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Luxembourg : campagne / ville, comment maintenir l’équilibre ?


Zoom sur des nouveaux logements locatifs construits à Differdange cette année (Photo : Claude Lenert).

Les ministres de l’Aménagement du territoire et du Logement participaient ce vendredi à la Journée de la politique urbaine. Ils ont insisté sur plusieurs messages, dont la volonté de préserver la ruralité au Luxembourg, malgré l’énorme défi d’une démographie qui monte en flèche, qui déborde majoritairement sur les frontières et donc… d’une politique de l’aménagement qui échappe en partie à la politique nationale.

Le million d’habitants au Luxembourg ? Il est attendu pour 2060 en scénario médian, mais certainement plus avant, pourquoi pas dès 2040 si le pays continue de créer entre 12 000 et 15 000 emplois par an pour assurer son rythme de croissance. Une table ronde a réuni  différents politiques et acteurs de premier plan (dont l’OAI et le CIPU), ce vendredi, sur le sujet de l’urbanisation du Grand-Duché.

Les deux ministres Claude Turmes (Aménagement) et Kox (Logement) ont pu affirmer certaines grandes lignes importantes qui vont prédominer à l’avenir dans la construction du pays :

• «État et communes : un partenariat entre égaux» : on sait que les relations sont parfois tendues, le premier reprochant aux secondes de traîner les pieds sur les mises à jour de plans d’urbanisations plus ambitieux. La question du logement à vocation sociale est également souvent au centre des frictions, les communes se renvoyant la patate chaude (Esch a, par exemple, beaucoup fait ces dernières années dans ce domaine, regardant inexorablement des communes voisines se gentrifier à son détriment). L’idée de rester des partenaires égaux part d’une bonne intention. Mais on se demande s’il n’y a pas là le risque de laisser prospérer une mentalité NIB (Not in my Backyard, pas dans mon jardin !). Le gouvernement évoque toutefois la nécessité de mise en place de «critères concordants pour tous les partenaires», et cite l’exemple de la création en mai 2019  de la société de développement «Entwécklungsgesellschaft Nordstad», pour l’aménagement de l’agglomération Nordstad.

• Campagne / Villes, «respecter et maintenir l’essence qui leur est propre» : c’est l’une des grandes peurs populaires luxembourgeoises, pas forcément infondée pour certains villages du Sud ou dans le giron de la Ville… que Luxembourg devienne un Singapour (toutes proportions gardées !) à l’Européenne. Le pays comptait en 2018 plus de 30 000 logements de retard. Résultat, le nombre d’actifs frontaliers augmente toujours plus vite que le nombre d’actifs résidents (les causes sont diverses, mais la pénurie de logement en est une de premier plan). Et l’on se dirige vers une situation inédite, où les «extérieurs» pourraient être plus nombreux à faire tourner l’économique du pays que les «insiders», ce qui serait  délicat à assumer, d’un point de vue socio-politique dans la Grande Région (c’est déjà délicat avec 47% d’actifs frontaliers à vrai dire). Les ministres ont donc redit que la politique des «grands projets urbains» se poursuivrait. On pense ici à la future friche Esch-Schifflange, le quartier  NeiSchmelz à Dudelange, probablement un nouveau projet immobilier à la place du stade national, etc. Toutefois, Claude Turmes estime qu’il faut savoir «prendre en considération les spécificités des deux principaux espaces dans notre pays que sont l’urbain et le rural […] et maintenir l’essence qui leur est propre : une ville reste une ville, un village doit rester un village».

Reste que le politique ne peut pas tout. Et si des grands projets urbains sont menés, il faudra probablement traverser quelques villages pour y accéder. Ces mêmes villages qui, aujourd’hui, ne comprennent plus leur transformation en parking à ciel ouvert, suivront le dossier avec attention. C’est typiquement le cas de Belvaux avec Belval par exemple, malgré la place moindre accordée à la voiture (et de façon contrainte) dans le projet de Belval, dès le départ ! Le troisième point nous éclaire un peu plus.

• Objectif «zero-emission, zero-waste et no car » : Claude Turmes a confirmé la volonté de faire de l’éco-urbanisme une norme à l’avenir. Avec ces trois anglicismes lancés comme des incantations vaudous : «zero-emission, zero-waste et no car». Le ministre a précisé sa pensée en estimant qu’il faut «définir les objectifs à atteindre afin de développer un aménagement durable des villes synonyme d’épanouissement privé et professionnel».

• En attendant, les aiguilles tournent : 12 000 nouveaux actifs par an (le plancher de ces dernières années), ça veut dire plus de 30 000 nouvelles personnes à accueillir (0,39 actif pour 1 habitant au Luxembourg). Bref, un nouveau Differdange à construire chaque année ! Impossible. C’est bien pour cela qu’entre le premier trimestre 2018 et le premier trimestre 2019, le pays comptait +9 362 actifs frontaliers pour  +6 209 actifs résidents, donc plus de nouveaux actifs qui vont vivre en dehors des frontières. La politique du logement luxembourgeoise échappe en partie à la politique nationale : pendant que nous construisons un quartier d’un «nouveau Differdange» chaque année, la Wallonie, la Sarre et surtout la Lorraine (près de 70% des nouveaux actifs frontaliers sur les années les plus récentes) se chargent de la construction de la nouvelle commune en question…

Hubert Gamelon