Il fallait s’attendre à l’artillerie lourde hier pour le vote de la réforme du divorce et de l’autorité parentale. L’opposition parle d’un «compromis pourri» qui ne tient pas la route. Ambiance.
Les chrétiens-sociaux sont tellement opposés à certaines dispositions de la nouvelle loi qui réforme le divorce, votée hier à la Chambre, qu’ils promettent de les modifier dès leur arrivée au pouvoir en octobre prochain si, bien sûr, les électeurs en décident ainsi. C’est ce qu’a déclaré hier Laurent Mosar, particulièrement remonté contre le texte que le gouvernement présente comme une «modernisation du droit de la famille» qui reflète la réalité de la société luxembourgeoise.
L’opposition CSV a une autre vision de la réalité. Elle salue, certes, la création des juges aux affaires familiales (JAF) compétents pour toutes les procédures relatives au mariage et au divorce et pour tous les litiges relatifs aux modalités d’exécution de l’autorité parentale, que les parents soient mariés ou non, mais fustige le fait qu’ils puissent siéger en juge unique. «En particulier en ce qui concerne la liquidation du régime matrimonial, il faudrait que trois juges puissent se pencher sur la question, six yeux valent mieux que deux», estime Gilles Roth.
Le député-maire de Mamer, qui a dégainé en premier pour le compte des chrétiens-sociaux, hausse le ton quand il en arrive à l’abolition du divorce pour faute. L’ancien Premier ministre Jean-Claude Juncker avait pourtant promis d’en finir lui aussi, et ce dès 2001, avec cette «forme de divorce particulièrement contentieuse, source de combats judiciaires longs et destructeurs», comme il est souligné dans le projet de loi.
Partager la corbeille
Mais Gilles Roth s’enflamme et insiste sur l’attachement de son parti à cette notion de «faute grave», comme il le précise, pour des raisons purement matérielles. Certes, le gouvernement a retenu la faute grave quand elle se traduit par des violences conjugales. Gilles Roth préfèrerait qu’il soit formulé dans le texte «divorce pour faute grave rendant impossible la poursuite de la vie conjugale».
Un bien immobilier apporté par un des époux «ou un terrain offert par la belle-famille», cite en exemple le député, devrait désormais revenir pour moitié au partenaire qui a rendu la vie de couple insupportable, alors qu’auparavant, quand la faute était reconnue, ce bien était entièrement conservé par celui ou celle qui l’avait mis dans la corbeille de mariage dans le cadre d’un contrat de communauté universelle et par convention notariale spéciale. C’en est terminé.
L’avocat Gaston Vogel, dans son style, avait décrit ce changement capital en ces termes : «L’humilié doit encaisser l’insulte suprême, à savoir partager ce qui était son bien propre avec un conjoint qui le déteste et qui, le cas échéant, s’apprête à s’incruster avec son amant ou sa maîtresse dans le bien litigieux. Du cynisme pur.» Parmi les députés-avocats de la majorité, cette critique n’est pas partagée.
En revanche, Laurent Mosar, avocat de profession lui aussi, la fait sienne. Comme le juriste Gilles Roth avant lui. Alex Bodry (LSAP), pour sa part, se défend en rappelant que le divorce pour faute a été aboli dans de nombreux pays, même si «les socialistes français l’ont conservé», comme le lui rappelle le député-maire de Mamer.
La rapporteuse du projet de loi et fraîche présidente de la commission juridique Sam Tanson (déi gréng), unanimement remerciée pour la qualité de son travail sur ce dossier, ne voit pas davantage de problème dans cette modification. En revanche, elle demande amusée à Laurent Mosar avec quel partenaire de coalition il compte revenir sur cette réforme. Un rare moment de détente dans ce débat houleux.
Les enfants manipulés
Une autre pierre d’achoppement dans cette réforme concerne le droit des enfants d’être partie dans la procédure. «Du jamais vu dans aucun autre pays du monde, ou alors dites-moi où car je n’en ai trouvé aucun», poursuit Laurent Mosar en s’adressant au ministre Félix Braz. Ainsi, selon le CSV, les enfants pourront se retourner contre leurs parents quand la garde ne leur convient pas.
Le gouvernement, dans son projet, précise qu’il s’agira de mineurs «capables de discernement». Et en effet, ils pourront s’adresser au tribunal «pour toute demande relative à une modification de l’exercice de l’autorité parentale». C’est une grande première qui n’avait pas été bien accueillie par l’Ordre des avocats.
«Faire de l’enfant une partie au procès, lui donner le pouvoir, ce n’est pas pacifier la procédure», estime pour sa part Roy Reding, de l’ADR. De son côté, Marc Baum (déi Lénk) se dit satisfait de ce «renforcement des droits de l’enfant».
Pour Sam Tanson, il s’agit d’une formalité, «car aujourd’hui déjà un adolescent peut s’exprimer contre une décision». Quant au risque de voir les parents manipuler leurs enfants, Sam Tanson explique que «les enfants sont déjà instrumentalisés!». Elle a déposé une motion qui demande une évaluation de la réforme dans trois ans. Le CSV, qui a voté contre, n’attendra pas trois ans pour revoir le texte, insiste Laurent Mosar.
Geneviève Montaigu