Accueil | Politique-Société | « Le plus grand danger de l’Europe, ce sont les Européens eux-mêmes qui n’y croient plus »

« Le plus grand danger de l’Europe, ce sont les Européens eux-mêmes qui n’y croient plus »


Nicolas Schmit défend une convergence sociale pour l'Union européenne. (photo archives Isabella Finzi)

Le Luxembourg a signé la semaine dernière un accord avec dix autres pays européens visant à créer un «socle européen des droits sociaux», projet défendu de longue date par Nicolas Schmit.

Le projet a été initié par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. La mouvance socialiste et progressiste européenne l’a accueilli favorablement, ce qui a conduit treize ministres du Travail issus de cette tendance à se réunir à Paris afin d’y discuter d’un futur socle européen des droits sociaux. Une avancée qui s’inscrit dans un contexte particulier, à quelques semaines du 60e anniversaire des traités de Rome (25 mars 1957) qui ont marqué le début de l’aventure européenne, mais aussi alors que les europhobes montent en puissance.

«Une des raisons de ce malaise et du succès des europhobes, estime le ministre du Travail, Nicolas Schmit, c’est que l’Union européenne a ignoré le volet social depuis un moment, et surtout pendant la présidence de la Commission par José Manuel Barroso, pour qui le social n’était pas la priorité.» L’objectif de cette déclaration selon le ministre ? «Remettre les exigences sociales dans l’actualité.» Cette volonté de mettre l’accent sur le social se combine avec celle de donner un nouveau souffle à une Union européenne en crise : «Le plus grand danger de l’Europe en ce moment, malgré les Russes et le nouveau président américain pas vraiment pro-UE, ce sont les Européens eux-mêmes qui n’y croient plus. Il faut mettre en place une Europe plus sociale, ce n’est pas une idée nouvelle, mais cela a été ignoré depuis trop longtemps.»

Pour Nicolas Schmit, chef de file des ministres socialistes du Travail européens, il est important de garantir une certaine homogénéité des droits sociaux au sein de l’UE : «Il n’y a pas que le marché qui est important. Nous devons veiller à la mise en œuvre des droits sociaux. Il n’est pas imaginable qu’au sein de l’UE les niveaux sociaux soient trop différents d’un pays à l’autre. Le socle est donc une bonne réponse, mais il faut que cela soit réel et bien concret, qu’il y ait une emprise économique et que l’UE veille à sa mise en place.»

Dumping social inacceptable

Le dossier le plus épineux est celui des travailleurs détachés. Le droit actuel permet à une entreprise peu scrupuleuse d’envoyer des travailleurs qui conservent leur salaire d’origine dans des pays où les salaires sont plus élevés. Un dumping social au sein de l’UE qui est inacceptable pour Nicolas Schmit : «Il n’est pas possible que des travailleurs détachés, envoyés par de soi-disant entreprises, gagnent moins que celui qui est résident. La mobilité des travailleurs est un pilier de l’UE, mais cela ne doit pas se faire sans le volet social. C’est pourquoi je me félicite que des pays comme la Slovaquie et la République tchèque aient signé cet accord.» Dans le même temps, le ministre regrette que la Roumanie n’ait pas signé.

À l’heure où il est question d’une Europe à plusieurs vitesses, Nicolas Schmit se veut intransigeant en matière sociale : «Si cela veut dire que l’on va continuer à avoir des disparités sociales entre différents États, alors je suis contre l’Europe à différentes vitesses. On ne peut pas garantir la mobilité des Européens s’il y a des divergences au niveau des droits sociaux. Le social ne doit pas faire les frais de la mobilité.»

L’accord évoque notamment des «salaires minima décents pour lutter contre la pauvreté des travailleurs», même si les ministres n’ont pas précisé de chiffres. Le Luxembourg n’est pas concerné par l’appel de la Confédération européenne des syndicats à une revalorisation des salaires en Europe après des années d’austérité : le salaire minimum luxembourgeois est le plus élevé de l’UE. Mais Nicolas Schmit veut tirer le socle social vers le haut : «Prenons par exemple l’Allemagne. Elle a eu une politique salariale très basse, mais a récemment introduit un salaire minimum. Ces grandes différences avec ses voisins créent un déséquilibre au sein de la zone euro.»

Audrey Somnard