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Luxembourg : fake news, démocraties en danger


Chris Pinchen et Raphaël Vinot ont alerté des dangers de la désinformation. (Photo Julien Garroy)

À l’heure des deepfakes et de la désinformation rondement menée par les politiques eux-mêmes, il est devenu crucial de vérifier les informations qui nous parviennent sur le net.

Nous sommes le 25 juin 2019. Boris Johnson, finaliste pour prendre la tête du Parti conservateur britannique, s’épanche de façon déconcertante auprès d’un journaliste de la station Talkradio sur son étonnant hobby : fabriquer des maquettes de bus à partir de caisses de vin vides, sur lesquelles il peint «des passagers en train de s’amuser et de profiter de leur merveilleux voyage en autocar».

L’actuel Premier ministre du Royaume-Uni n’a pas eu une absence. Peut-être est-ce véritablement ainsi qu’il profite de son temps libre – qui pourrait prouver le contraire? Mais peut-être aussi cette sortie ubuesque a-t-elle été montée de toute pièce dans un seul but : manipuler les résultats du moteur de recherche Google à un moment où l’ex-maire de Londres se faisait attaquer au sujet de la campagne du Brexit qu’il avait menée à bord d’un traditionnel bus rouge avec force désinformation. Bus sur lequel figurait ainsi l’un des plus gros mensonges de cette campagne : «Nous donnons chaque semaine 350 millions de livres à l’UE, reversons-les plutôt à la NHS (NDLR : le service de santé britannique)».

«Il s’agit d’un deadcat. On met sur la table un sujet spécifique pour que les discussions se focalisent sur celui-ci plutôt que sur d’autres», explique Chris Pinchen, expert en cybersécurité et technologies de l’information, à l’occasion du Safer Internet Day, un évènement mondial organisé chaque année depuis 2009 en février pour promouvoir une meilleure utilisation d’internet.

Importance du référencement 

«Lorsqu’ils font une recherche sur Google, la plupart des gens ne consultent que les résultats s’affichant sur la première page», poursuit l’expert lors de la conférence qui s’est tenue mardi à la Maison de l’Europe à Luxembourg. «Il y a donc des stratégies mises en place pour manipuler ces résultats et faire apparaître en premier certaines choses plutôt que d’autres. On appelle cela l’optimisation des moteurs de recherche.»

Ainsi donc, avec cette interview, et avant que les médias notamment ne se rendent compte de la manœuvre, les bus peints par Boris Johnson ont éclipsé celui du Brexit. Tout récemment, ce sont ses propos sur la possible construction d’un pont entre l’Écosse et l’Irlande qui ont permis d’occulter le fait que des barrières douanières post-Brexit seraient inéluctablement imposées, contredisant de fait les promesses de Boris Johnson.

Il en est allé de même avec le tweet de Donald Trump – un génie dans le domaine – via lequel il faisait part de son idée d’acheter le Groenland. L’information a été tant reprise que son amitié avec le prédateur sexuel Jeffrey Epstein est (quasiment) tombée dans les oubliettes du web.

Et ceci n’est que la partie émergée de l’iceberg. Les avancées technologiques ont leur revers et la vigilance est de mise à chaque instant. En plus des photos sorties de leur contexte auxquelles on fait dire tout et son contraire, l’intelligence artificielle est désormais capable de générer des visages que l’on peut croire réels. Un petit tour sur whichfaceisreal.com permettra de se rendre compte à quel point il est difficile de distinguer une personne réelle de celle née de l’IA.

Vérifier avant de retweeter

Sans compter la montée en puissance de deepfakes (contraction de deeplearning – méthode par laquelle l’intelligence artificielle est capable d’apprendre par elle-même – et de fake, faux) de plus en plus sophistiquées. Cette technologie permet de transférer les expressions faciales ou les propos d’une personne à une autre. On peut ainsi faire tenir des propos de Donald Trump dans la bouche de Barack Obama sans percevoir la supercherie.

Avec tous les risques que cela comporte, notamment pour nos systèmes politiques. D’ailleurs, 90 % des Européens sont inquiets de la menace que représente la désinformation sur le net pour nos démocraties. Et ils ont raison : lors des dernières élections européennes, «plus de 600 groupes Facebook ont été signalés pour avoir diffusé de fausses informations ou être de faux profils. Des groupes qui ont généré plus de 760 millions de vues!», a rappelé Yuriko Backes, cheffe de la représentation de la Commission européenne au Luxembourg.

«Désinformation, deepfakes, optimisation des moteurs de recherche, utilisation de discours publics pour manipuler… C’est le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Et c’est un business énorme. Il existait même une entreprise en Pologne qui a créé quelque 40 000 faux profils, dotés d’une véritable biographie, d’un job… Des profils prêts à être utilisés dans certains cas. Vous pouvez acheter des profils comme ceux-là. Voilà ce qu’il se passe désormais. Il faut être extrêmement vigilant. Et il va être de plus en plus difficile de faire confiance à l’information», alerte Chris Pinchen.

«Un business énorme»

Quelles sont les solutions? Prendre du recul, vérifier ces informations qui nous parviennent continuellement et veiller à ne pas propager la désinformation, comme le conseille Raphaël Vinot, expert en sécurité informatique : «La première chose à faire est d’éviter autant que possible de retweeter des messages de haine. On peut aussi vérifier l’origine des photos, via Yandex ou Google Images.»

Reprenant les conseils diffusés sur la chaîne YouTube CrashCourse, «The Facts about Fact Checking : Crash Course Navigating Digital Information #2», Raphaël Vinot invite tout un chacun à se poser trois questions avant de partager une information. Premièrement, qui est à l’origine de cette information? Un ami? Un parfait inconnu? S’agit-il d’un post sponsorisé? Ensuite, il s’agit de vérifier les preuves de ce qui est avancé : s’agit-il d’une opinion ou d’éléments factuels? Les sources sont-elles fiables? À noter toutefois que «la masse de preuves existantes ne garantit pas nécessairement la vérité des faits, mais l’absence de preuves doit alerter». Enfin, il est très important de croiser les sources : que disent les autres sources de la personne ou l’organisation à l’origine de l’information et que disent-elles à propos de cette information?

«Bien sûr, cela fait beaucoup de choses à regarder», reconnaît Raphaël Vinot, «mais si on encourage notre entourage, nos enfants à le faire, la diffusion des fake news sera moindre et l’attention va se développer. Et même si on fait cela une seule fois par jour, c’est mieux que rien».

Tatiana Salvan

Le chiffre : 3269

Dans son rapport annuel, Bee Secure, le portail de la cybersécurité luxembourgeois, qui œuvre pour «une utilisation plus sûre, responsable et positive d’internet», a fait état de 3 269 signalements effectués auprès de Bee Secure Stopline en 2019. 2 679 d’entre eux ont été classés illégaux : 2 521 liens d’abus sexuels sur mineurs, 152 liens de contenus raciste, révisionniste et discriminatoire et 6 URL de contenu terroriste.