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L’université du Luxembourg, «simplement unique au monde»


"Nous sommes considérés par le Times Higher Education World University Rankings comme l'université la plus internationale au monde", s'enthousiasme Stéphane Pallage. (Photo Julien Garroy)

Le recteur de l’université du Luxembourg, Stéphane Pallage, met en avant la réussite de cette jeune structure aux moyens confortables.

Vous êtes recteur depuis le 1er janvier 2018. Après presque deux ans en poste, quel regard portez-vous sur l’université du Luxembourg ?

Stéphane Pallage : Je suis arrivé avec un regard très enthousiaste sur l’université du Luxembourg que j’avais qualifiée de bijou. Deux ans plus tard, je conserve le même enthousiasme. C’est vraiment un bijou, qui a besoin d’être poli, mais réaliser en 16 ans d’existence ce que cette université a réalisé, c’est simplement unique au monde. Nous avons des centres d’excellence dans différents domaines et d’une qualité mondiale. Nous sommes une université spéciale qui a été construite de façon très visionnaire. Elle est résolument moderne et interdisciplinaire. Ce qui est une force, puisque les problèmes contemporains sont d’une complexité telle que souvent le regard croisé de plusieurs disciplines s’avère nécessaire. Quand un économiste échange avec un biologiste scientifique et un informaticien, on se retrouve souvent avec un potentiel d’innovation beaucoup plus grand que si un économiste restait avec ses pairs.

Située au cœur de l’Europe, l’Uni doit faire face à une grande concurrence d’autres établissements en Belgique, France, Allemagne ou encore en Suisse. Comment fait-elle pour se démarquer ?

Elle y parvient très bien : nous essayons non pas d’avoir le plus grand nombre d’étudiants, mais bien les meilleurs étudiants. L’interdisciplinarité est vraiment dans notre ADN, un aspect que toutes les universités souhaitent avoir. Et nos seulement 16 ans d’existence nous donnent une certaine agilité. Nous pouvons donc nous adapter facilement aux demandes du marché et mettre à jour nos cursus, alors que dans les universités qui ont 100 ou 200 ans, c’est beaucoup plus difficile à faire. Le meilleur exemple en est le programme que l’on vient de mettre en place autour du spatial et que l’on a construit de manière très originale. De par le positionnement du pays dans le domaine de l’espace, nous répondons au besoin de former une main-d’œuvre hautement qualifiée dans ce domaine. Et plutôt que de créer de manière isolée ce programme dans nos bureaux, nous en avons conçu le squelette et l’avons ensuite présenté auprès des grandes entreprises du secteur, de SES à Boeing. C’est une approche qui permet un alignement sur un environnement technique, scientifique ou entrepreneurial qui peut évoluer rapidement.

Cette jeunesse, est-ce vraiment un avantage ?

C’est toujours plus facile lorsque l’on est jeune. Il y a un dynamisme dans cette université que l’on ne retrouve pas partout. Il y a un sentiment entrepreneurial. Depuis 2003, nous construisons quelque chose. Un état d’esprit que l’on retrouve d’ailleurs parmi nos effectifs.

Une approche nord-américaine

A contrario, la jeunesse de l’université joue-t-elle contre elle ? Les parents ayant fait leurs études dans une université étrangère peuvent garder un lien avec ce lieu et inciter leurs enfants à le choisir à la place du Luxembourg.

Effectivement et c’est normal. On est tous liés à notre parcours académique et je comprends très bien un parent qui conseille à son enfant d’aller à Lausanne ou à Bruxelles faire des études car lui-même y est allé. Mais je l’invite tout de même à faire un tour chez nous et à découvrir notre philosophie d’enseignement nord-américaine.

C’est-à-dire ?

On enseigne à des petits groupes. Un étudiant qui vient chez nous aura rarement cours dans un auditorium de 500 places rempli. Cela arrivera peut-être le premier et le dernier jour de son cursus, mais dans les faits, il va bénéficier d’une vraie interaction avec son professeur, chose que l’on ne voit pas souvent en Europe. En première année, il y a bien des cours avec des groupes de 100 personnes, mais très vite, on tombe dans des groupes d’une trentaine de personnes, avec un professeur qui veut qu’on lui pose des questions. C’est cela une approche nord-américaine. Je précise que ce n’est pas moi qui l’ai apportée du Canada. Peut-être la devons-nous au premier recteur, qui lui aussi venait du Québec.

Justement, fort de votre expérience canadienne, qu’avez-vous apporté ?

Je viens des disciplines de la science économique et des sciences de la gestion. Les relations humaines sont extrêmement importantes. L’aspect qualité de vie au travail est important pour moi et je pense qu’il y avait un réel besoin de développer cette dimension au sein de l’université. Pour prendre un exemple, nous avons signé une convention collective alors en discussion depuis des années. En quelques mois, nous nous sommes entendus avec le personnel et les syndicats et nous avons signé notre première convention collective. Elle n’est pas révolutionnaire, mais elle met en place des choses pour la qualité de vie du personnel, pour la formation et la progression des gens dans leur carrière. On a professionnalisé aussi les services en les orientant davantage vers le client, c’est-à-dire les étudiants, les professeurs et les autres parties prenantes.

Transformer Belval en un vrai quartier de vie

Une université, c’est aussi un lieu de vie. Dans certaines villes en Europe, on observe, dans les rues, une sorte de foisonnement d’étudiants. Un sentiment que l’on ressent beaucoup moins à Belval…

Et pourtant, les étudiants sont là ! Je ne le cache pas, c’est un défi de transformer Belval en un vrai quartier de vie. Mais il y a plein d’acteurs qui œuvrent à cela. Agora et le Fonds Belval qui développent le quartier de manière spectaculaire, l’Uni, les incubateurs, les entreprises qui s’installent à gauche et à droite. Ils œuvrent dans le même but. L’ouverture de la bibliothèque (Luxembourg Learning Center) a contribué aussi à cela. Elle est ouverte jusqu’à 22 h, ainsi que les samedis, et je rêve même de pouvoir l’ouvrir 24 h/24 h. Nous travaillons aussi avec l’ASBL Esch 2022, et puis il y a ce projet de piste cyclable pour mieux nous relier à Esch-sur-Alzette. Depuis peu, plusieurs nouveaux points de restauration ont ouvert à proximité directe de l’université. Il y a du dynamisme. Après, c’est vrai que l’on veut toujours aller vite, mais d’un autre côté, je trouve qu’il y a aussi des manques. On devrait avoir un grand mur de graffitis, des ateliers d’artistes et plus spontanément des fêtes qui se mettent en place. Je l’encourage vivement, il faut que les étudiants s’approprient le lieu, que ce soit le leur.

En parlant d’étudiants, combien y a-t-il d’inscrits et d’où viennent-ils ?

Nous avons 6 614 étudiants. Nous sommes considérés par le Times Higher Education World University Rankings (NDLR : palmarès universitaire annuel publié par le magazine Times Higher Education) comme l’université la plus internationale au monde… Nous avons 125 nationalités différentes chez nos étudiants et 90 nationalités différentes chez nos professeurs. C’est tout de même assez spectaculaire. Au niveau de la provenance de nos étudiants, 44 % viennent du Luxembourg, 42 % de l’Union européenne et 14 % du reste du monde.

Une des particularités de l’université du Luxembourg est le semestre de mobilité obligatoire à l’étranger…

Nous avons un très grand nombre de disciplines où il est possible de faire l’ensemble du cursus au Luxembourg : bachelor, master, doctorat. Par contre, au sein de nos bachelors, nos étudiants ont un semestre de mobilité obligatoire à l’étranger. La seule discipline où nous demandons à nos étudiants de partir pour compléter leurs études, c’est la médecine.

Aller le plus loin possible du Luxembourg

Mais cela va changer en 2020 ?

Actuellement, on peut proposer la première année de médecine en bachelor. À partir de la rentrée 2020, nous offrons la possibilité de faire l’ensemble du bachelor au Luxembourg et nous avons des partenariats avec d’autres pays pour la suite du programme d’études. Avoir une faculté de médecine n’est pas un but en soi, mais c’est clairement une possibilité importante. Nous allons avancer par étapes. Nous allons construire ce bachelor, l’évaluer et décider par la suite d’aller plus loin ou non.

Pour en revenir à cette obligation de passer un semestre à l’étranger. N’est-ce pas difficile pour les étudiants ?

Nous formons des citoyens du monde et nous les encourageons à faire la démarche d’aller le plus loin possible du Luxembourg. L’étudiant qui va en Chine, au Japon, au Brésil ou au Canada, je pense que cela va changer sa vie à jamais. Nous avons un très bon service qui travaille sur la mobilité de nos étudiants : nous les accompagnons et ils sont très bien accueillis. Nous avons des accords avec de nombreuses universités dans beaucoup de pays et de bonnes relations avec les ambassades respectives. Une ambassade comme celle du Japon ne sera pas étonnée de recevoir un de nos étudiants pour des questions administratives.

Quels sont les cursus les plus populaires ?

Le plus populaire, c’est le cursus en gestion avec 377 étudiants. Puis vient le bachelor en sciences de l’éducation avec 318 étudiants. Le bachelor en droit avec 313 étudiants est également très apprécié. Ensuite viennent des disciplines très variées : les sciences économiques et la gestion, par exemple, avec 307 étudiants, le bachelor en sciences sociales et éducatives avec 203 étudiants. L’informatique attire beaucoup aussi avec 155 étudiants. Il faut souligner que nous proposons 44 masters et 14 bachelors au sein de l’université.

La question du logement des étudiants fait-elle partie des prérogatives de l’université ?

À peu près 20 % de nos étudiants ont accès à une chambre étudiante. Ce taux est un standard international, mais cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas faire mieux. Si on peut davantage développer l’offre de logements, on va essayer de le faire. Il y a toutes sortes de projets qui sont en cours et des nouvelles résidences ouvrent en ce moment. Il y a un projet que l’on aimerait mettre en place, un projet de logement modulable et léger qui pourrait être un modèle intéressant dans le cadre d’Esch 2022. Concrètement, nous avons 1 200 chambres gérées par l’université, même si nous n’en sommes pas propriétaires. L’immobilier n’est pas notre métier.

L’université est installée à Belval mais aussi à Luxembourg et dans des bâtiments beaucoup plus vétustes. Y aura-t-il des améliorations de ce côté ?

Si vous regardez l’accord de coalition, il est prévu de bâtir un nouveau campus universitaire pour la faculté de droit, économie et finance au Kirchberg. Pour des raisons évidentes, cette faculté doit rester à proximité des grandes institutions de justice européennes et de la place financière. Au niveau du calendrier, il n’y a pas de date précise mais c’est un projet que le gouvernement veut initier dans son présent mandat.

Une société a besoin de sciences humaines fortes

Quel est le budget de l’université ?

Le budget est de 259 millions d’euros pour 2018 et un peu plus pour 2019. C’est un très beau budget qui nous donne les moyens de nos ambitions, ce qui permet à nos chercheurs d’avoir des financements structurants. Notre financement vient aussi des institutions européennes (programme Horizon 2020), du Fonds national de la recherche (FNR), du privé et de donations. On peut affirmer que notre budget par étudiant est spectaculaire et on peut vraiment offrir à nos élèves des choses que peu d’universités ont les moyens de faire.

Finalement l’étudiant est choyé à l’université du Luxembourg ?

Oui, très clairement. J’invite les résidents à venir découvrir l’université et ce que l’on peut proposer aux futurs étudiants et même à ceux qui ne sont pas étudiants. La bibliothèque, par exemple, est accessible à tout le monde, il suffit de s’inscrire.

S’il fallait améliorer quelque chose au sein de l’université ?

Nous sommes en train de mettre en place un plan de développement stratégique à long terme. Il faut savoir que nous signons, tous les quatre ans, un accord avec le gouvernement, un plan quadriennal. Je pense que nous sommes arrivés à une maturité où nous devons avoir une vision à 20 ans, avec une déclinaison des stratégies à plus court terme. C’est ce que nous sommes en train de mettre en place, un grand processus stratégique pour l’avenir.

L’université a un rôle à jouer dans notre société et je crois savoir que vous attachez de l’importance aux sciences humaines…

Une société a besoin de sciences humaines fortes, d’un regard critique et honnête sur l’histoire, d’un éclairage factuel sur les grands débats sociétaux, d’experts capables de confirmer ce qui est un fait et ce qui n’en est pas un. Des sciences humaines fortes sont le garant d’une démocratie solide. Cette dimension est bien présente à l’université du Luxembourg et il faut continuer à la consolider et à la développer.

Entretien avec Jeremy Zabatta