Les appels à la détresse se sont accentués depuis le début de la crise sanitaire auprès du Kanner-Jugendtelefon. Principal constat : la santé psychosociale s’est dégradée.
La ministre de la Santé, Paulette Lenert, ne cache pas l’impact de la crise sanitaire sur la jeune génération. «Pas plus tard que ce matin, j’ai eu connaissance du cas d’un jeune qui s’est suicidé», avait-elle confié le 5 avril, au moment d’annoncer l’assouplissement des restrictions anti-Covid. Depuis dimanche, les possibilités de se rencontrer ou de se défouler sont à nouveau plus grandes. Une bouffée d’air qui est la bienvenue, comme le souligne Charel Schmit, l’Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher : «La jeunesse est exposée depuis le début de la crise sanitaire à une pression énorme. Très peu de concessions ont été faites à leur égard.» Le défenseur des droits des enfants et des adolescents salue donc le fait que «la pandémie a enfin permis de mettre l’accent sur la santé mentale des jeunes».
Le confinement, l’enseignement à distance, le contact (trop) rapproché avec la famille, le manque de loisirs et de contacts sociaux : les facteurs de stress se sont multipliés depuis mars 2020. Le rapport annuel du Kanner-Jugendtelefon (KJT), une des principales plateformes d’aide et de conseil pour la jeune génération, permet d’avoir une idée plus concrète de l’impact du Covid sur les enfants, les adolescents, mais aussi sur leurs parents.
La peur, la solitude et l’inquiétude ont le plus souvent gagné les 1 589 jeunes et parents qui ont contacté en 2020 les services du KJT. Un chiffre inférieur à celui de 2019, où 1 713 prises de contact avaient été comptabilisées. Mais la durée et l’intensité des contacts ont cependant «fortement augmenté». «Le bien-être psychologique a été considérablement affecté», constate Barbara Gorges-Wagner, la chargée de direction du KJT.
Les équipes qui permettent aux jeunes en détresse de s’exprimer de manière confidentielle et anonyme se disent effrayées par «le doublement des contacts à cause de pensées suicidaires». Plus concrètement, 46 prises de contact, contre 23 en 2019, ont concerné des pensées suicidaires latentes ou aiguës. Les cas de dépression sont aussi en hausse (de 8 à 16 cas). D’une manière plus globale, les problèmes de santé psychosociale et mentale ont dominé à la fois les contacts par téléphone (115 appels) et les contacts en ligne (147 messages).
«De nombreux facteurs de stress»
«Les enfants et les jeunes atteignent leurs limites, ils souffrent visiblement de la situation, leur bien-être est perturbé. Ils sont confrontés à une situation dans la pandémie qui est radicalement opposée à leurs besoins», note le rapport annuel du KJT. «Les nombreux facteurs de stress conduiront de plus en plus souvent à des situations de crise nécessitant un accompagnement et une aide spécialisée», note Barbara Gorges-Wagner. Il s’agit de la seconde étape après une première prise de contact. «Le KJT est un important maillon dans la chaîne de prévention. Il s’agit d’une porte d’entrée vers le réseau d’aide psychosocial. Son concept basé sur la discrétion peut faciliter une prise de contact qui n’est jamais une chose aisée», fait remarquer Charel Schmit.
Ce n’est cependant pas la première fois que la santé mentale figure en haut des problèmes rencontrés par les jeunes. «Il ne s’agit pas d’un nouveau phénomène, mais le Covid est venu aggraver la situation. Il est triste de voir autant de jeunes présenter de si graves symptômes», indique Mathis Godefroid, le président du Jugendrot, une plateforme représentant plus d’une trentaine d’associations de jeunes.
Pas plus tard que ce jeudi, une grande table ronde baptisée Jugenddësch va permettre au Jugendrot de remettre aux responsables politiques un sondage sur la santé mentale des jeunes. Confrontés à des soucis d’avenir liés à l’école, à leur situation financière, à l’emploi ou au logement, «les jeunes doivent encore mieux savoir où trouver de l’aide. La promotion des différents services doit être renforcée».
Au niveau du KJT, ce sont les 10 à 12 ans qui ont le plus souvent contacté la ligne de détresse 116 111. Pour le service en ligne, qui a connu une nette hausse en 2020, ce sont les 13 à 15 ans, suivis des 16-17 ans qui arrivent en tête des prises de contact. Parmi les 161 parents qui se sont adressés au KJT, ce sont surtout les grands-mères (130 cas) qui ont demandé de l’aide au sujet des moins de 7 ans et des 18 à 25 ans.
«Le plus important est désormais de profiter des vacances d’été pour permettre aux jeunes de sortir, de renouer des contacts directs, après cette année marquée par un tsunami digital», souligne Charel Schmit, qui appelle gouvernement, communes et associations à multiplier les initiatives.
David Marques
«Ne reste pas seul, écris-nous !»
Depuis ses débuts en 1992, le Kanner-Jugendtelefon (KJT) s’efforce d’être joignable par les enfants et jeunes en détresse. Les services d’aide et de conseil par téléphone (numéro gratuit 116 111) gardent toujours la cote en cette ère numérique. Sur les 1 598 prises de contact enregistrées en 2020, 651 ont encore eu lieu par ce chemin classique. Depuis 2015, la plateforme «Online Help» est en ligne. Elle est accessible par le site internet kjt.lu. L’offre du KJT est complétée par l’Écoute pour parents (numéro 26 64 05 55). Plus récemment est venue s’ajouter la plateforme de conseil et d’aide qui se concentre sur les nouveaux médias. Elle est composée de la Helpline (8002 1234) et la Stopline (stopline.bee-secure.lu) de «Bee Secure».
Avec la refonte complète de son site internet, le KJT lance dès ce mardi une toute nouvelle plateforme d’échange. Baptisée «Chatberodung», elle permet aux jeunes d’entrer en contact direct avec des jeunes conseillers âgés de 16 à 25 ans. Le slogan est «Ne reste pas seul, écris-nous!». Il s’agit d’un service de messagerie instantané, joignable à partir de kjt.lu. Dans un premier temps, le service n’est proposé que le mardi soir entre 18 h et 21 h. En cas de succès accru, d’autres créneaux pourraient venir s’ajouter. Il est à souligner que l’anonymat et la discrétion resteront de mise.
«Le grand avantage est que nous avons réussi à recruter 15 jeunes conseillers qui ont, par le passé, également traversé des épreuves. Ils se sont fait harceler ou ont vu des proches développer une tendance suicidaire», fait remarquer Barbara Gorges-Wagner, la chargée de direction du KJT. Ces jeunes conseillers seront supervisés par les experts du Kanner-Jugendtelefon.
D. M.