Nicolas Schmit est un ministre du Travail presque comblé, qui observe une diminution constante du chômage. Mais, préoccupé par les transformations dans le monde du travail, il évoque un nécessaire investissement massif pour les accompagner.
Le ministre du Travail et de l’Emploi doit grandement se satisfaire de la diminution du chômage…
Nicolas Schmit : Les chiffres sont depuis pratiquement deux ans favorables. Nous sommes à 5,5 %. Ce qui est encore plus positif, c’est que nous avons pratiquement 8 000 postes non occupés. Cela montre une grande dynamique du marché du travail au Luxembourg, mais que nous devons encore faire beaucoup d’efforts pour amener des gens vers les emplois qui sont créés.
Mon but serait de poursuivre sur la lancée actuelle et notamment investir énormément dans la formation, continuer à transformer l’Adem avec une deuxième grande réforme avec le but d’arriver dans cinq ans à un taux de chômage autour de 4 %, voire légèrement en dessous, ce qui pour une économie comme l’économie luxembourgeoise correspondrait quasiment au plein-emploi.
Que contiendrait cette deuxième réforme de l’Adem que vous envisagez?
Tout d’abord, il y a trois bonnes raisons de la mener. La première, qui est la plus immédiate, fait suite à la loi sur le Revis qui vient d’être votée. Un des points centraux de cette loi, c’est l’activation et ce sera une mission assez difficile. Il faudra investir dans l’Adem pour pouvoir encore mieux s’occuper de cette catégorie de personnes. Ce n’est pas une mission impossible mais qui exige un investissement dans des formations adaptées et dans l’accompagnement.
La deuxième raison est que je n’exclus pas qu’au final, à l’expiration du délai de sept ans que j’ai obtenu auprès de la Commission européenne, le Luxembourg se retrouve dans l’obligation de prendre en charge les chômeurs frontaliers. Cela signifie que nous devrons gérer 10 000 voire 12 000 personnes en plus, soit une augmentation de population de presque 100 % pour l’Adem.
Forcément, il faudra améliorer les méthodes de gestion et continuer à rattraper le retard que nous avons au niveau de la digitalisation de l’Adem. La digitalisation peut nous aider, mais il faut aussi investir dans la technologie, ce que nous faisons et cela signifie une formation poussée des agents de l’Adem pour qu’ils soient capables d’utiliser ces nouveaux instruments. Et la troisième raison, c’est le changement fondamental du marché du travail.
Qui explique déjà en partie les 8 000 postes non occupés…
Oui, avec ces transformations numériques et technologiques qui touchent tous les métiers, nous avons mis en place un projet pilote appelé « Digital Skills Bridge » qui deviendra un grand programme de formation. L’Adem sera donc au cœur de cette digitalisation de l’économie luxembourgeoise pour préparer les gens aux nouvelles compétences requises dans les entreprises mais aussi à la mobilité que ces nouvelles compétences entraîneront.
Nous voulons surtout donner aux gens de la sécurité. C’est la raison pour laquelle la formation continue doit être placée sous la tutelle du ministère du Travail, comme le revendique le LSAP. Si on veut atteindre les 4 % de chômage, il va falloir énormément investir dans la formation, la préparation et l’orientation des jeunes gens vers les emplois qui sont créés et revaloriser certains secteurs comme l’artisanat qui a beaucoup de difficulté à trouver des candidats.
Nous menons une véritable offensive axée sur les compétences. J’estime d’ailleurs que le futur ministre du Travail devra s’appeler ministre des Compétences.
Avez-vous mesuré l’impact des investissements dans les formations sur le chiffre du chômage?
Nous organisons nos formations autour des besoins des entreprises. Nous formons où se trouvent des métiers en tension, comme on les appelle. Nous n’investissons pas aveuglément, nous faisons toujours de la formation ciblée. Nous pouvons mesurer à partir du nombre de personnes qui sont réinsérées que nos formations portent leurs fruits.
Un exemple?
Dans le cadre de l’initiative Fit4Coding, nous avons créé avec l’Adem et en partenariat avec la société NumericAll, une école de codage à Esch-Belval. Nous en sommes à notre sixième promotion d’une vingtaine de candidats chacune, tous inscrits à l’Adem, qui ont été formés à la programmation. Nous avons un résultat d’insertion de 80 à 85 % après trois mois de formation intense.
C’est un très bon projet. Comme le « Digital Skills Bridge » qui accompagne et prépare les entreprises et leurs salariés aux changements technologiques et numériques. Lors du dernier Comité de conjoncture nous avons accordé à deux entreprises, engagées dans le projet, un horaire réduit pour 110 salariés sur un millier au total, pour suivre leurs formations.
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Entretien avec Geneviève Montaigu