Si sa réédition est autorisée en Allemagne depuis le 1er janvier, Mein Kampf est toujours interdit au Luxembourg. Son édition critique annotée a pourtant été vendue dans des librairies du pays.
Non, Hitler n’a pas gagné. La preuve : il est devenu aujourd’hui une marchandise comme une autre, valorisée selon ce qu’il rapporte en termes de chiffre d’affaires. Il n’est donc pas étonnant de voir que les librairies Ernster, comme viennent de nous l’apprendre nos confrères de RTL, ont décidé de braver l’interdit grand-ducal de commercialiser la première édition annotée de Mein Kampf , en la vendant «sur demande» comme le précisait le directeur général, Fernand Ernster devant nos confrères, mercredi.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement militaire américain avait confisqué les avoirs d’Adolf Hitler, dont les droits d’auteur de Mein Kampf , qui sont passés ensuite au Land bavarois qui a interdit la réédition du célèbre manifeste nazi. En janvier 2016, 70 ans après la mort de son auteur, les droits d’auteur ont expiré. L’Institut d’histoire du temps présent (IfZ) de Munich, qui en assure la publication scientifique, en est à sa troisième réimpression. Jusqu’à fin février, environ 24 000 exemplaires ont été écoulés.
La loi luxembourgeoise interdit la publication ou la vente d’écrits incitant à la haine et à la violence. Une définition qui s’applique «sans doute» aussi au manifeste du Führer, comme l’avait estimé Xavier Bettel dans sa réponse à une question parlementaire en novembre dernier. Par conséquent, toute réimpression ou vente de Mein Kampf est à considérer comme illégale et susceptible de poursuites judiciaires, comme le rappelait aux libraires une circulaire du gouvernement.
«Défendre le métier de libraire»
La position ferme, sinon anachronique, du ministère d’État en avait surpris plus d’un, car rien n’empêchera les Luxembourgeois de se procurer la réédition scientifique sur un site de vente en ligne. Mais il est tout aussi surprenant de constater que la direction des librairies Ernster, plutôt que d’annoncer publiquement son acte réfractaire, ait préféré attendre qu’un média en fasse la découverte.
«La demande n’est pas faible» , s’est défendu Fernand Ernster sur RTL, avant d’assurer que les vendeurs veilleraient «bien sûr à s’assurer de qui achète le livre et pour quelles raisons» . De toute façon : «La censure appartient au client.» Or la question n’est pas tellement de savoir pourquoi un libraire luxembourgeois veut vendre l’édition scientifique du manifeste d’un des plus grands tueurs en série, mais plutôt pourquoi il choisit de le faire sous le manteau. Fernand Ernster dit craindre que l’interdiction au Luxembourg de ce livre, qui connaît un «grand succès» en Allemagne, puisse être comprise comme une «incitation à la concurrence déloyale» à destination des libraires allemands.
L’argument est faible, d’autant plus que c’est précisément là le reproche qui pèse à présent sur lui et ses librairies, soupçonnées d’avoir tiré profit de la situation. Comme l’a expliqué lui-même Fernand Ernster, mercredi, il y a des collectionneurs allemands prêts à débourser entre 300 et 400 euros pour un exemplaire de la première édition de janvier 2016, désormais épuisée.
Il est permis de douter que les librairies Ernster aient été les seules au Luxembourg à profiter de l’occasion, de la même manière qu’il faut se demander pourquoi les librairies Ernster devraient en payer les frais. «RTL a tout exagéré» , a estimé face au Quotidien Fernand Ernster qui «espère que la situation se calmera» et dit n’agir de la sorte que pour «défendre (son) métier» . La liste d’attente ne fait qu’augmenter de jour en jour, le livre, lui, est épuisé pour le moment.
Frédéric Braun
Repère
Commencé en 1924, lors de sa détention à la prison de Landsberg à la suite du putsch de la Brasserie, Mein Kampf. Eine Abrechnung (Mon combat – bilan) a été conçu par Hitler comme un outil pour s’imposer comme un personnage incontournable dans les milieux nationalistes.
Au moment de la rédaction, son auteur est criblé de dettes, les frais d’avocat l’ayant à peu près complètement ruiné. Le livre, qui paraîtra en deux volumes, se veut à la fois biographie, manifeste et règlement de comptes. Il respire l’esprit de revanche et le désir de domination, ses pages regorgent de propos haineux, racistes, anti-Tziganes et antisémites.
Au début, le succès du livre reste appréciable, mais avec la nomination de Hitler comme chancelier en 1933, les ventes décollent et feront de l’auteur de Mein Kampf un homme riche.
Bravo au libraire on ne peu pas se prendre pour un defenseur de la liberté d expression et censurer des livres quel qu il soit