La crise sanitaire a fortement dégradé le bien-être des travailleurs. Et aujourd’hui, 1 travailleur sur 3 présente un risque de dépression.
«Les gens vont mal. Ils vont de plus en plus mal.» Cette phrase, Nora Back l’a lancée mardi en tant que présidente de l’OGBL lors du comité national du syndicat. Et elle l’a répétée mercredi en tant que présidente de la Chambre des salariés du Luxembourg (CSL) lors de la présentation du «Quality of work index 2020», le huitième du nom, en ajoutant que «la troisième vague de la pandémie risque d’être psychologique».
Dévoilés mercredi, les résultats de l’indice luxembourgeois pour la qualité de travail et le bien-être des salariés attestent les dires de Nora Back. L’indice global de qualité de travail a significativement diminué par rapport à 2019 (53,5 points contre 55,4) et il se retrouve même à son plus bas niveau depuis le lancement de cette enquête, dont la première édition date de 2014. La crise du Covid-19 a donc un impact extrêmement négatif sur les salariés et notamment sur leur santé mentale.
«Pas de vaccin contre la détresse»
L’impact de la crise sanitaire «est très clair et montre que les mesures de santé non seulement accompagnent notre vie quotidienne mais interfèrent massivement dans la vie des salariés que nous sommes et ont un impact négatif considérable sur notre vision de la vie professionnelle ainsi que sur notre bien-être», peut-on lire dans les conclusions de l’étude.
«Avec le niveau de bien-être général en déclin, le risque de dépression augmente également, est-il noté dans l’étude. La part de participants à l’enquête présentant un risque élevé de dépression est passée de 8 % en 2019 à 11 % en 2020, et la proportion de salariés dont l’état de bien-être émotionnel est détérioré et qui présentent un risque modéré de dépression est de 21 % (19 % en 2019). Désormais, un travailleur sur trois présente un risque de dépression, et plus de 1 sur 10 présentent des signes très forts de dépression.»
L’étude souligne également que «la fatigue face aux restrictions permanentes, la peur de la situation et de l’avenir incertain, l’agitation, la colère créent un environnement qui alimente la peur du complot, suscitent la paranoïa et favorisent l’aggravation des addictions de toutes sortes. En effet, lorsque les gens sont stressés ou s’ennuient, ils ont tendance à augmenter la consommation d’un produit (alcool, tabac, drogues, sucre…) ou la pratique d’un comportement (jeux d’argent, écrans, etc.)». Et David Büchel, conseiller de direction à la CSL, qui a présenté l’ensemble de l’étude mercredi, poursuit en soulignant que «s’il y a un vaccin contre le coronavirus, il n’y a pas de vaccin contre la détresse psychologique». Nora Back complète : «Elle concerne tout le monde : les salariés mais aussi les étudiants ou encore les personnes âgées. Elle doit être prise en compte.» Dans la conclusion de l’étude, il est demandé «de renforcer le dépistage et la surveillance pour traiter les troubles psychologiques et la toxicomanie, de continuer et de renforcer les services d’aides psychologiques mis en place pendant la crise».
Le télétravail très apprécié
L’indice luxembourgeois pour la qualité de travail et le bien-être des salariés ne s’est pas uniquement penché sur la santé mentale des salariés. La crise sanitaire a changé les façons de travailler avec le recours massif au télétravail pour certaines catégories de travailleurs, le travail sur le terrain aux avant-postes (en première ou seconde ligne) ou le chômage partiel pour d’autres. L’étude se penche ainsi sur «les deux visages du monde du travail en temps de pandémie». Avec, d’un côté, les salariés qui ont continué de travailler sur le terrain «dans des conditions de travail plus pénibles que d’habitude à cause des protocoles sanitaires et avec une exposition aux risques sanitaires», souligne l’étude. Et, de l’autre côté, les salariés qui ont pu se mettre au «télétravail sans trop de restrictions techniques et de pertes de salaire, mais au prix d’un niveau de stress et d’un déséquilibre entre vie privée et vie au travail plus élevés».
Néanmoins, «8 répondants sur 10 ayant au moins parfois travaillé chez eux en 2020 sont favorables à l’idée de continuer à travailler de temps en temps en télétravail. Et deux tiers (65 %) de ceux qui n’ont pas pu faire de télétravail ont exprimé leur intérêt pour le travail à domicile». Un quasi-plébiscite pour le télétravail en somme.
Guillaume Chassaing
Une campagne de prévention se prépare
Au début, cela devait être un colloque sur la santé au travail mais, finalement, la Chambre des salariés du Luxembourg (CSL) prépare une campagne de prévention plus large. Cette campagne, actuellement en préparation, devrait concerner les accidents du travail, le mobbing, le burn-out… et revêtir diverses formes. «C’est l’une de nos grandes priorités cette année», souligne la présidente de la CSL, Nora Back.
La méthode du «Quality of work index»
Depuis 2013, la Chambre des salariés (CSL), en collaboration avec l’université du Luxembourg et l’Institut de recherche sociale Infas, interroge régulièrement les salariés au Luxembourg dans l’enquête représentative Quality of work Index Luxembourg (QoW) sur leurs conditions de travail et la qualité de travail au Grand-Duché. Les sujets de l’étude QoW sont, entre autres, les exigences et les charges de travail, les heures de travail, la coopération entre collègues, les marges de manœuvre au travail, les possibilités de formation continue et d’avancement, la participation aux décisions dans les entreprises et bien plus encore.
L’enquête s’adresse à la fois aux travailleurs résidant au Luxembourg et aux travailleurs frontaliers résidant en Belgique, en France ou en Allemagne. L’enquête est menée depuis 2014 par l’Institut des sciences sociales appliquées (Infas, Bonn, avec une succursale au Luxembourg), pour le compte de la CSL. Entre juin et septembre 2020, 2 364 personnes âgées de 16 à 64 ans qui ont un emploi régulier de 10 heures ou plus par semaine ont participé à l’enquête (44,6 % de résidents et 55,4 % de frontaliers). Ces personnes ont été choisies au hasard. Les entrevues se déroulent par téléphone et sont assistées par ordinateur (ITAO) et peuvent également se faire par un questionnaire en ligne. Disponible en cinq langues (luxembourgeois, français, allemand, portugais et anglais), le questionnaire se compose de plus ou moins 150 questions sur les conditions de travail et le bien-être liés à l’activité professionnelle.