La récente sortie médiatique du président Frank Engel sur le besoin d’introduire de nouveaux instruments fiscaux crée l’ire dans les rangs du Parti chrétien-social. Une réunion de crise est convoquée pour ce mardi soir.
On le connaissait provocateur. Frank Engel a-t-il pour autant franchi la ligne rouge ? Un premier élément de réponse devrait ressortir de la réunion convoquée d’urgence par le comité national du CSV. En début de soirée, ce mardi, sera évoquée «l’orientation programmatique» du Parti chrétien-social.
Le président, élu dans la douleur en janvier 2019, sera attendu au tournant, pile une semaine après sa sortie médiatique très remarquée sur le besoin d’introduire de nouveaux instruments fiscaux afin de permettre à l’État, plumé par la crise sanitaire, de continuer à soutenir financièrement les «gens normaux» qui «sont le plus dans le besoin».
Dans un entretien radiophonique accordé à nos confrères de Reporter.lu, Frank Engel avait lancé qu’il serait temps de mettre «fin à la générosité» envers les plus fortunés. Ses propositions : la réintroduction d’un impôt sur la fortune, aboli en 2005 sous l’égide d’un gouvernement CSV-LSAP, la mise en place d’un impôt sur le droit de succession en ligne directe et le besoin d’une taxe sur les transactions financières.
Ce cavalier seul de son président sème la zizanie dans les rangs du CSV. Pire, le parti a pris ses distances avec Frank Engel dans un très bref communiqué, diffusé samedi. Le programme électoral de 2018, «sans équivoque» sur la question fiscale, serait toujours d’application. «Nous sommes clairement opposés à l’introduction d’un impôt sur la fortune pour les personnes physiques» est un des passages clés du «Plan pour le Luxembourg», soumis aux électeurs. «Nous avons été élu sur base de ce programme électoral. Le jeter par-dessus bord équivaut à une trahison des électeurs qui nous ont accordé leur confiance», martèle le député Laurent Mosar sur Twitter.
Le socialiste Kersch au secours d’Engel
Le désaveu de Frank Engel ne peut être plus clair. La missive de samedi, diffusée à l’issue d’une réunion d’urgence du groupe parlementaire chrétien-social, se termine sur un lapidaire «communiqué par le CSV». En principe, le président du parti devrait donc avoir cautionné le rappel à l’ordre destiné à lui-même. Il semble toutefois que le fossé entre la direction du parti et sa composante parlementaire se soit encore agrandi.
Et les choses ne sont pas prêtes de s’arranger, comme le démontre une publication de Frank Engel sur son compte Facebook. «Un monde fou», s’indignait hier l’ancien eurodéputé. Il réagissait à l’éditorial de nos confrères du Wort, ancien allié historique du CSV, qui demande la démission du président. «On revendique ma démission car j’ai suivi la doctrine sociale catholique. Et le programme directeur de mon parti», poursuit Frank Engel. Le programme en question met en avant la solidarité, le bien-être collectif et l’équité sociale.
S’agira-t-il de sa ligne de défense, ce mardi soir face aux membres du comité national ? En tout cas, le président sera confronté à du lourd. L’instance du parti est notamment composée de Martine Hansen, cheffe de fraction du CSV à la Chambre des députés, les virulents élus Gilles Roth et Michel Wolter tout comme Alex Donnersbach, président de la CSJ. Comme le révèle RTL Radio, l’aile jeunes du CSV a rédigé une lettre dans laquelle elle prend à son tour ses distances avec Frank Engel.
Les propositions du président du CSV trouvent cependant un écho plus positif dans les rangs de la majorité gouvernementale. Également sur Facebook, le vice-Premier ministre socialiste Dan Kersch salue le «courage politique» dont fait preuve Frank Engel. Selon le ministre du Travail, «le LSAP est ouvert à un débat sociétal» sur la question d’une plus forte imposition de la fortune. «Il s’agit non seulement d’une question d’équité entre les générations mais aussi d’équité sociale», souligne encore Dan Kersch. Il redoute toutefois que Frank Engel «(soit) isolé au sein de son parti et risque de ne pas survivre à cette intervention intéressante».
David Marques
La question de la réintroduction d’un impôt sur la fortune tout comme celle de la mise en place d’un impôt sur le droit de succession en ligne directe ont été thématisées dans bon nombre de programmes électoraux en amont des législatives d’octobre 2018.
Seule déi Lénk rejoint Frank Engel dans sa revendication d’un impôt sur la fortune. En 2018, le parti d’opposition proposait en outre d’engager un débat sur l’imposition des droits de succession en ligne directe.
Le DP est le seul parti de la majorité à suivre le CSV en excluant catégoriquement un droit de succession en ligne directe. Par contre, le parti du Premier ministre, Xavier Bettel, plaidait pour des ajustements supplémentaires en ligne indirecte. Le LSAP ne s’est pas spécifiquement exprimé dans son programme électoral sur le droit de succession. Le vice-Premier ministre Dan Kersch se dit toutefois «ouvert à la discussion». L’imposition de la fortune est par contre une revendication de longue date du camp socialiste. Déi Gréng restent vagues dans leur programme électoral renvoyant vers la seconde réforme fiscale, que le gouvernement compte toujours réaliser d’ici 2023. Les travaux doivent reprendre en automne.
Dans le camp de l’opposition, l’ADR est opposé à imposer les héritages en ligne directe tandis que les pirates plaident pour une réforme du droit de succession.
D. M.