Les frontaliers, intéressés uniquement par le salaire au Luxembourg? Pour démêler le vrai du faux, l’ASTI a organisé mercredi une conférence sur ces travailleurs.
À l’occasion de son 40e anniversaire, l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI) a organisé mercredi une conférence-débat en ligne sur le thème des travailleurs frontaliers intitulée «Les frontaliers du Luxembourg : au-delà des idées reçues».
Avec la moitié de ses travailleurs qui résident en dehors de son territoire, le Luxembourg est en effet un cas unique en matière de travail frontalier, et les études conduites récemment par des chercheurs des universités de Lorraine et du Luxembourg, respectivement Rachid Belkacem et Isabelle Pigeron-Piroth, ont permis de mettre en lumière l’évolution d’un phénomène pas si récent, toujours croissant et sujet à de nombreuses idées reçues.
Ainsi, 25 % des travailleurs frontaliers en Europe vivent dans la Grande Région et parmi eux, 80 %, soit 200 000 personnes, se rendent quotidiennement au Grand-Duché (ils étaient 50 000, soit quatre fois moins, en 1994, et on estime qu’ils seront 100 000 de plus qu’actuellement en 2035). La moitié d’entre eux vient de France, l’autre moitié est répartie à parts égales entre la Belgique et l’Allemagne.
Perception négative contre image positive
Sans surprise, la capitale, suivie de la ville d’Esch-sur-Alzette, demeure le principal pôle d’attraction. Et si dans les années 90 le bassin thionvillois concentrait l’essentiel des travailleurs frontaliers, non seulement la densité dans cette zone s’est encore accrue depuis, mais de nouveaux pôles de concentration sont apparus, notamment Trèves ou Saint-Vith, et certains travailleurs viennent de plus en plus loin, comme Metz par exemple.
Une proportion qui peut engendrer parfois une perception négative du côté des nationaux, comme l’ont montré les chercheurs, qui peuvent éprouver la crainte de perdre leur identité culturelle ainsi que la pratique du luxembourgeois et dénoncent un flux de frontaliers qui a un impact négatif en termes d’environnement et de qualité de vie, tout en relevant malgré tout un apport nécessaire à l’économie et un facteur d’enrichissement social et culturel.
De l’autre côté, loin d’être une masse homogène avide d’argent et ne s’intéressant pas au Grand-Duché, les travailleurs frontaliers ont une image plutôt positive du Luxembourg, qu’ils décrivent à 22 % selon leurs propres termes de «multiculturel» et à 19 % de «riche» et «beau», mais aussi d’«accueillant», «attractif», «sûr»…
Attirés aussi par des offres d’emploi intéressante
En effet, si les différents sondages confirment effectivement que le salaire reste le motif majeur pour les travailleurs de venir exercer leur métier au Luxembourg, c’est loin d’en être l’unique raison : des offres d’emploi intéressantes, plus en adéquation avec la formation suivie, des perspectives de carrière plus attractives et l’environnement international séduisent les étrangers.
De manière générale, les frontaliers, plus nombreux que les résidents à posséder un diplôme égal ou supérieur à bac+3, travaillent essentiellement dans l’industrie manufacturière (ils constituent même les deux tiers des salariés), dans le commerce ainsi que dans la construction et les activités financières. Le secteur de l’intérim,qui en embauche 14 %, se révèle en outre très important pour les frontaliers français.
Des frontaliers plutôt masculins
À noter par ailleurs qu’il y a plus d’hommes que de femmes qui franchissent la frontière, ces dernières ne représentant environ qu’un tiers ou à peine plus de ces travailleurs. «Ce phénomène n’est pas nouveau, éclaire Isabelle Pigeron-Piroth, les hommes sont plus enclins à la mobilité, car souvent les femmes restent en charge des tâches ménagères et familiales et sont moins enclines à connaître des mobilités plus longues et plus contraignantes.»
Quoi qu’il en soit, comme le rappelle Rachid Belkacem, l’actualité récente a rappelé, si besoin était, «combien sont importants ces travailleurs frontaliers qui, chaque jour, viennent faire tourner l’économie et assurer une partie de son développement. Ils constituent une véritable force économique».
Mais les futurs travailleurs frontaliers vont être indubitablement confrontés à des mutations profondes dans les années à venir, notamment en raison «du déclin démographique dans les régions frontalières, de la digitalisation et du développement durable», prévient l’enseignant-chercheur.
Tatiana Salvan
La conférence est à retrouver sur les pages Facebook et YouTube de l’ASTI.
Retour au pays
C’est un fait : certains travailleurs frontaliers finissent par retourner travailler dans leur pays d’origine, quitte à gagner moins d’argent mais plus de confort de vie en se rapprochant de leur domicile. Un phénomène qui constitue un véritable défi pour les entreprises luxembourgeoises, à l’instar de PwC, 10e employeur du pays avec 3000 salariés, dont quasiment la moitié sont frontaliers.
Anne Philibert, directrice des ressources humaines chez PwC : «C’est un enjeu majeur, et cela fait partie des raisons pour lesquelles nos collaborateurs nous quittent. Recruter des juniors est relativement facile, d’autant que nous avons des partenariats avec les universités de la région. Mais ils peuvent choisir de repartir après quelques années, surtout que les loyers prohibitifs ne les incitent pas à s’installer au Luxembourg. À l’inverse, recruter des profils expérimentés est plus difficile. Néanmoins, lorsqu’ils ont pris la décision de s’installer, ils restent. Afin de pallier cela et de diminuer le temps de trajet, nous avons mis en place par exemple des bureaux aux frontières.»