Vous avez l’impression de voir double? C’est normal. Depuis 1970, le nombre de jumeaux a augmenté de 176,2% au Luxembourg. Alors que la hausse de la population n’a été que de 61,8%.
Ce phénomène n’est pas propre au Luxembourg. Tous les pays développés le constatent, selon la Population and Development Review. En cause, des grossesses de plus en plus tardives et l’assistance médicale à la procréation.
Depuis 1970, la population luxembourgeoise a augmenté de 61,8 %, alors que le nombre de naissances a crû de 33,5 %. En clair, le taux de natalité a baissé au Luxembourg comme dans les autres pays développés. Mais les naissances multiples ont explosé, passant de 41 en 1970 à 116 en 2014.
Sur 1 000 naissances, celles de jumeaux sont passées de 9,5 en 1975 aux États-Unis à 16,9 en 2011, selon la Population and Development Review. La progression la plus flagrante est celle du Danemark, où les grossesses gémellaires ont progressé de 9,6 à 21,2. Le Luxembourg n’est pas loin de ces sommets, avec 7 grossesses gémellaires pour 1 000 naissances en 1975 contre 15,8 en 2011. Et même 19,5 en 2014, année record avec 116 naissances multiples, selon le Statec, l’institut de statistiques du Grand-Duché.
Une tendance lourde, qui s’explique principalement par la procréation médicalement assistée, à laquelle les couples ont de plus en plus recours.
Les grossesses naturelles donnent lieu, statistiquement, à environ 10 naissances multiples pour 1 000 naissances. Dans le cas des procréations médicalement assistées (PMA), jusqu’à une naissance sur cinq peut être multiple. Soit du 200 pour 1 000.
Des mamans de plus en plus âgées
« L’âge de la première grossesse ne cesse d’être repoussé , note Caroline Schilling, médecin spécialiste en gynécologie-obstétrique et médecine de la reproduction à la maternité Grande-Duchesse-Charlotte, au Centre hospitalier de Luxembourg (CHL). Cela a pour conséquence une baisse de la fertilité. »
Au Luxembourg, 49,9 % des femmes donnent naissance à leur premier enfant entre 30 et 39 ans. Et 3,8 % après 40 ans. Les Luxembourgeoises sont les troisièmes mamans les plus âgées d’Europe, derrière les Italiennes et les Espagnoles, selon l’institut de statistiques Eurostat. Rien d’étonnant au fait que la médecine doive parfois intervenir.
« Actuellement, il y a beaucoup plus de grossesses gémellaires spontanées que sous fécondation in vitro », tient à préciser Caroline Schilling. Souvent, la suspicion règne sur les parents de jumeaux, qui sont questionnés sur l’origine de cette rareté. Merveille de la nature ou de la médecine : les statistiques officielles ne font pas la distinction entre jumeaux naturels ou jumeaux issus de PMA. Mais il n’est pas difficile de tracer un parallèle entre les premiers bébés éprouvette, nés en 1978, et l’augmentation des naissances multiples. Au Grand-Duché, elles ont décollé à la fin des années 80.
Toutes les précautions sont pourtant prises pour éviter les grossesses multiples, toujours plus risquées. Et si aucun texte n’existe pour encadrer la procréation médicalement assistée, les sept spécialistes qui pratiquent des PMA au Luxembourg (4 au CHL et 3 à la clinique Bohler) ont préféré anticiper. « Dorénavant, nous ne transférons plus que deux embryons, contre trois par le passé, sauf exception , continue Caroline Schilling. Cela évite de passer par le délicat processus de réduction embryonnaire. »
La réduction embryonnaire, ou le choix parfois nécessaire de retirer un embryon sain pour préserver la santé de la maman ou celle des autres embryons, est un des paramètres à prendre en compte lors d’une PMA. D’où le choix des praticiens luxembourgeois de limiter le nombre d’embryons.
Baisse du nombre d’embryons transférés
Reste que devenir parent « est une chose parfois très ambiguë. On veut un enfant à tout prix mais pas toujours deux », analyse Caroline Schilling. Au point qu’elle a souvent droit à deux réactions diamétralement opposées chez les parents de futurs jumeaux. Quand la procréation est naturelle, ils sont souvent surpris, sinon inquiets. Quand elle est due à une PMA, c’est la joie. « C’est un tel calvaire pour les couples qui n’arrivent pas à avoir d’enfants qu’ils préfèrent souvent en avoir deux en une seule fois. »
Avec la baisse de la fertilité, le monde du futur sera-t-il habité par des jumeaux et des triplés? Rien n’est moins sûr. La tendance est au contraire à la baisse du nombre d’embryons transférés. En Belgique, les femmes de moins de 30 ans sont ainsi limitées à un. Et le Luxembourg a anticipé la tendance en limitant le nombre d’embryons à deux, surtout quand on sait que la moyenne d’âge des mamans qui ont recours à une FIV est de 35,6 ans pour la première tentative au Grand-Duché.
Reste le risque du tourisme médical, car les législations sont encore bien différentes d’un pays à l’autre. Des apprentis sorciers n’hésitent pas à transférer plus de trois embryons dans certaines cliniques privées en Europe.
Christophe Chohin
« Treize heures de travail par jour »
Anne est l’heureuse maman de jumeaux de sept ans nés d’une PMA au Luxembourg, après plusieurs tentatives infructueuses.
L’aventure de la naissance multiple, Anne y était préparée, lorsqu’elle s’est lancée, avec son compagnon, dans le processus d’une procréation médicalement assistée. « J’étais jeune et nous savions qu’il y avait de bonnes chances que la PMA fonctionne », confie-t-elle.
Mais comme souvent dans ces cas, les premières tentatives ne furent pas les bonnes, avant que l’annonce de la bonne nouvelle ne tombe. Elle ne portait pas un, mais deux embryons. Des jumeaux statistiquement prévisibles, mais un chamboulement, forcément. « Ils sont nés au bout de 37 semaines, soit le terme dans un tel cas. » Un garçon, une fille, et la famille venait de voir sa taille doubler. « Au début, ça a été difficile. On dit que des jumeaux, c’est treize heures de travail par jour. Eh bien, c’est vrai! Et quand je dis treize heures, c’est juste le temps qu’il nous fallait pour nous occuper d’eux. Un des deux nourrissons prenait des biberons pendant une heure. » Une époque déjà oubliée par deux parents heureux qui ont un seul regret.
Une législation à adapter
« La législation luxembourgeoise n’est pas adaptée aux parents de jumeaux. J’ai eu droit à douze semaines de congés maternité, comme si j’avais eu un seul bébé. La France et la Belgique prévoient ce cas de figure. »
Sept ans après l’aventure, Anne n’en garde pourtant que de bons souvenirs. « On est tellement dans l’envie d’enfants que quand ça arrive, on ne peut que se réjouir qu’ils soient deux. »
Mais ce n’est pas la fin de l’histoire. Après avoir vu grandir ces jumeaux, qui « font tout ensemble, qui ne sont jamais seuls », Anne a donné naissance à une petite fille, sans avoir besoin d’aide. « Le corps a compris comment cela fonctionnait », se réjouit-elle.
69
Depuis 1970, la naissance de triplés a eu lieu à 69 reprises au Grand-Duché. Pour la seule année 2004, cet évènement rare a eu lieu à six reprises, selon le Statec. En 1994 et en 1995, des quadruplés sont nés à deux reprises. En 1994, il s’agissait de quatre filles et en 1995 de deux filles et deux garçons. Depuis 1950, ce sont les deux seules observations de naissances de quadruplés au Luxembourg.