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Logements : le Luxembourg n’arrive pas à rattraper son retard


Manifestation pour le droit au logement abordable, en 2020. Ce n'est pas gagné, et on vous explique pourquoi... (Photo : Julien Garroy).

À la suite de la publication ce jeudi des données du Statec sur la folle augmentation du prix de l’immobilier en 2020, une question se pose : construit-on assez au Luxembourg ? La réponse est non. D’année en année, inexorablement, la pression immobilière est donc toujours plus forte. Démonstration chiffrée.

+6% d’augmentation de l’immobilier en 2016, + 5,6% en 2017, +7,1% en 2018, +10,1% en 2019 et donc, + 16,7% en 2020 ! Le prix du logement flambe au Grand-Duché, avec un nombre de transactions à la baisse à la clef (-6,3% en 2020 : sachant que l’effet « confinement » ne doit être considéré que comme «léger», selon le Statec). La rareté fait le bonheur, comme dit l’adage. Précisons dans notre cas : le bonheur de ceux qui possèdent un bien ou du terrain au Luxembourg, pas de ceux qui cherchent à s’y loger.

Une grande ligne se dégage autour de cette thématique complexe, qui finit par créer des mouvements de colère dans le pays : toujours plus de gens occupent un emploi au Grand-Duché, et devraient donc s’y loger, mais les capacités de construction de logements neufs stagnent. Les dernières données précises sur la construction sont celles de 2018. Cette année-là, 14 809 nouveaux emplois étaient créés au Luxembourg. Un travailleur arrive rarement seul, et il faut partir sur une moyenne basse de 2,4 personnes par foyer au Grand-Duché (statistiques de 2016). En 2018, il fallait donc loger idéalement 35 541 personnes au Grand-Duché… l’équivalent d’une ville comme Esch-sur-Alzette à bâtir en un an (36 000 habitants) ! Impossible bien sûr.

Résidents/frontaliers, l’équilibre fragile

Dans ses projections, le Statec prend donc en compte le phénomène frontalier, qui est intimement lié à cette problématique : «Il faudrait construire entre 6 000 et 8 000 nouveaux logements chaque année d’ici 2030, en fonction des scénarios de répartition résidents/frontaliers», nous explique Julien Licheron, chercheur au Statec (un peu de lecture ici, pour les courageux). Revenons à notre année 2018 : 3 033 nouveaux logements étaient livrés cette année-là, pour caser 35 541 nouveaux habitants. En incluant le turn-over de logements vides pour cause de décès, et l’envie éventuelle de vivre dans une cage à lapin au Kirchberg (densification urbaine en termes plus techniques), on se dit que ça peut passer… évidemment non. Cette année-là, sur les 14 809 nouveaux emplois créés, 8 486 étaient finalement occupés par des frontaliers (57,3% du total des emplois). Pour une partie d’entre eux, il s’agissait probablement de résidents natifs de Lorraine, Wallonie ou Sarre. Pour une autre, grandissante, il s’agissait tout simplement d’habitants ne trouvant pas à se loger au Grand-Duché.

La tendance de 2019 et 2020 pourrait suggérer une «légère augmentation des capacités de construction par rapport aux années précédentes», souligne Julien Licheron. On peut le déduire d’une augmentation des autorisations à bâtir (autoriser ne veut pas dire faire, d’où la prudence). Mais il n’y aura pas de miracles pour rattraper un delta immense vers les 7 000 logements neufs qu’il faudrait construire par an, pour rester dans un équilibre raisonnable entre frontaliers et résidents. Et, sauf augmentation drastique de la productivité du pays (c’est la tendance inverse qui est à l’œuvre en réalité), qui permettrait une baisse du nombre d’emplois pour une richesse produite équivalente, il y aura toujours plus de frontaliers.

C’est une mauvaise nouvelle pour la cohésion sociale du pays, puisque le logement à prix abordable ne suit pas non plus. Mais cela reste une bonne nouvelle pour les finances publiques du Grand-Duché : un habitant n’a pas seulement besoin d’un logement. Il lui faut aussi des parcs, des écoles pour ses enfants, des aménagements au niveau de la mobilité, de l’assainissement urbain, des animations culturelles… autant d’investissements publics reportés sur les finances des pays voisins, qui visiblement, s’en accommodent bien.

Hubert Gamelon