Depuis un an maintenant, l’ensemble des soignants fait face au Covid-19. Réanimateurs et infirmiers des soins intensifs du CHL témoignent.
«On doit partir du principe qu’on a un premier cas de coronavirus confirmé au Luxembourg», annonce la ministre de la Santé, Paulette Lenert, le samedi 29 février 2020, sur le coup de 21 h. Le premier patient touché par le Covid-19 était un homme d’une quarantaine d’années qui revenait d’un voyage en Italie. Une fois détecté, il avait été mis à l’isolement avec les membres de sa famille au Centre hospitalier de Luxembourg (CHL). Un an plus tard, l’ensemble des soignants du pays est toujours engagé dans la lutte contre le coronavirus. C’est aussi toujours le cas au CHL.
Jeudi, en fin de matinée, le service des soins intensifs, situé au 3e étage de l’aile sud du bâtiment principal du CHL Centre, semble calme. Le silence est entrecoupé des bips successifs des moniteurs de certains patients. Parmi ceux présents dans le service, ils sont trois à être là en raison du Covid-19. Blouse, masque, gants… : devant la chambre des patients Covid-19, la préparation des infirmières avant d’entrer pour prodiguer les soins est minutieuse.
«Cette préparation est essentielle pour éviter d’être contaminé, souligne Frank Gils, cadre soignant et chef d’unité. Au fil du temps, on a réussi à mieux connaître le virus et à adapter le protocole pour se protéger. Finalement, très peu de membres de notre personnel ont été touchés. On est mieux protégés ici que dehors.»
«L’angoisse» du début de la crise sanitaire
En revanche, il y a un an, «c’était l’inconnu», se souviennent Christian Ferretti, Tania Bintener et Jean Reuter, tous trois réanimateurs aux soins intensifs du CHL. «On voyait ce qui se passait dans l’est de la France ou encore en Italie, confie Christian Ferretti. On se préparait grâce au protocole mis en place en 2014, mais jamais appliqué, pour faire face à l’épidémie d’Ebola. Mais en février-mars de l’année dernière, nous n’avions que très peu d’informations et on entendait des choses terrifiantes.»
Le 14 mars 2020, le service des soins intensifs du CHL accueille son premier patient atteint du coronavirus. C’est le début de la première vague pour les soignants du service. «Au début, il y avait une certaine angoisse à la fois en ce qui concerne la prise en charge du patient et par rapport au risque d’être touché personnellement par le virus, reconnaît Christian Ferretti. Après un certain délai, nous avons constaté qu’aucun médecin n’avait été touché par le coronavirus, et c’est encore le cas aujourd’hui, donc une certaine sérénité et une confiance dans notre protocole sont apparues.»
L’organisation du service et de l’hôpital en général s’adapte et met en place des protocoles organisationnels, forme des médecins et infirmiers pour faire face. «Quant à la stratégie de la prise en charge des patients, elle évolue au jour le jour», souligne Tania Bintener.
La première vague de coronavirus va durer deux mois. «Elle s’est arrêtée le 14 mai, se rappelle Jean Reuter. Le confinement strict a été très efficace. Il y a eu un soulagement à ce moment-là.» Mais de courte durée. «Dans la foulée, nous avons eu une vague 1 prime, qui concernait les malades chroniques, explique Christian Ferretti.
«Nous n’avions jamais vu ça au CHL»
Pendant le confinement, on se demandait : « où sont nos malades habituels? ». Ils sont revenus juste après le confinement. Par exemple, on a eu des patients atteints de cirrhose ou de cancer qui ont laissé traîner les symptômes pendant le confinement.» Et pendant ce temps-là, les cas de coronavirus continuaient, dans une moindre mesure par rapport au printemps, d’être pris en charge par le CHL, qui dispose du Service national des maladies infectieuses.
Mais la deuxième vague s’annonce. Elle commence à déferler à la mi-octobre. «Elle a été beaucoup plus forte et beaucoup plus grave que la première», affirme Frank Gils. Jean Reuter poursuit : «Nous étions plus sereins en termes d’organisation. Mais le service de réanimation, qui compte un maximum de 19 lits, a très vite été complet. Nous avons dû étendre notre service au sein de la chirurgie. Nous avions 24-25 patients en réanimation, dont une grande majorité de cas Covid. Nous n’avions jamais vu ça au CHL.»
Christian Ferretti complète en soulignant : «Ici, nous accueillons les cas les plus graves et il faut dire que nos collègues du « middle care » avancé ont fait un travail exceptionnel pendant cette période et encore aujourd’hui.»
«Oui, nous étions à la limite…»
Malgré tout, les trois réanimateurs – le service est passé de 8 à 12 réanimateurs et anesthésistes à ce moment-là – admettent qu’en novembre et en décembre, ils ont pensé à certains moments que «là si on a un ou deux patients en plus, on n’y arrivera pas. Oui, nous étions à la limite et cela aurait pu virer au drame». Et ils avouent que pendant cette deuxième vague, certains comportements qu’ils ont vus à l’extérieur ont pu les «agacer», voire les «fâcher». «Ici, cela crachait du Covid partout, mais on respectait les consignes et aucun soignant n’a été infecté dans le service. Alors oui, le respect des gestes barrières est essentiel.»
Lors de cette deuxième vague, la mortalité liée au Covid-19 a été beaucoup plus élevée qu’au printemps. Elle l’est toujours. «Le coronavirus a été la troisième cause de mortalité l’année dernière au Luxembourg, dit Jean Reuter. En moyenne, 12 personnes meurent dans le pays chaque jour. Et aujourd’hui, il y a trois ou quatre décès du Covid-19 chaque jour.»
Depuis le début de la crise sanitaire, le CHL a pris en charge environ 900 patients Covid-19, dont 102 ont été admis en soins intensifs. «Plus le temps passe, plus on s’habitue et les angoisses du début disparaissent, confie Christian Ferretti. On arrive à rendre cette maladie de moins en moins extraordinaire. Nous avons la chance d’être vaccinés. Nous sommes prêts à faire face et à faire le travail. Mais il y a les autres maladies, les accidents, les AVC… Si on alerte, c’est parce qu’on se met dans la peau du patient.»
Aujourd’hui, infirmiers et médecins du service des soins intensifs du CHL suivent avec attention ce qui se passe à l’étranger, et plus particulièrement au sein des pays voisins, tout en constatant l’évolution de la situation ici, et notamment en ce qui concerne la propagation des variants. «Oui, nous craignons une troisième vague, confient les trois réanimateurs. On a l’impression qu’il y a un frémissement et d’être actuellement dans la même situation que début octobre. Pour l’instant, ça a l’air d’être une vaguelette.» Jean Reuter estime qu’«il faudrait casser cette spirale tout de suite pour laisser du temps à la vaccination…». Frank Gils conclut : «La bataille n’est pas terminée.»
Guillaume Chassaing