Une étude s’est intéressée à l’impact de la crise sanitaire sur les usagers de drogues à haut risque. Résultat : les habitudes de consommation n’ont pas significativement changé.
Ils vivent en marge de la société. Mais comme tout autre citoyen, les toxicomanes sont depuis près d’un an confrontés aux répercussions de la pandémie de coronavirus. « Le confinement est venu perturber le marché illicite de stupéfiants. Les dealers ne pouvaient plus être en rue. Les dépendants, tentés par d’autres substances de moindre qualité, ont été exposés à un plus grand risque », note Nadine Berndt, à l’origine d’une étude spécifique sur l’impact de la crise sanitaire sur les pratiques de consommation des usagers de drogues à haut risque.
L’étude menée entre juin et août 2020 a été portée par le Point focal luxembourgeois de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies. L’objectif de cette étude inédite était de mieux comprendre les risques et défis auxquels les toxicomanes sont confrontés en cette période de crise sanitaire. « Les usagers de drogues développent des comportements à haut risque en matière d’infections. Citons le partage de matériel d’injection mais aussi un système immunitaire défaillant », indique Nadine Berndt.
Les prix ont explosé
C’est avec le concours des structures pour toxicomanes (Abrigado, Jugend-an Drogenhëllef) et de leurs assistants sociaux que 120 usagers de drogues ont pu être interrogés sur les substances consommées, leurs habitudes de consommation, leurs modes de vie, l’accès et le recours à des traitements de substitution ou à des permanences médicales, les comportements à risque et l’appréciation de l’impact de la crise sur le marché des stupéfiants.
Première conclusion majeure : les habitudes de consommation n’ont pas significativement changé, en dépit du fait que l’offre a momentanément diminué et que les prix ont explosé. Les substances les plus consommées demeurent les opiacés, notamment l’héroïne (environ 60 %), et la cocaïne (environ 30 %). En parallèle, la consommation d’alcool est partie à la hausse (+21,7 %). « Cela a aussi quelque chose de positif. Les usagers de drogues n’ont pas consommé de substances synthétiques, nettement plus dangereuses », fait remarquer Nadine Berndt.
Le partage de matériel est lui aussi resté de mise. Mais les épisodes de surdosage semblent avoir diminué depuis le début de la crise sanitaire. L’étude fait état d’une baisse de 19,5 %.
Lieux de repos insuffisants
Sur le plan psychologique, près de la moitié des usagers de drogues (48,3 %) affirment avoir développé des comportements violents. Un sentiment de vulnérabilité et d’exclusion sociale s’est fait remarquer auprès de 38,3 %. Globalement, ils estiment suffisantes les offres de services et aides disponibles. L’étude cite l’offre de matériel hygiénique, appréciée par 59,2 % des usagers de drogues interrogés, les soins médicaux (57,5 %), la disponibilité des salles de consommation supervisées (55,8 %), la mise à disposition de nourriture et de boissons (52,5 %), le traitement de substitution (43,3 %) et la fourniture de seringues (41,7 %). Sont par contre jugés insuffisants les lieux pour se confiner (40,8 %), pour l’hygiène personnelle (37,5 %) et pour dormir (24,2 %).
L’âge moyen des 120 toxicomanes ayant participé à l’étude est de 42,7 ans. Une grande majorité sont des hommes (76,7 %). La plupart des répondants sont nés au Luxembourg (51,7 %). Un tiers se retrouve dans une situation de vie instable ou est sans logement (31,6 %). Ils sont ainsi 40,4 % à affirmer qu’ils ne sont pas en mesure de respecter les mesures de confinement. Par contre, un tiers des répondants (32,8 %) s’est soumis à un test Covid.
«Cette étude a permis une meilleure compréhension de l’impact de la crise du Covid-19 sur différentes sphères de vie des usagers de drogues à haut risque (UDHR). Cette évaluation est importante à des fins de surveillance et afin d’optimiser les réponses à apporter à moyen et à long terme pour répondre de manière holistique aux besoins de santé mentale, physique et sociale des UDHR pendant la crise sanitaire (…) et au-delà», peut-on lire dans le rapport final de l’étude. Il y est toutefois précisé qu’«il est probablement trop tôt pour en tirer des conclusions solides. Néanmoins, les permanences médicales et la substitution bas seuil sont des offres indispensables en temps de crise sanitaire et au-delà.»
David Marques