Chaque année, plus de 10 000 citoyens obtiennent la nationalité luxembourgeoise. De nouveaux électeurs qui commencent à peser dans la balance.
Il n’y a pas que le sujet délicat de l’impôt sur la succession qui divise au sein du CSV. Le président Frank Engel qui invite à se pencher sur la question et qui se fait rappeler à l’ordre par la fraction chrétienne-sociale, avance plus prudemment dorénavant. Dans son discours prononcé lors du congrès national du parti le 17 octobre, il n’a pas remis sur la table un autre sujet qui lui tient à cœur, celui de la participation démocratique des non-Luxembourgeois. Sujet qui divise tout autant les chrétiens-sociaux.
Il sait que l’accès à la nationalité luxembourgeoise a été simplifiée et que les étrangers n’ont qu’à franchir le pas s’ils veulent exercer leur droit de vote. Mais alors parlons-en de ces nouveaux Luxembourgeois, comme le suggère Frank Engel. «Il faudrait que nous nous intéressions à tous ces gens qui ont obtenu la nationalité luxembourgeoise ces dix dernières années, quelque 100 000 personnes. Parce qu’ils ne parlent pas ou ne comprennent pas assez notre langue pour participer activement à la vie politique, le CSV doit tout faire pour s’occuper d’eux et les associer à nos discussions», déclare le président du CSV en visant sa section internationale.
Frank Engel aimerait connaître ces gens. «Je ne sais pas qui ils sont, mais il serait temps de les approcher», insiste le président. La section du CSV International compte 800 membres, selon la présidente, Clara Moraru, qui a pris ses fonctions il y a un an.
«Rendre accessible la politique nationale»
«Nous nous sommes posé comme défi de rendre accessible la politique nationale», lance-t-elle pleine d’enthousiasme en pensant à tous les résidents et frontaliers et pas seulement aux nouveaux Luxembourgeois. La section multiplie ainsi les évènements depuis peu et «dans plusieurs langues», toujours selon Clara Moraru. Des thèmes comme la citoyenneté luxembourgeoise, le logement ou encore les nouvelles technologies y sont abordés.
Pour toucher au plus près les citoyens, ce sont les sections locales qui sont choisies pour organiser les rendez-vous. Il y a aussi les visites à la Chambre des députés avec toujours un parlementaire pour guider les groupes. La soirée autour du logement avec Marc Lies avait attiré près de 70 personnes. «On commence à être visibles en interne aussi», précise la présidente du CSI.
«On ne fait pas que de la promotion pour notre parti», poursuit Clara Moraru qui ne se sent pas missionnée pour imposer le CSV au public qu’elle parvient à approcher. «Je suis active dans beaucoup d’associations, j’ai des centaines de contacts de par mon métier et je n’ai pas fait l’analyse de leurs préférences politiques», assure la fondatrice de Languages.lu, polyglotte et parfaitement bien intégrée dans le melting-pot luxembourgeois.
La section internationale du CSV fait son « bonhomme de chemin»
«Ici, votre voisin peut vous représenter, il n’y a pas de distance entre les décideurs et les citoyens et c’est important de le dire. Quand j’invite des connaissances à un évènement, la plupart ne me connaissent pas avec ma casquette de présidente du CSI et en fin de compte, une fois la surprise passée, ils trouvent mon engagement super», témoigne Clara Moraru.
Ceux que le président disait ne pas connaître ne sont pas tous des inconnus dans le parti. La section internationale sait où les trouver. Sa présidente surtout, qui a un pied dans de nombreuses communautés du pays. «Même si notre travail ne trouve guère d’échos à l’extérieur, nous faisons notre bonhomme de chemin pour inclure des citoyens de tous bords et de toutes origines dans la vie politique du pays», assure Clara Moraru.
Elle a déjà obtenu plus de visibilité dans son propre parti et les sections locales n’hésitent pas à renvoyer vers le CSI les non-luxembourgophones qu’elles parviennent à attirer. Clara Moraru a été candidate sur la liste CSV de la Ville de Luxembourg aux élections communales de 2017. Elle veut amener doucement les étrangers comme les nouveaux Luxembourgeois à s’intéresser comme elle à la politique.
Geneviève Montaigu
Monique Dejeans : «Les gens ne nous connaissent pas»
Coordinatrice du groupe de travail «Socialistes pour l’intégration et la citoyenneté» (SPIC), Monique Dejeans anime cette section du LSAP avec beaucoup d’engagement et disserte volontiers sur le sujet des nouveaux électeurs luxembourgeois. Ceux qu’elle connaît le mieux ne sont pas particulièrement motivés à se rendre aux urnes. Et pourquoi? «Ils ne savent pas à quoi ça sert, car les politiques ne le leur expliquent pas, ils ont l’impression que l’on ne s’adresse pas à eux», commente-t-elle.
Pour Monique Dejeans, le constat est clair : «C’est au parti de se débrouiller pour aller vers eux et ne pas attendre que ces nouveaux électeurs débarquent avec un bulletin de vote.» Ces néo-Luxembourgeois qu’elles côtoient ne sont pas forcément des cols blancs de la finance. «Il ne faut pas croire que tout est rose pour eux qui sont venus au Luxembourg en quête d’une vie meilleure et de nombreux Français ont besoin d’une aide sociale aujourd’hui, alors la question que ces gens-là se posent c’est qu’est-ce que le parti peut faire pour eux et leur famille», explique-t-elle.
La barrière de la langue
Elle est d’avis que chaque site internet des partis politiques devrait consacrer un chapitre sur l’accueil des nouveaux Luxembourgeois. C’est loin d’être le cas. Pourtant, ils sont peut-être quelques-uns, sans savoir leur nombre, à vouloir s’engager en politique. Bien sûr, il y a la barrière de la langue. Pour qui veut suivre l’actualité politique, il y a la communication officielle qui se fait en grande majorité en français, mais les débats à la Chambre des députés tout comme les réunions publiques des partis politiques sont menés en luxembourgeois.
Depuis l’état de crise, davantage d’interventions sont traduites en français pour s’assurer d’une plus large diffusion des messages dans la société. Paradoxalement, les députés sont toujours plus nombreux à rédiger leurs questions parlementaires en luxembourgeois. Ils sont à peu près certains de ne pas toucher une bonne partie des étrangers en agissant ainsi. Pourtant, des néo-Luxembourgeois ou très anciens résidents, à l’image de Monique Dejeans, 52 ans de vie passée au Luxembourg, se sont lancés en politique.
«Personne ne vote pour nous vu que personne ne nous connaît», dit-elle. Comme Clara Moraru pour les chrétiens-sociaux, Monique Dejeans s’était présentée sur la liste électorale du LSAP. La première s’est retrouvée en bas de tableau, la seconde a obtenu quelques places de mieux. Les partis politiques semblent s’intéresser à toute une frange de la population au moment des élections. «C’est avant chaque échéance qu’ils viennent avec un programme électoral traduit en français et qu’ils se souviennent de nous», regrette Monique Dejeans.
G. M.
«Je peux me faire une opinion»
À l’approche de la cinquantaine, Michel s’est enfin décidé à faire les démarches pour obtenir la nationalité luxembourgeoise en sa qualité de descendant en ligne directe d’un aïeul luxembourgeois au 1er janvier 1900. Le voilà franco-luxembourgeois comme 1 426 autres Français qui ont choisi le recouvrement de la nationalité luxembourgeoise à travers cette procédure sur un total de 2 466 Français devenus luxembourgeois en 2019.
Il est allé chercher son passeport récemment, très content de posséder un document qui complète son histoire familiale. Ce nouveau Luxembourgeois n’a rien reçu d’autre en main, aucune information sur ses droits et surtout ses devoirs, à commencer par l’obligation de vote.
Michel est ébéniste dans un petit hameau lorrain à un jet de pierre de Mondorf-les-Bains. L’actualité luxembourgeoise, il la suit dans la presse et s’y intéresse de près. «Je peux comparer avec la politique en France et je peux me faire une opinion», explique-t-il.
Pour autant, il n’a qu’une vague idée du système électoral. Même l’obligation d’aller voter lui avait échappé au moment de récupérer son nouveau passeport. «Personne ne m’a parlé de ça et je ne sais même pas où je dois me rendre pour aller voter», admet Michel. Il ne connaît pas davantage le système de panachage, mais compte bien sur quelques amis pour lui expliquer tout cela. Il recevra le matériel électoral juste avant l’échéance avec les instructions, c’est certain. Mais la difficulté sera alors de choisir ses «têtes», la plupart lui seront inconnues. «Je verrai le moment venu», lâche-t-il.
Il votera par correspondance s’il en a la possibilité. «Luxembourg-Ville me fait peur, ça change tous les six mois et je m’y perds», confie l’artisan qui travaille seul dans sa menuiserie. Ce nouvel électeur attend sereinement la prochaine sortie des urnes dans trois ans et le mode d’emploi qui va avec. D’ici là, il aura le temps de se familiariser avec les élus dont il voit passer les têtes dans le journal gratuit qu’il va chercher à l’arrêt d’autobus de l’autre côté de la frontière.
G. M.