Les parents culpabilisent souvent en voyant leur enfant devant un écran devenu pourtant incontournable. D’abord adulé puis diabolisé, l’outil numérique est accusé de beaucoup de maux. Qu’en est-il vraiment ?
Jusqu’à deux ans, pas du tout d’écran. Et ensuite, on peut éventuellement introduire les tablettes avec du contenu numérique, mais toujours avec une interaction et de façon ludique», indique Jean-Marc Hild, spécialiste en sciences humaines et chef du Service audiophonologique du ministère de la Santé. «On ne met pas son enfant devant un écran pour avoir la paix.»
«Avant trois ans, l’isolement induit par l’exposition à l’écran en solitaire est néfaste pour le développement de l’enfant», explique l’orthophoniste. Le ministère de la Santé avait lancé une campagne («Apprivoiser les écrans et grandir») avec notamment des conseils par tranches d’âge (3-6-9-12 ans) basés sur les recherches du psychiatre français Serge Tisseron.
«Depuis un certain nombre d’années, le contenu digital, le numérique et les écrans font partie de notre vie. Ils ont un intérêt didactique certain, à condition qu’ils soient complémentaires d’une approche didactique classique basée sur les livres et sur la transmission verbale», poursuit Jean-Marc Hild.
Au-delà de l’interaction humaine, «ce qui compte aussi c’est la durée de l’exposition», précise le spécialiste du langage. «L’enfant ne doit pas passer des heures sur un contenu digital avec des écrans. Il y a un certain danger, même si je n’utiliserais pas le mot addiction. C’est juste une solution de facilité pour les enfants. C’est plein de couleurs, ça bouge tout le temps, ils ne s’ennuient jamais devant l’écran, donc ils adorent ça. Mais une exposition excessive va modifier leur comportement : ils s’attendent à être stimulés tout le temps et ne savent plus comment s’autosatisfaire dans des moments de solitude.»
Un frein à l’évolution du cerveau
Des vidéos ont montré ces dernières années des enfants qui hurlent, pleurent, se roulent par terre ou deviennent agressifs quand on leur retire l’écran auquel ils sont habitués. Jean-Marc Hild explique cette réaction choquante : «L’enfant était bien avec l’écran, il était dans un moment d’occupation, de satisfaction et on vient lui interdire ça et en général sans lui proposer d’alternative comme aller faire une balade. Souvent, on voit ces réactions dans un contexte où des habitudes ont été mises en place et soudainement, sans raison que l’enfant puisse comprendre, on va lui dire « stoppe les écrans ». Et il va réagir selon ses habitudes éducationnelles : un enfant roi va réagir avec beaucoup de violence, un enfant qui a l’habitude qu’on lui dise non va réagir avec moins de violence, mais va tout de même marquer le coup.»
Avant l’âge de 9 ans, «l’écran ne doit jamais être l’activité principale d’un enfant, ni être disponible dès qu’il le désire, il faut le réguler.»
Pour les plus petits, un excès d’écran empêche le cerveau de se développer. Jean-Marc Hild donne l’exemple d’un jeu de cubes : «Les composantes à mobiliser dans ce jeu sont notamment la motricité fine et la conscience spatiale. Si on prend un jeu de cubes sur l’écran, ces composantes vont être limitées à, par exemple, la coordination doigt-écran. Par ailleurs, la tablette ne sollicite pas l’enfant pour qu’il parle.» Celui-ci ne va donc pas apprendre le langage. Mais il y a plus grave encore : lorsqu’un petit enfant échange avec une personne, il apprend le respect, le tour de parole… Bref, tous les codes sociaux qu’un logiciel ne peut pas lui enseigner. Or il y a des fenêtres d’apprentissage. Si elle se ferme avant l’acquisition du langage par exemple, il sera trop tard : «C’est à ce moment-là qu’on parle de rééducation», note le chef du Service audiophonologique. Ces lacunes entraînent «des troubles du comportement qui peuvent avoir des traits autistiques : comme ne pas regarder dans les yeux son interlocuteur et crier beaucoup».
Si l’excès d’écran est dangereux pour l’enfant, Jean-Marc Hild ne conseille pas à l’inverse non plus d’avoir une éducation à l’extrême opposée en privant son enfant de tout écran : «On ne peut plus aspirer à un monde sans écran.» D’une part, cela risque d’isoler socialement l’enfant, d’autre part, le jour où les parents ne seront plus là pour le lui interdire, l’enfant devenu adulte ne sera pas capable de gérer sa consommation d’écrans.
Audrey Libiez