La condition des femmes en début de grossesse reste un tabou parfois lourd de conséquences.
Mentir sur les raisons de ses allers-retours aux toilettes ou se cacher derrière l’ordinateur pour faire la sieste… Dans le milieu professionnel, microcosme de la pudeur, la condition des femmes en début de grossesse reste un tabou parfois lourd de conséquences. «Je ne connais pas une femme qui a été à l’aise pour annoncer sa grossesse au boulot», confie Judith Aquien, autrice de Trois mois sous silence, où elle dépeint un sombre tableau de ce que vivent les femmes au début de leur grossesse, notamment au travail, où propos culpabilisants et insinuations déplacées peuvent être omniprésents. «On est face à un système qui n’a jamais été déconstruit, qui n’est pas adapté et qui est discriminant. Il s’agit là d’une des principales raisons pour lesquelles des femmes dissimulent leur grossesse durant le premier trimestre», critique-t-elle.
Cette inadaptation et ce silence, la députée française Paula Forteza (non inscrite, ex-LREM), enceinte, en parle dans un plaidoyer publié le 26 juillet et qui a trouvé un écho retentissant sur les réseaux sociaux. Elle raconte l’inquiétude de son entourage quand elle a dévoilé sa grossesse avant la fameuse échographie dite «des trois mois», à partir de laquelle les risques de fausse couche sont plus limités. «Attention, dans le contexte professionnel, ça peut te nuire, tes collègues vont penser que tu es moins efficace et la concurrence va s’installer», rapporte l’élue. Mais pour elle, c’est un soulagement après avoir vécu seule une fausse couche en 2019. «Et ça m’évitera de mentir au travail quand je dois annuler un rendez-vous parce que je suis trop fatiguée… Car ça m’est déjà arrivé de m’endormir dans l’hémicycle et c’était humiliant», raconte Paula Forteza. En effet, le corps de la femme subit des modifications hormonales très fortes lors du premier trimestre de grossesse (fatigue, nausées, vomissements, problèmes cutanés, digestifs, troubles génitaux et urinaires…), gênantes au quotidien.
Symptômes dépressifs
Et les remarques «intrusives» des collègues n’arrangent rien. «Puisqu’on ne voit pas encore qu’une femme est enceinte, on pense que ses symptômes sont des caprices», interprète-t-elle. C’est ce constat qui pousse les femmes à dissimuler leur grossesse, notamment par peur d’une fausse couche. «Ma gynécologue m’avait conseillé de garder secrète ma grossesse au premier trimestre à cause du risque de fausse couche et de la difficulté à gérer le deuil pour certaines femmes. J’ai pris peur, donc c’est ce que j’ai fait», témoigne Annie, mère d’une petite fille d’un an.
Une femme sur quatre est confrontée à au moins une fausse couche au cours de sa vie. C’est pour éviter la peine de devoir avertir son entourage des complications qu’une injonction à dissimuler la grossesse les trois premiers mois existe. Mais ce silence rend la gestion de l’angoisse encore plus difficile. La grossesse «touche au domaine de l’intime, sujet qui met tout le monde mal à l’aise», analyse la députée Paula Forteza. «On intériorise le fait qu’il ne faut pas le dire parce qu’on grandit en entendant qu’il ne faut pas raconter sa vie privée à ses collègues. C’est un tabou que tout le monde entretient, même nous les femmes», illustre Sophie Espié, mère et directrice des affaires publiques dans un groupe industriel. Pour Alix Barcet, maman d’un garçon de 5 ans et qui a arrêté de travailler parce que la fatigue des trois premiers mois a mis un frein à ses ambitions d’autoentrepreneure, «la société a besoin que les femmes fassent des enfants, mais elle n’est pas prête à les accompagner comme il se doit pour qu’elles le fassent convenablement».
Entre 10 et 16 % des femmes traversent une dépression prénatale et 86 % subissent des symptômes dépressifs qui ne sont ni suivis ni traités, alerte Céline, sage-femme coordinatrice du Réseau de santé périnatal parisien (RSPP). Elle ajoute que ces dépressions peuvent mener à long terme à des dépressions post-partum qui, dans certains cas, vont jusqu’au suicide.
Durant le premier trimestre de sa grossesse, Paule était très mal dans sa peau. «Je broyais du noir parce que je me disais que ce n’était pas fait pour moi. Personne ne m’avait dit que c’était aussi violent d’avoir un enfant et que ça pouvait se transformer en cauchemar», confesse-t-elle, finalement mère de deux enfants. «Il faudrait travailler à rendre la vie des femmes en début de grossesse plus facile», estime Paula Forteza, qui propose plusieurs idées dans ce sens, allant de la prise en charge financière à 100 % dès les premiers rendez-vous, à un droit au télétravail, en passant par l’installation de salles de repos sur le lieu de travail.
LQ