L’eau est un bien précieux, mais elle est rare et surconsommée. Une situation qui va en s’aggravant au Luxembourg, en raison de la croissance démographique et du changement climatique.
Le Luxembourg consomme chaque année environ 44 millions de mètres cubes d’eau, soit 120 000 m3 par jour. Chaque habitant en consomme donc à lui seul en moyenne 202 litres par jour, tous secteurs confondus, ou 136 litres en ne prenant en considération que les ménages.
Si les habitants consomment à peu près comme la plupart de leurs voisins européens, le Luxembourg jouit toutefois d’une particularité : avec les travailleurs frontaliers qui utilisent de l’eau en journée, la consommation augmente de manière substantielle en semaine par rapport au week-end et les pointes de consommation peuvent être aussi très différentes selon les localités.
Jusqu’à présent, le pays n’a pas rencontré de problèmes d’approvisionnement en eau potable pour assurer la consommation moyenne. Par contre «des phases “orange” ont déjà dû être mises en place localement car le fournisseur local n’était plus en mesure de fournir la quantité demandée lors des consommations de pointe», fait savoir Brigitte Lambert, chef de la division des eaux souterraines et des eaux potables de l’administration de la Gestion de l’eau.
Des consommations de pointe qui sont largement liées à la situation météorologique. «On a constaté que si les températures commencent à dépasser les 28 à 30°C, la consommation en eau potable croît de manière substantielle. Les situations dites de pointe sont très importantes lorsqu’on a des périodes très ensoleillées, très chaudes et sans pluies régulières.»
Appel à économiser l’eau
Lorsque la situation commence à alerter, l’administration lance une «phase de vigilance».«Le public est sensibilisé et est appelé sur base volontaire à économiser de l’eau. Mais s’il y a des situations locales ou régionales qui sont très critiques, le fournisseur d’eau ou la commune peuvent adopter un règlement d’urgence et déclencher une phase orange.» Les mesures alors décidées sont obligatoires, comme l’interdiction de laver sa voiture ou d’arroser son jardin. Des mesures qui n’ont été appliquées jusque-là qu’aux personnes privées et bien que les entreprises aient été sensibilisées et appelées à économiser l’eau, aucun secteur économique ne s’en est vu privé.
L’appel au bon sens et à la responsabilité de tout à chacun est privilégié car le rationnement de l’eau, avec des coupures à certaines heures, n’est guère envisageable afin de préserver la qualité de l’eau. «C’est à éviter à tout prix, car un réseau qui n’est pas sous pression peut aspirer des impuretés. C’est pour cette raison qu’il est toujours en surpression : si un défaut au niveau de l’étanchéité apparaît, c’est l’eau potable qui sort et non une impureté qui rentre», explique Brigitte Lambert.
Au cours de ces 15 dernières années, plusieurs phases orange ont été décrétées au niveau local, comme à Mersch, Mertzig, Nommern ou Sandweiler en 2017 par exemple. Des phases plus critiques et plus récurrentes dues à deux phénomènes : l’augmentation rapide de la population (et des consommateurs en général, avec les frontaliers) et, sans surprise, le réchauffement climatique. «Au niveau local, les infrastructures peuvent parfois avoir du mal à suivre ce rythme de croissance de population très soutenu, explique Brigitte Lambert. En parallèle, en raison du réchauffement climatique, on assiste depuis une quinzaine d’années à une diminution du niveau d’eau dans les nappes phréatiques et des débits dans les sources, ce qui est contraire à l’évolution démographique que nous vivons.»
Ultime recours : les forages profonds
Mais que se passerait-il en cas d’une très importante pénurie d’eau ? De manière très locale et très ponctuelle, certaines communes frontalières peuvent bénéficier de raccords d’urgence avec des communes limitrophes grâce à des accords locaux. Mais globalement, le Luxembourg ne compte que sur lui-même pour son approvisionnement en eau. Une des solutions de secours pour les grands fournisseurs en eau serait alors de passer par des forages profonds.
Mais ceux-ci ne peuvent être pompés que deux à trois mois par an maximum pour permettre à la nappe de se remplir à nouveau. «Ce n’est pas une situation optimale, mais pour le moment nous n’avons pas d’autre choix pour subvenir éventuellement à certains besoins de pointe. L’autorisation de pompage n’a été donnée que pour un court laps de temps, car on part du principe que la nappe remet dix mois pour se régénérer», signale Brigitte Lambert. «Mais jusqu’à présent, nous avons toujours eu de la chance : lorsque la situation devenait très critique, il a commencé à pleuvoir !»
Afin de pallier tout futur problème, une stratégie a été mise en place, qui repose sur trois piliers : la protection des ressources en eau actuelles (qu’elles soient en service ou non, mais pour ces dernières, des mesures sont prises pour rétablir leur qualité à moyen terme); la mise en œuvre d’une stratégie nationale d’économie d’eau; et enfin, la mise en place d’une deuxième usine de traitement d’une eau superficielle d’ici l’horizon 2040. «Le seul fleuve qui a assez de débit pour cela c’est la Moselle», annonce Brigitte Lambert (lire ci-dessous).
Tatiana Salvan
Sera-t-on privés d’eau cet été ?
Impossible pour l’heure de savoir si le pays subira des pénuries d’eau cet été. «C’est très difficile à prévoir, tant cela dépend de la situation météorologique», explique Brigitte Lambert, qui signale toutefois que l’été 2022 devrait être plus «relax» pour les grands fournisseurs d’eau car la nouvelle station de traitement à Eschdorf, qui sera mise en service à partir de l’automne 2021, pourra alors fournir 40 000 m3 d’eau supplémentaires. «Cela ne veut pas dire que les petites communes autonomes (NDLR : qui ne dépendent pas des grands fournisseurs) n’auront pas des problèmes…», nuance-t-elle toutefois.
Il ne faudrait cependant pas être confrontés cet été à de longues périodes de sécheresse, car la recharge des nappes phréatiques a commencé plus tardivement cette année : en janvier, soit un mois plus tard qu’à l’accoutumée, en raison d’un été et d’un automne 2020 très secs. En sus, les mois hivernaux n’ont pas été plus pluvieux que la moyenne. «La saturation des sols a pris beaucoup de temps, or ce n’est que lorsque les sols sont saturés que la pluie peut pénétrer dans les nappes souterraines.» Et malgré les apparences, le mois de mai a lui aussi été moins pluvieux : il n’a plu 50 l/m2 quand en moyenne il pleut 75 l/m2.
La situation a toutefois été jusque-là stabilisée du fait que le printemps a été plutôt froid. La végétation a donc poussé plus tardivement, sans quoi elle aurait pompé toute l’eau. «Les pluies au printemps contribuent à garder la saturation des sols à un bon niveau, ce qui est favorable pour la végétation, mais la recharge des eaux souterraines est alors extrêmement faible pendant les périodes de végétation. Étant donné qu’il a fait assez froid pendant cette période, l’évapotranspiration était moins importante que pendant des printemps chauds», résume Brigitte Lambert.
La Moselle dans nos robinets ?
D’ici 2040, le pays boira l’eau de la Moselle. Pas de souci, l’eau du robinet répond à des normes très strictes et sa qualité est garantie, souvent bien plus que l’eau embouteillée.
Les ressources en eau ne sont pas illimitées et pour pallier le manque d’eau qu’engendrent la croissance démographique et le réchauffement climatique, le Luxembourg devrait bientôt aller se servir… dans la Moselle ! L’idée peut peut-être rebuter au premier abord, et pourtant, «à l’étranger, beaucoup de grandes villes boivent l’eau d’un fleuve, que ce soit la Moselle en France ou le Rhin en Allemagne ou aux Pays-Bas», signale Brigitte Lambert.
Alors bien sûr, «l’eau brute de la Moselle n’est pas d’une excellente qualité et le traitement n’est ni anodin ni facile. Il sera plus poussé que celui de l’eau du lac de la Haute-Sûre, qui présente moins de micropolluants, mais c’est faisable», rassure Brigitte Lambert, qui ajoute : «Techniquement tout est faisable. Sur l’ISS, ils produisent bien de l’eau potable à partir des eaux usées !»
L’eau qui s’écoulera du robinet d’ici l’horizon 2040 (lorsque la nouvelle usine de traitement des eaux sera mise en place) sera donc totalement buvable, tout comme l’est d’ailleurs celle qui en sort aujourd’hui, car un règlement très strict en la matière régit l’eau potable au Luxembourg, comme le rappelle Brigitte Lambert : «Pour que l’eau puisse être distribuée dans le réseau d’eau potable public, il faut qu’elle soit à tout moment conforme à ces normes. Le règlement est d’ailleurs plus strict que pour les eaux minérales embouteillées, pour lesquelles beaucoup de paramètres ne sont pas réglementés et qui en plus ne s’appliquent qu’au moment de la mise en bouteille et pas après stockage.»
Des normes très strictes
Dans les eaux minérales en bouteille (bouteilles qui coûtent d’ailleurs beaucoup d’eau à fabriquer…), des concentrations de certaines substances, comme les sulfates par exemple, ne seraient pas tolérées sur le réseau de distribution d’eau public, fait savoir la chef de division.
Quant aux minéraux que sont censées nous apporter certaines eaux en bouteille et dont se vante le marketing, l’eau du robinet les fournit aussi, même si la composition de l’eau n’est pas la même dans tout le pays. «L’eau du lac de la Haute-Sûre possède moins de minéraux. Elle est donc plus douce, ce qui présente un avantage pour les appareils électroménagers. Mais on ne manque pas de minéraux pour autant car, là aussi, il y a des normes. À l’inverse, dans d’autres communes du pays, comme Schengen par exemple, l’eau est beaucoup plus minéralisée, très calcaire, car elle provient uniquement de l’eau souterraine. C’est bon pour la santé mais moins pour les appareils !»
Afin de redonner confiance aux consommateurs et encourager la population à boire l’eau du robinet, le ministère de l’Environnement et l’administration de la Gestion de l’eau ont lancé une campagne de sensibilisation intitulée «Melusina’s Choice» (à retrouver sur Facebook et sur drenkwaasser.lu). Des vidéos explicatives seront à cet égard prochainement mises en ligne pour mettre fin aux fausses croyances concernant l’eau du robinet, car «beaucoup de gens sont contactés par des installateurs qui veulent leur vendre des filtres à eau et autres adoucisseurs très coûteux, même pour des eaux qui n’en ont pas besoin», alerte Brigitte Lambert.
Tatiana Salvan