La ministre de l’Intérieur, Taina Bofferding, est décidée à soutenir les communes dans leur mission de créer plus de logements abordables. D’une manière générale, la main publique va assumer un rôle plus proactif.
«Je souhaite vraiment dépoussiérer l’image du ministère de l’Intérieur, longtemps considéré comme instance de contrôle qui s’est souvent montrée impitoyable avec les communes», souligne Taina Bofferding. Entrée en fonction fin 2019, elle souhaite donner une autre impulsion à sa fonction : « »Matenee fir eng modern Gemeng » (« Ensemble pour une commune moderne ») n’est pas seulement le slogan de la refonte de la loi communale qui est en cours de préparation. Il s’agit de notre programme de travail. L’objectif est de développer les fonctions de conseils et s’imposer comme véritable partenaire des communes.»
Simplification administrative, allègement de la tutelle administrative, digitalisation, finances communales : les dossiers chauds ne manquent pas (lire également ci-dessous). La création par les communes de plus de logements abordables est un autre chantier majeur. «Ce sont bien le ministre du Logement, Henri Kox, et Sam Tanson, qui lui a précédé, qui se sont concertés avec les communes pour préparer le Pacte logement 2.0. Il est toutefois de mon ressort de fournir les bons outils aux communes qui leur permettent d’assumer leur responsabilité sociale», affirme la ministre de l’Intérieur dans un entretien accordé au Quotidien.
Des quotas pour le logement abordable
Fin juillet, Taina Bofferding s’est retrouvée au côté d’Henri Kox pour présenter les contours du Pacte logement 2.0. Contrairement à la première mouture, le nouveau Pacte obligera les communes à créer des logements abordables pour pouvoir bénéficier des subventions de l’État. «J’ai saisi l’occasion pour adapter un des articles de la loi sur l’aménagement communal, plus précisément l’article 29bis. Le projet de loi imposera, pour chaque projet de lotissement futur, une proportion de logements abordables», détaille la ministre de l’Intérieur. Elle livre un exemple plus concret : en cas de création de 10 à 25 logements nouveaux, 10 % devront être à prix abordable. «Toute extension du périmètre de construction devra également se voir appliquer de tels quotas», précise Taina Bofferding.
Le cadre légal du Pacte logement 2.0 va ancrer le principe que les logements abordables restent en possession de la main publique. «La priorité de l’acquisition sera accordée aux communes. Si elles ne sont pas intéressées, les promoteurs publics vont devenir propriétaires du logement en question», note encore la ministre.
Il reste le périlleux défi de dénicher des terrains pour réaliser de nouveaux logements. Dans ce contexte, le droit de préemption constitue une arme majeure des communes.
Le droit de préemption sera renforcé
Ce dispositif est cependant fragilisé aujourd’hui. «Deux récents jugements des tribunaux remettent en question le principe même du droit de préemption», doit admettre Taina Bofferding. Conformément à la législation communale, les juges ont retenu qu’il n’appartient pas au collège échevinal de se prononcer pour l’exercice du droit de préemption au nom de la commune, mais au conseil communal. De plus, un projet concret doit déjà exister au moment de l’acquisition «ce qui, au vu des délais, n’est pas simple à respecter».
Le camp de l’opposition, emmené par Laurent Mosar (CSV), reproche à la ministre socialiste de s’être méprise dans le dossier et d’avoir fait une mauvaise interprétation des jugements au détriment des communes. Son envoi d’une circulaire empêcherait aujourd’hui les communes de faire usage de leur droit de préemption. «Je n’ai aucune compréhension pour cette critique injustifiée, voire erronée et malveillante. Il est de mon devoir d’informer les communes par voie de circulaire sur les risques d’insécurité juridique qui peuvent naître de décisions prises par une autorité incompétente. Je n’ai à aucun moment pris une décision politique», se défend Taina Bofferding, vexée en raison de «l’attaque gratuite» dont elle a fait l’objet.
La ministre de l’Intérieur ne nie cependant pas que l’exercice du droit de préemption est devenu difficile : «Un groupe de travail sous la présidence du ministère du Logement impliquant l’Intérieur impliquant l’Intérieur et le Syvicol (NDLR : le Syndicat des villes et communes luxembourgeoises) se penche déjà depuis un certain temps sur une refonte du droit de préemption. Le travail d’analyse est en cours et doit aboutir à un projet de loi.» L’objectif sera d’éviter que «le droit de préemption continue à exister sur le papier alors qu’en réalité il est déjà enterré».
David Marques
Les «bienfaits» de la crise
Un mal pour un bien? Taina Bofferding hésite. Mais la ministre de l’Intérieur ne peut que constater que la crise sanitaire, ayant mis les communes à rude épreuve, pourra servir à pousser plus loin la refonte de la loi communale. «Une commune doit pouvoir fonctionner à tout moment. L’état civil a par exemple à lui seul une importance majeure», indique Taina Bofferding. Elle encourage donc l’échange sur les retours d’expérience que les 102 communes du pays ont récoltés pendant la période de confinement.
S’il y a bien un enseignement à tirer, c’est le besoin de continuer à miser sur la digitalisation. Bon nombre de démarches administratives peuvent déjà être effectuées en ligne et bien d’autres suivront avec la refonte de la tutelle administrative. L’organisation par visioconférence des réunions du conseil communal ou le vote par procuration feront partie de la refonte de la loi communale.
Poursuite des travaux dès cet automne
Le recours renforcé au télétravail est une autre option. «Nous avons adressé un questionnaire aux mandataires politiques mais aussi aux agents communaux pour évaluer l’apport du télétravail», note Taina Bofferding. Le ministère de l’Intérieur compte s’aligner aux travaux qui sont en cours à l’échelle de la fonction publique.
En juillet a été clôturé la première étape du large processus de consultation qui doit aboutir à une loi communale dépoussiérée. Plus de 6 300 acteurs du secteur ont participé à l’exercice. Lors de la table ronde virtuelle de clôture de la phase 1, ils étaient 200 à avoir échangé avec la ministre. «Je tiens vraiment à m’entretenir et d’avoir un contact étroit et régulier avec les représentants des communes. Cette table ronde a été d’autant plus importante que les rencontres traditionnelles ont été annulées en raison de la pandémie», fait remarquer Taina Bofferding.
La prochaine étape du travail de refonte sera lancée cet automne. «Il s’agira désormais de travailler sur des thématiques spécifiques et développer des solutions aux problèmes identifiés», préface la ministre. Pour l’instant, le dépôt du texte de réforme reste prévu pour fin 2021.
La réforme de l’impôt foncier au plus tôt en 2023
La spéculation foncière est un des principaux maux du marché immobilier au Luxembourg. Le gouvernement s’est enfin décidé à s’attaquer au problème. L’arme majeure est la réforme de l’impôt foncier. «Un exercice délicat, admet la ministre de l’Intérieur, Taina Bofferding. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas l’entreprendre.» Les plans d’aménagement généraux (PAG) «nouvelle génération» des 102 communes doivent former la base pour le calcul de l’impôt foncier. La crise sanitaire a cependant retardé les procédures dans les 19 communes qui n’ont toujours pas de nouveau PAG. En attendant, les services de la ministre se concentrent sur l’aspect technique.
«On a besoin d’une formule de calcul qui tient compte de la valeur réelle du terrain. On pourra bientôt procéder aux premiers tests», annonce Taina Bofferding. La future base légale, devant rendre l’impôt foncier plus équitable tout en s’attaquant à la spéculation foncière, devra être accompagnée par un outil numérique. «J’espère que le projet de loi pourra être déposé avant la fin de la législature, au plus tard en 2023, de préférence avant», conclut la ministre.
Finances : la ministre se veut rassurante
Selon la ministre de l’Intérieur, «la situation financière est loin d’être si dramatique» que certains ont voulu faire croire. Actuellement, des agents du ministère font le tour des 102 communes pour les conseiller en vue de l’établissement de leur budget 2021. «On ne peut que les conseiller. La décision finale leur appartient», précise Taina Bofferding. Elle se veut confiante pour la suite : «Aucune commune ne connaît à ce stade une dette qui est à considérer comme critique.»
La ministre continue à encourager les communes à investir. Pour mieux les soutenir, les subsides ont été revus à la hausse. Pour la construction d’une école, le ministère participe à son financement et prend désormais 40 % du coût en charge d’une salle de classe notamment, au lieu de
35 % en amont de la crise.