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Luxembourg : des caméras mieux surveillées


«Des discussions sur l'apport des caméras pour la sécurité existent. Mais dans différents quartiers en Ville, des caméras sont installées et offrent un sentiment de sécurité aux citoyens», indique Eugène Berger (DP). (illustration Alain Rischard)

La nouvelle loi sur la protection des données nécessite le renforcement du cadre légal de la vidéosurveillance opérée par la police. Un texte spécifique devra être voté.

La Ville de Luxembourg ne va jamais devenir Londres où des caméras de surveillance sont installées aux quatre coins de presque chaque rue du centre-ville. Mais depuis ses débuts en 2007, la vidéosurveillance opérée par la police grand-ducale a fait ses preuves, même si des doutes sur son efficacité persistent.

Aujourd’hui ministre en charge de la Sécurité intérieure, François Bausch appartient à ceux dont l’avis par rapport aux caméras de surveillance a évolué. «Je ne suis pas un fétichiste des caméras de surveillance. Elles doivent être déployées de manière très ciblée, là où il existe de véritables problèmes liés à la criminalité», indique l’ancien échevin de Luxembourg, qui en 2011 s’était montré, avec son partenaire de coalition du DP, très critique sur le maintien des caméras de surveillance dans la capitale.

CSV : «Le texte va dans la bonne direction»

Dans l’accord de coalition du 11 novembre 2011 était inscrit que la majorité bleue-verte «se prononce contre la continuation de la surveillance des espaces publics par des caméras». Près de huit ans plus tard, la position des uns et des autres a bien évolué. «Des discussions sur l’apport des caméras pour la sécurité existent bien entendu. Mais dans différents quartiers en Ville, des caméras sont installées et offrent un sentiment de sécurité aux citoyens, note Eugène Berger, le chef de file du DP à la Chambre. Il faut juste s’assurer d’être très strict en matière de protection des données. Si le cadre est le bon, le DP peut vivre avec.»

Et ce cadre légal adapté est en cours de finalisation. Les grandes lignes du renforcement de la législation actuelle ont été présentées jeudi après-midi aux députés de la commission de la Sécurité intérieure. «Le fait de définir par voie législative une série de critères qui n’existaient pas encore nous permettra de trouver un meilleur équilibre», annonce François Bausch.

Après un premier échange de vues, l’opposition semble disposée à suivre le ministre de la Sécurité intérieure dans sa démarche. «Je dois dire que le texte va globalement dans la bonne direction. Mais il nous manque encore des éléments supplémentaires sur une série de points», précise le chrétien-social Laurent Mosar, qui siège aujourd’hui comme échevin dans la coalition DP-CSV au conseil communal de Luxembourg. «Par principe, je reste favorable aux caméras. Elles nous offrent une série de possibilités de poursuivre les auteurs d’infractions», indique le député, non sans souligner l’obligation de «clairement définir qui a accès aux images, quelle est la durée de leur conservation et, le cas échéant, comment est réglé l’accès aux images par les citoyens concernés».

La proportionnalité inscrite dans la loi

Très sensible en matière de protection des données, le Parti pirate se dit aussi disposé à suivre le chemin emprunté par François Bausch. Saluant le fait que la reconnaissance faciale ne sera pas appliquée, Marc Goergen admet qu’ «on peut toujours mener un débat de principe sur la vidéosurveillance». «Mais on est bien confronté à un problème de criminalité dans certaines zones où on ne peut pas se passer de caméras», ajoute-t-il.

«La proportionnalité de la vidéosurveillance va figurer dans la loi. Je préfère que tout soit clairement légiféré, aussi pour aider la police à bien exécuter sa mission», conclut François Bausch. Le texte va être soumis vendredi prochain au Conseil de gouvernement.

David Marques

Quatre zones filmées

›La zone A du réseau de vidéosurveillance installé dans la capitale concerne le Limpertsberg, dont font partie le parc municipal et la Kinnekswiss.
›La zone B a concerné jusqu’en octobre 2014 le centre Aldringen. Depuis l’entame du chantier du Royal-Hamilius, ces caméras ne sont plus opérationnelles. La zone B sera redéfinie après la fin des travaux.
›La zone C concerne le quartier Gare avec notamment le parvis, la rue de Strasbourg et la rue Joseph-Junck.
›La zone D couvre le stade Josy-Barthel. L’emploi des caméras est limité à la surveillance des événements sportifs tels que les matches de football européens. Un système de caméras est déjà autorisé pour le nouveau stade national.

Les grandes lignes du texte

Le projet de loi qui va permettre de renforcer le cadre légal de la vidéosurveillance sera déposé dans les deux semaines à venir.

Le texte de loi est rédigé. Le règlement grand-ducal avec les dispositions d’exécution du texte est encore en cours de rédaction, mais devrait être soumis aux députés courant novembre. Avec les amendements à suivre des députés et l’avis du Conseil d’État, un vote n’est pas prévu avant 2020.

Des critères strictes. Le ministre de tutelle a précisé jeudi que «le seul sentiment d’insécurité ne sera pas suffisant pour installer une caméra». Le projet de loi arrête des critères clairs pour que l’installation d’une caméra soit autorisée. Des délits d’envergure doivent ainsi être été constatés de manière répétée dans une zone définie. «Il revient au ministre de prendre une décision sur base d’une analyse approfondie comprenant un avis du parquet, de la police, du bourgmestre et peut-être à l’avenir de l’ensemble du conseil communal. Le ministre doit en fin de compte être convaincu», précise François Bausch.

Conservation des images. Le texte de loi prévoit que les images enregistrées sont conservées pendant deux mois. Dans le cas de l’ouverture d’une enquête judiciaire, ce délai peut être prolongé. Le CSV remet en cause ce délai. «Cela nous semble un peu long», dit Laurent Mosar. Il émet aussi la question sur l’effacement des images, qui devrait intervenir au moment même où le parquet classe un dossier sans suites. «Je suis aussi d’avis qu’il faut mettre en place un mécanisme pour effacer les images dès que l’enquête judiciaire est classée. Il s’agira du même principe qui doit trouver application dans le fichier central de la police», annonce le ministre.

Accès aux images. Actuellement, 35 personnes ont accès aux images de vidéosurveillance de la police. Il s’agit d’agents, assistés par du personnel civil, spécialement formés. Aussi bien le ministre que l’opposition insistent pour que les conditions d’accès aux images soient clairement réglementées. «On veut qu’on puisse contrôler les motifs pour accéder aux images. Tous ces points sont à nos yeux encore un peu vagues», constate Laurent Mosar.

Pas de reconnaissance faciale. Si la reconnaissance faciale est exclue, le système Visupol aura toutefois la possibilité de recourir à des techniques de détection automatique de situations spécifiques.

Les portes d’entrée plongées dans le noir

Pour de nombreux défenseurs des droits de l’homme, la vidéosurveillance et la protection de la vie privée ne sont pas compatibles. Dans son avis publié le 15 mars 2019, la Commission nationale pour la protection des données (CNPD) avait souligné que le système Visupol «génère une surveillance permanente et un contrôle des individus».

La vidéosurveillance opérée par la police aurait ainsi «un impact sur les droits fondamentaux (limitation du droit à la vie privée, discrimination et stigmatisation des personnes se trouvant dans une zone surveillée, limitation du droit à la libre circulation)». Par contre, la CNPD admet qu’ «une ingérence dans les droits fondamentaux est possible à condition d’être prévue par la loi et que la loi soit accessible et prévisible».

François Bausch a décidé de suivre cet avis en élaborant une loi spécifique (lire ci-dessus). En termes de protection de la vie privée, la nouvelle loi confirme l’obligation de masquer (ou de noircir) les portes d’entrée de tous les bâtiments filmés. Ainsi, filmer à travers les fenêtres devient aussi impossible. Par contre, il existerait un doute concernant l’interprétation du code pénal à ce sujet. «Si l’interprétation est celle que la caméra ne peut même pas filmer en direction d’une porte d’entrée, il faudra démonter l’ensemble des caméras qui sont installées à travers le pays», indique le ministre de tutelle. Ses services vont toutefois vérifier ce point avant de finaliser le texte de loi.