui. Le déploiement de la mobilité électrique va de pair avec le déploiement de l’énergie renouvelable. L’image change complètement en faveur de l’électromobilité si on prend en compte la durée de vie entière des véhicules et les améliorations du bilan énergétique lors de la production. Aujourd’hui déjà, des constructeurs s’engagent à produire des véhicules électriques à base d’énergie 100% renouvelable. Or l’électromobilité ne facilite pas que la transition dans le secteur des transports, elle est aussi un vecteur important pour améliorer la qualité d’air et réduire la pollution sonore dans nos villes.
Le problème des batteries reste-t-il entier ?
La Commission européenne a finalement émis une proposition de législation pour améliorer la performance environnementale des batteries. C’est valable pour toutes les batteries qui contiennent des matières rares dont l’extraction demande beaucoup de ressources. On aura désormais un label qui assure leur efficacité énergétique ainsi que leur recyclage et qui informera les consommateurs sur l’empreinte carbone. Dans le futur, il sera obligatoire de garder dans l’Union européenne les matières rares pour les réutiliser afin de nous rendre moins dépendants de leur importation. Je suis convaincu que nous sommes sur la bonne voie.
L’éolien n’a pas très bonne presse. Les riverains notamment dénoncent une pollution visuelle et sonore mais environnementale aussi…
Déjà au Luxembourg, on n’installe pas des éoliennes n’importe où, il y a une réflexion poussée sur leur localisation. Pour assurer l’acceptation de tels projets, une participation citoyenne est indispensable. Une idée que je soutiens et qui a déjà été retenue dans certains projets est d’impliquer davantage les communes dans la planification et les revenus financiers de l’éolien. Il est clair que nous avons besoin d’énergie éolienne au Luxembourg si on veut se passer du nucléaire. En même temps, la coopération européenne est importante parce que nous devons penser le réseau électrique au niveau européen et non pas strictement au niveau national. Ainsi, dans le cadre du Forum pentalatéral, le Luxembourg s’engage pour des projets communs dans la mer du Nord et les progrès sont énormes aussi. Comme dans toute politique, il faut chercher l’équilibre et je crois qu’au Luxembourg, on le gère assez bien. L’acceptation pour l’éolien est assez grande.
L’énergie solaire a le vent en poupe, comme vous l’avez souligné. Se dirige-t-on vers une autoconsommation plus généralisée ?
Claude Turmes a proposé des modifications de la législation favorisant l’autoconsommation de l’électricité produite et c’est déjà en place. C’est magnifique de consommer l’électricité que l’on produit. Si on regarde dans un futur proche, nous avons aujourd’hui les premiers modèles de voitures électriques où la batterie du véhicule peut fournir de l’énergie pour la maison. Nous arrivons vraiment dans une nouvelle ère où l’énergie du futur provient d’un réseau décentralisé. Tout le monde peut faire partie de ce réseau, on parle d’une démocratisation de la production énergétique et c’est fascinant. En Allemagne, 90% de l’énergie fossile est entre les mains de quatre grandes entreprises. Pour le renouvelable, c’est l’inverse, 90% sont entre les mains des coopératives, des petites entreprises, des agriculteurs, etc.
Le Luxembourg est-il sur la même voie ?
Oui. Le ministre de l’Énergie a présenté la semaine dernière à la Chambre la stratégie biogaz pour que les agriculteurs soient des acteurs de ce nouveau monde de l’énergie. Sur le solaire, on a révolutionné le système des aides publiques, de l’autoconsommation, etc. On constate un boom du solaire, c’est très positif.
L’autre engouement c’est le vélo. Dans un pays où la voiture est reine, peut-on envisager d’inverser la tendance ?
C’est une question de choix politique. Si on veut faire en sorte que les gens se déplacent à vélo, il faut en faire un moyen de transport sécurisé et le meilleur moyen est de réserver des pistes séparées, exclusives pour les vélos là où cela reste possible. Je suis très heureux de constater que là où l’État construit, comme le chantier du tram, nous avons en parallèle des belles pistes cyclables. Il y a une grande volonté de la part du gouvernement de développer davantage les pistes cyclables. Mais nous avons aussi besoin des communes et je leur adresse un message clair : réserver des pistes cyclables est une situation gagnant-gagnant. Réduire l’espace pour les voitures augmente la qualité de vie et entraînera de facto une réduction des véhicules sur les routes parce qu’il y aura plus de monde à vélo. Il ne faut pas que les responsables communaux hésitent parce que les citoyens sont déjà en avance sur eux et ils ont déjà embrassé ce changement. Nous avons déjà de belles initiatives comme le “Vëlosummer” qui est un bon début. L’année passée, une vingtaine de communes ont participé et l’intérêt va grandissant. Il y a encore du travail, c’est vrai, nous devrions nous trouver à un stade beaucoup plus avancé.
Surtout dans la capitale ?
C’est le résultat d’une non-réflexion sur le sujet. François Benoy, notre conseiller communal en ville, a présenté il y a quelques semaines une carte de la capitale avec un réseau cyclable connecté. On a déjà l’axe central avec le tram et ses pistes, il faut maintenant connecter les quartiers à cet axe et c’est tout à fait possible comme l’a démontré son plan très réaliste. Ce qu’il manque, c’est la volonté politique du collège échevinal mais j’ai bon espoir pour la Ville de Luxembourg avec un François Benoy comme futur bourgmestre (il sourit).
Au chapitre du logement, il y a un modèle d’habitat très écolo avec les tiny houses, ces petites maisons mobiles, mais le ministère reste encore très frileux sur cette question, pourquoi ?
Pour moi, les tiny houses vont de pair avec la colocation ou encore les initiatives de coopératives. Il y a une demande et sur ces nouvelles formes de cohabitation, il y a beaucoup d’opportunités. Il y a une volonté de ma génération d’imaginer des nouveaux modèles de vivre ensemble. Henri Kox, par la réforme du bail à loyer et pour la première fois dans l’histoire du Luxembourg, a introduit des dispositions pour soutenir la colocation. Les tiny houses, c’est un modèle fascinant parce qu’il comporte un style de vie totalement différent qui se dégage du tout matérialisme pour se concentrer sur l’essentiel. Je ne pense pas que ce genre d’habitat va résoudre la crise du logement qui aujourd’hui est surtout liée au manque de logements publics et abordables, mais c’est certainement une pièce du puzzle. C’est une alternative qu’en tant qu’écolo, j’observe avec beaucoup d’intérêt. Je pense qu’il faudra faire un effort pour faciliter leur implantation, notamment en modifiant les règlements des bâtisses dans les communes.
Entretien avec Geneviève Montaigu