Le fléau du XXIe siècle? Dans nos sociétés vieillissantes, cette maladie faucheuse de neurones fait toujours plus de ravages. Mais un jeune chercheur du LCSB de Belval a trouvé une piste prometteuse. Rencontre.
En janvier dernier, le Dr Enrico Glaab annonçait la découverte d’une cible potentielle pour les traitements contre Alzheimer. Il revient sur les enjeux de la recherche contre cette maladie qui empoisonne la vie de plus de 6 000 personnes au Luxembourg.
Encore un flop dans la recherche contre Alzheimer. Il y a quelques jours, le laboratoire pharmaceutique américain Merck a stoppé ses essais sur un traitement expérimental pourtant jugé prometteur. Ce traitement «n’a pratiquement aucune chance d’obtenir un effet clinique positif», a-t-il déploré. Nouvelle douche froide pour les malades et leurs familles, après celle du laboratoire Eli Lilly, qui a abandonné il y a trois mois un autre traitement expérimental…
Depuis 1906, date de sa première description par le médecin Alois Alzheimer, la science se casse la tête à vaincre cette maladie neurodégénérative. Verdict : incurable.
Pas de quoi décourager le Dr Enrico Glaab, un jeune chercheur originaire de Francfort que nous avons rencontré à Esch-Belval. Randonneur et adepte de géocaching à ses heures perdues, il planche le reste du temps sur cette grande énigme médicale qui défie le XXI e siècle.
«Alzheimer devrait être bien plus étudiée»
« J’ai des raisons personnelles, car comme beaucoup de personnes, je connais des individus touchés par cette maladie. Et, bien sûr, en tant que scientifique, comprendre une maladie qui affecte le cerveau m’intéresse. Je pense d’ailleurs que cette maladie n’a pas la priorité qu’elle devrait avoir. Elle devrait être bien plus étudiée, car elle offre la possibilité de découvertes fondamentales sur le fonctionnement du cerveau humain », s’enthousiasme Enrico Glaab, qui ajoute : « Trouver un moyen de guérir cette maladie pourrait être très important dans le futur, car nous vivons dans une société de plus en plus âgée, et les maladies comme Alzheimer vont se multiplier. »
Voilà donc trois ans que ce chercheur de 34 ans mène son enquête dans les laboratoires du Luxembourg Centre for Systems Biomedicine (LCSB) à Belval. En janvier dernier, il a annoncé avoir trouvé une piste potentielle contre Alzheimer, en partant d’un constat : « Quand on est à un âge avancé, le risque de développer la maladie d’Alzheimer est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. »
Le Dr Glaab et son équipe ont donc analysé des milliers d’échantillons pour trouver un gène qui aurait une influence déterminante dans les différences constatées entre les hommes et les femmes. Et ils sont tombés sur USP9. Ce gène influe sur un autre au nom tout aussi fleuri, le gène MAPT (protéine tau associée aux microtubules), « qui est lui déjà suspecté de jouer un rôle important dans le déclenchement d’Alzheimer ».
Pour faire simple (autant que possible), chez les malades, ces protéines tau deviennent une sorte de pelote filamenteuse qui se dépose entre les cellules cérébrales et perturbe leur fonctionnement : voilà comment les troubles liés à Alzheimer peuvent apparaître.
Or, en inactivant le gène USP9, les chercheurs ont réussi à freiner significativement le gène MAPT!
Bien sûr, ce n’est qu’une première piste, testée ici en culture cellulaire et lors d’expériences sur des poissons-zèbres. Il reste encore une montagne à franchir : prouver qu’« on peut agir sur la protéine tau en modulant ce gène USP9 » chez l’homme, et donc espérer proposer un nouveau traitement bien plus efficace pour combattre Alzheimer.
Encore un long chemin à parcourir…
Et vu la complexité – et les risques – de telles manipulations, « on est encore très loin d’essais cliniques », reconnaît volontiers le chercheur, qui n’imagine pas le développement – hypothétique – de médicaments avant une quinzaine d’années. « Mais il arrive parfois que cette durée soit raccourcie, si on a la chance de trouver un médicament existant qui a déjà les effets souhaités », précise-t-il.
D’ailleurs, « on ne cherche pas seulement à créer des médicaments pour soigner la maladie, mais aussi à améliorer sa détection, en développant de nouveaux outils diagnostics. Car si vous pouvez identifier la maladie suffisamment tôt, vous avez aussi une meilleure chance de soigner les malades. »
En tout cas, les premiers résultats du Dr Glaab et de son équipe ont suscité l’intérêt : « On a des retours d’autres scientifiques. Il y a d’autres chercheurs au Luxembourg avec qui on partage nos données. Des chercheurs étrangers, notamment aux États-Unis, se sont dits intéressés par nos recherches et veulent voir comment on peut collaborer ensemble. »
Qui sait jusqu’où ses travaux le mèneront?
Romain Van Dyck
Pourquoi le Luxembourg ?
« Quand je suis arrivé à Belval, il y a cinq ans, c’était un peu un désert ici. Beaucoup des commerces étaient fermés. Et c’est impressionnant de voir comment cet endroit s’est développé, avec maintenant l’arrivée des étudiants de l’université », s’enthousiasme le Dr Enrico Glaab.
Pourquoi avoir choisi le Luxembourg, justement? « Parce qu’on trouve ici les infrastructures nécessaires pour réaliser les analyses mathématiques très complexes. On trouve aussi ce qu’il faut pour mener des expérimentations. Par exemple, pour celles qu’on a mené sur le poisson-zèbre, il y a un laboratoire consacré à ça au LCSB .»
«Cette maladie reste taboue»
L’Association Luxembourg Alzheimer (ALA) veut libérer la parole sur Alzheimer au Luxembourg.
« La recherche n’avance pas comme on l’aimerait, c’est sûr », déplore Denis Mancini, membre du directoire de l’Association Luxembourg Alzheimer (ALA).
« On ne sait toujours pas agir sur les causes de la maladie, seulement sur ses symptômes. Or les traitements sont très limités à ce jour. On a des médicaments dits antidémentiels qui améliorent la transmission des signaux entre les cellules nerveuses. Ils ont un impact positif sur la mémoire, l’orientation, le langage, mais uniquement pendant quelques mois ou années. Après, il faut recourir à d’autres médicaments qui ciblent davantage le comportement, comme les neuroleptiques, ou des troubles de type perte de mobilité… »
Denis Mancini se réjouit néanmoins que les « diagnostics soient plus fréquents et efficaces. On sait désormais qu’il y a plus de 50 formes de démences, dont 10 % sont réversibles. » À la différence d’Alzheimer, qui fait hélas le plus de ravages…
«On en parle moins au Luxembourg»
« Les démences secondaires, non dégénératives, sont parfois liées à des carences en vitamines ou à une dépression sévère. Donc là aussi, il est important d’avoir un diagnostic précoce. »
L’ALA dispose de six foyers de jour pour la prise en charge des malades (environ 120 individus), ainsi que d’une maison de séjour et de soin. « On a une liste d’attente de 200 personnes pour cette maison », précise Denis Mancini.
Pourtant, « il y a toujours un tabou sur cette maladie au Luxembourg. Par exemple, quand vous regardez ailleurs dans le monde, il y a beaucoup de personnes célèbres qui témoignent de leur maladie, qui ne s’en cachent pas. Au Luxembourg, ce n’est pas le cas, on en parle moins. Il y a un travail à faire là-dessus, c’est évident », plaide-t-il.
Justement : l’association, qui fête ses 30 ans, prévoit plusieurs actions de sensibilisation cette année.
Plus d’informations sur le site www.alzheimer.lu
6000 malades au Luxembourg
Une personne sur vingt parmi les plus de 65 ans, mais une personne sur six à partir de 85 ans : la maladie d’Alzheimer se hisse en quatrième position des causes de mortalité en Europe de l’Ouest. Au Luxembourg, on estime à 6 000 le nombre de malades.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, plus de 36 millions de personnes dans le monde sont atteintes de démence, dont une majorité de la maladie d’Alzheimer. Ce nombre devrait tripler d’ici 2050 à 115,4 millions si aucun traitement efficace n’est découvert.
La maladie en bref
La perte de mémoire bien connue survenant avec l’âge ne doit pas être assimilée à une pathologie démentielle.
La maladie d’Alzheimer se caractérise par la destruction progressive des cellules cérébrales et de leurs liaisons (neurones et synapses). Les cerveaux des patients atteints par la maladie présentent des dépôts protéiques connus sous le nom de plaques amyloïdes.
Les symptômes de cette maladie sont les suivants : troubles de la mémoire, désorientation, troubles de la parole, altération des facultés de raisonnement et de jugement, et même changements de personnalité. La probabilité de développer la maladie d’Alzheimer augmente significativement avec l’âge.