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Luxembourg : le boum des crèches privées


Les crèches privées se développent fortement au Grand-Duché (Photo d'illustration : Isabella Finzi).

Alors que l’entrepreneur allemand Rolf Sorg a acquis, mardi, sept crèches au Luxembourg, Le Quotidien s’est penché sur le business a priori florissant des structures privées d’accueil d’enfants.

L’acquisition de sept crèches à Luxembourg, Strassen, Mamer et Dudelange par le fondateur et PDG de PM-International, Rolf Sorg, un investisseur privé spécialisé dans les domaines de la santé, du bien-être et de la beauté, a de quoi interpeller. Le Quotidien l’a donc interrogé à ce sujet, de même que l’entrepreneuse luxembourgeoise bien connue dans le milieu Barbara Agostino.

Rolf Sorg : «L’aspect social a joué un rôle…»

Les sept structures acquises par l’Allemand Rolf Sorg seront exploitées par la société française La Maison Bleue et accueilleront un total de 300 enfants. Rolf Sorg justifie son investissement par le fait qu’ «en tant qu’investisseur privé, l’avantage social de mes actions est important. Je vois dans l’utilisation de l’immobilier acquis une opportunité de contribuer activement à la conciliation de la vie de famille et du travail, ici au Luxembourg.» Cela étant, si Rolf Sorg investit pour la première fois dans ce domaine, il était déjà impliqué dans l’aide à l’enfance depuis près de 20 ans : «Mon entreprise PM-International a une coopération à long terme avec l’organisation d’aide à l’enfance World Vision. En tant que plus grand commanditaire corporatif de World Vision, nous soutenons actuellement 2 300 enfants parrainés dans le monde entier. Maintenant, pour la première fois, j’ai eu l’occasion d’investir dans des garderies ici au Luxembourg.»
Et cette décision n’a certainement pas été prise au hasard : «Le Luxembourg a la plus forte croissance démographique d’Europe, ce qui augmente également le besoin de places en garderie. Je le vois aussi dans ma propre entreprise. Il existe de nombreuses opportunités d’investissement ici. L’aspect social a joué un rôle central dans ma décision. Avant tout, je veux pouvoir offrir aux familles luxembourgeoises des structures d’accueil de qualité.»

Barbara Agostino : «Le marché est libéralisé…»

Barbara Agostino est la directrice et fondatrice de douze structures privées d’accueil pour enfants à travers le pays, et bientôt 14, dont l’une en partenariat avec la commune de Mertert-Wasserbillig. On les connaît sous le nom de «Crèches et foyers de jour Barbara». Celle qui est également membre du DP ne se dit pas étonnée outre mesure de l’arrivée de Rolf Sorg sur ce marché : «Au Luxembourg, il y a toujours eu des investissements privés dans les immeubles destinés à encadrer la petite enfance, mais aussi les personnes âgées, parce qu’il s’agit de deux grands secteurs en plein développement. De plus, je constate qu’il y a de plus en plus de prestataires transfrontaliers qui viennent au Grand-Duché, en sachant qu’ils en ressortiront gagnants d’un point de vue financier. Par ailleurs, le marché est libéralisé et accessible à tout le monde.»

Barbara Agostino met cependant en garde : «Quelle que soit la taille de la société d’investissement, la qualité de la prise en charge des enfants doit primer. Si l’on investit dans un superbe bâtiment et que le projet pédagogique qui suit tient la route, moi je réponds : pourquoi pas?. Bref, chacun est libre d’investir dans le secteur, à condition bien entendu de respecter les règles très strictes imposées par le ministère de l’Éducation nationale.»

En considérant la concurrence transfrontalière accrue qui découle de cette arrivée de nouveaux acteurs, l’entrepreneuse et femme politique du parti libéral soulève le fait que «la question de la concurrence est complexe, car il faut aussi se pencher sur les prestations fournies». Elle précise : «D’un côté, nous avons la grande chance au Luxembourg d’avoir des crèches bilingues, alors que du côté d’Arlon les structures sont à 90 % francophones. En plaçant leurs enfants dans une structure au Luxembourg, les travailleurs frontaliers auront la garantie que leur progéniture parlera au moins deux langues. Mais, de l’autre côté, si les enfants sont placés dans leur pays d’origine, ils bénéficient d’autres avantages : le fait de grandir dans leur village ou ville d’origine, de pouvoir côtoyer leurs amis et voisins, de vivre dans une atmosphère connue… Il faut toujours mettre en balance les avantages et les inconvénients de chaque situation.»

Barbara Agostino ajoute qu’elle «compren(d) tout à fait que (ses) confrères et consœurs belges, mais aussi français et allemands, soient en souffrance d’un point de vue financier».
Et constatant que «les prestations et les prix varient aussi bien entre les différentes crèches implantées au Luxembourg», elle «ne considère pas cela comme étant de la concurrence, mais plutôt comme de la complémentarité entre elles à différents niveaux : situation géographique, concept pédagogique, valeurs prestées…»

Enfin, Barbara Agostino confie craindre moins une hypothétique pénurie de crèches qu’une pénurie de personnel qualifié. «Un gros problème pour le secteur privé, car les jeunes veulent tous travailler pour l’État ou les communes.»

Claude Damiani

À Arlon, les crèches en souffrance

Encore récemment thématisée par TV Lux (la télévision locale de la province de Luxembourg belge), la question du délaissement continuel des structures belges est emblématique. Contactée vendredi, la première échevine d’Arlon, notamment en charge de la Petite Enfance, Carine Schmit-Lecomte, se veut catégorique à ce sujet : «À Arlon, il faut tout d’abord distinguer les crèches privées qui ne sont pas subventionnées, et les crèches communales. Dans ces dernières, les parents paient en fonctions de leur niveau de revenus ; c’est le principe de proportionnalité qui prime. Elles ne touchent pas de subsides et comptent donc vraiment sur les revenus des parents pour pouvoir vivre. C’est compliqué pour elles…. Depuis quelques années, avec l’arrivée du chèque-service accueil au Luxembourg, les travailleurs frontaliers belges déposent leurs enfants dans les crèches luxembourgeoises, ce qui leur coûte nettement moins cher que de les placer en Belgique. Il y a encore une crèche qui, selon La Meuse, fermera ses portes à Bonnert, d’ici une semaine, dans la périphérie d’Arlon car elle n’a plus suffisamment d’inscriptions. En effet, les travailleurs frontaliers bénéficient du même dispositif que les Luxembourgeois, car ils paient leurs impôts au Grand-Duché. Cela dit, les crèches publiques belges qui sont sous ma compétence, sont moins impactées par ce phénomène, ces crèches communales accueillent essentiellement des enfants dont les parents travaillent en Belgique. Cela étant, il est clair que les crèches privées sont en souffrance : plusieurs d’entre elles ferment leurs portes, voire se réinstallent de l’autre côté de la frontière. Des enquêtes réalisées par l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE) le montrent. De manière générale, la politique luxembourgeoise a un impact négatif sur nos crèches privées, mais cela est logique et ces répercussions sont finalement propres aux régions frontalières.»