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« Le viol est une arme absolue et redoutable »


La Grande-Duchesse, ici à côté du prix Nobel Denis Mukwege, s'engage dans une nouvelle cause : un forum international est prévu sur la question en mars (Photo : Hervé Montaigu).

Le viol est utilisé dans la quasi-totalité des conflits armés de la planète. Pour mettre fin au silence qui entoure cette tragédie, un forum international, initié par la Grande-Duchesse, se tiendra les 26 et 27 mars.

Alerter l’opinion, fournir des pistes de réflexion en vue de mener des actions et donner enfin la parole aux premières concernées, les victimes de viol et de violences sexuelles dans les conflits, c’est là toute l’ambition du forum international «Stand Speak Rise Up!» qui se tiendra les 26 et 27 mars à Luxembourg. Une initiative lancée officiellement vendredi par la Grande-Duchesse Maria Teresa, en présence du Dr Denis Mukwege, le gynécologue «qui répare les femmes», prix Nobel de la paix, et de Céline Bardet, juriste internationale, fondatrice de l’ONG «We are not weapons of war». «C’est une cause qui nous concerne tous!», a asséné la Grande-Duchesse.
Comme le signale en effet Céline Bardet, «le viol est une arme qui n’a ni race, ni frontière, ni sexualité, ni religion». «On parle de viols avec une extrême violence, d’une arme qui devient quasi systématique, qui est endémique, utilisée dans pratiquement tous les conflits», poursuit la juriste. «En Bosnie, il y a eu des camps de viols! Des organisations terroristes comme Daech ou Boko Haram en font un système, créent des manuels pour expliquer comment on viole, qui on viole et comment on réduit en esclavage!»

Déshumaniser l’autre

«Le viol est une arme absolue et redoutable, explique le Dr Mukwege. Il permet d’affaiblir une communauté, de déshumaniser l’autre, il détruit tous les liens sociaux. Or, en détruisant le tissu social, on atteint les objectifs d’une guerre. Le viol coûte moins cher qu’une arme classique, et a des conséquences désastreuses sur le plan tant social qu’économique. Des conséquences qui peuvent être horizontales – une femme violée risque de contaminer des personnes autour d’elle –, mais aussi verticales, avec une transmission médicale, physique, mentale sur les générations à venir.»

Briser le silence et changer la société

Pourtant le silence continue d’être assourdissant autour de ce phénomène. Plus que le silence des victimes, («lorsqu’on vient les voir, elles parlent», fait savoir Céline Bardet), c’est le silence de la société en général qui provoque l’inaction, conduit à l’impunité et à la poursuite de l’utilisation du viol comme arme de guerre. «Le silence, c’est nous, c’est la société qui ne veut pas entendre parler de ça, c’est une question qui dérange», déplore la juriste.
«Pourquoi les femmes ne parlent pas facilement? Parce que notre société a créé des normes : dans certains pays où existent les crimes d’honneur, une femme risque de subir un double traumatisme, voire pire, en parlant de ce qu’elle a subi. Mais qu’en est-il à Paris? Au Luxembourg? Quand une femme s’est fait violer, on va se dire qu’elle l’a peut-être cherché, qu’elle était au mauvais endroit, etc. La honte posée sur la victime doit être portée sur l’agresseur. C’est notre responsabilité sociale et collective de lutter contre ces normes», plaide le Dr Mukwege.
Pour le gynécologue, ces normes sont en effet «des prétextes pour dominer les femmes» et il faut «lutter contre la masculinité dominante et établir l’égalité entre les hommes et les femmes» si l’on veut changer le regard que la société porte sur ces crimes et pouvoir y mettre un terme.

Problème des preuves

Mettre la lumière sur le phénomène, comprendre le modus operandi du viol en tant qu’arme de guerre pour pouvoir mieux lutter contre celui-ci, trouver des solutions à la problématique de la collecte et à la sauvegarde des éléments de preuves, voire repenser entièrement la question («Lorsque des Rohingyas arrivent dans des centres pour se faire soigner, c’est souvent plus de dix jours après les faits», signale Céline Bardet)… les champs de travail sont vastes pour en finir avec les violences sexuelles dans les conflits.
Une certitude cependant : les victimes doivent absolument être entendues, car ce sont elles les «expertes». «Elles savent exactement ce qu’il faut faire pour pouvoir non seulement mettre fin aux viols comme arme de guerre mais aussi pour savoir quelles actions mener afin de leur permettre de passer du statut de victimes à celui de survivantes et retrouver une vie sociale normale», témoigne le Dr Mukwege.
Une quarantaine de «survivantes», venues du monde entier, participeront ainsi activement au forum international à Luxembourg. Forum qui «ne sera pas une fin en soi, mais un début», a assuré la Grande-Duchesse, qui compte lancer un mouvement durant cette rencontre.

Tatiana Salvan