« Un phénomène inédit ». Ce sont les mots employés par l’historien français Gérald Arboit pour qualifier l’ouverture des archives historiques du Service de renseignement de l’État (SREL) en vue d’une exploitation scientifique. Le projet de loi régissant les archives historiques du SREL déposé début août prévoit en effet qu’une équipe de chercheurs historiens inventorie et exploite les données collectées sur la période de 1960 à 2001.
C’est une équipe d’au moins deux chercheurs historiens qui sera engagée pour «recenser et exploiter les archives historiques du Service de renseignement de l’État (et pour) sélectionner les pièces présentant un intérêt historique national qu’ils proposent de verser définitivement aux Archives nationales». Parallèlement, ce projet de loi prévoit un comité d’évaluation composé de six membres : un représentant du ministère d’État, un représentant des Archives, deux députés et deux professeurs de l’université du Luxembourg. Ils ont comme mission d’encadrer le travail de recherche.
«La finalité de cette exploitation scientifique objective des archives historiques est d’examiner, si le SREL a effectué un espionnage de la vie et des activités politiques à Luxembourg ou s’il s’est tenu à l’observation des menaces contre l’État luxembourgeois telles que les menaces se présentaient pendant la Guerre froide», retient par ailleurs le texte du projet de loi.
Au final, les données collectées entre 1960 et 2001 par le SREL seront classées selon quatre types d’archives bien définis : les pièces appartenant à des services de renseignement étranger, qui ne peuvent être communiquées à des tiers et déclassifiées sans l’accord de l’émetteur. Les pièces non classifiées et classifiées pouvant être déclassifiées auxquels les chercheurs attribuent un intérêt historique national resteront définitivement aux archives. Les pièces ne pouvant pas être déclassifiées seront versées aux archives du SREL ou détruites. À la fin de leur mission, il est prévu que les experts rendent compte, dans un rapport final qui sera rendu au public, de l’exécution de leur mission et des conclusions de leurs travaux. Les coûts de cette exploitation scientifique des archives historiques doivent s’élever à 600 000 euros.
«Du jamais vu» pour Arboit
Pour Gérald Arboit, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement, cette ouverture d’archives est « un phénomène complètement inédit dans le monde occidental, car aucun service à ce jour n’a été de cette façon contraint à ouvrir ses archives ». L’historien français originaire d’Audun-le-Tiche cite l’exemple du Freedom of Information Act aux États-Unis à la fin des années 60, qui oblige les agences fédérales à transmettre leurs documents, à quiconque en fait la demande, quelle que soit sa nationalité. « C’est une loi qui a été imposée à toutes les administrations, services de renseignement compris. En aucun cas, la CIA n’a été sommée de se « mettre à nu » devant une commission d’historiens et de donner libre accès à ses archives », ajoute-t-il.
Même si Gérald Arboit parle d’« un jeu de la transparence démocratique inédit », il aimerait que la même transparence vaille pour les autres administrations. « On ne peut pas demander à une administration d’être plus honorable que les autres administrations. Ce qu’il faudrait, c’est que les autres administrations, que ce soit l’armée, la Poste, les travaux publics, soient soumis à la même chose pour la période qu’on impose au SREL (NDLR : 1960-2001 ) . » Il ajoute toutefois : « C’est certain, l’enjeu politique n’est pas le même. »
Fabienne Armborst