Un projet de loi de légalisation du cannabis doit être déposé avant la fin de cette législation. Le CSV a de sérieux doutes sur les résultats d’une telle politique.
Difficile de franchir le Rubicon ? Pas tant que cela. La légalisation du cannabis est bel et bien en marche et la pandémie n’a pas entamé le moral de la ministre de la Santé venue défendre une promesse de la coalition contenue dans son programme. Jeudi, à la Chambre des députés, le sujet a occupé les députés pendant trois bonnes heures en raison d’une interpellation sollicitée par le CSV en janvier 2020.
À cette époque, les ministres s’appelaient encore Étienne Schneider à la Santé et Félix Braz à la Justice. «Je suis curieux de connaître la sensibilité des nouveaux titulaires sur cette question», lance Claude Wiseler. Elle n’est pas différente des prédécesseurs, assurément. Ces derniers avaient encore eu le temps de se rendre au Canada pour y découvrir un modèle de légalisation qui pourrait être calqué.
Justement, le CSV a de grands doutes concernant les résultats d’une telle politique et propose de discuter du dossier avant d’être confronté à un projet de loi qu’il ne soutiendra pas, visiblement, s’il devait reproduire le modèle canadien. La légalisation présente deux grands arguments. Elle permet de contrôler le marché, donc vise l’affaiblissement du marché noir et de la criminalité qui y est liée, et elle permet de contrôler la qualité des produits et la teneur en THC qui ne cesse d’augmenter ces dernières années.
«Mais ces deux arguments sont aussi utilisés pour dire que les objectifs ne sont pas atteints, car le marché noir n’est pas mort ! Au contraire, 80 % des ventes ont été enregistrées via le marché noir et le confinement a entraîné une augmentation de la consommation de cannabis de 20 % au Canada», dénonce Claude Wiseler en citant une étude sur le sujet. Mais les études suggèrent aussi d’être prudent, car «après moins de deux ans de mise en œuvre, la littérature scientifique dans tous les domaines touchant à la légalisation est encore trop rare et les statistiques disponibles sur l’impact de la légalisation sont encore à considérer avec prudence», lit-on par exemple dans une étude de l’université du Québec à Montréal pour le compte de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies.
Illogique pour le CSV
Une étude qui dénonce aussi des politiques «pour les grands acteurs de l’industrie». «Dans les deux dernières années, les trois plus grands acteurs (Aphria, Canopy Growth et Aurora) ont acquis des dizaines d’autres compagnies de cannabis, et s’accaparent maintenant environ 60 % des revenus bruts du marché. «Un oligopole de la vente d’un produit comme celui-ci n’est une bonne nouvelle pour aucune des parties prenantes de la légalisation, que ce soient les autres entreprises, les agences de régulation, les experts en santé publique ou les consommateurs», lit-on par ailleurs.
Le CSV ne voit pas de logique dans cette légalisation qui prévoit que le produit de la taxe perçue sur le cannabis serve à la prévention et au traitement des addictions. «Donc, on va leur dire que c’est légal, mais qu’il ne faut surtout pas y toucher», s’étonne Claude Wiseler.
La logique ? «On veut justement éloigner les gens et particulièrement les jeunes du marché noir, donc on sensibilise aux produits dangereux que peut proposer le marché noir. C’est l’objectif de la prévention», lui répond la ministre Paulette Lenert. D’après ses informations, la consommation au Canada recule chez le jeune public, grâce justement à la prévention. «Le marché noir recule aussi maintenant après avoir connu un pic au passage de la loi», annonce-t-elle.
Bad trip et plante verte
Mais le CSV n’en démord pas : on ne protège pas les jeunes en légalisant le cannabis pour les adultes, puisque la vente ne sera pas autorisée aux mineurs. Quant à la vente aux non-résidents, la question se pose aussi. Sept groupes de travail se partagent actuellement les différents aspects de la légalisation, dont un qui planche exclusivement sur la relation avec les pays voisins et le respect des conventions internationales en cas de légalisation.
Mais étant donné que les conventions visent un objectif de santé publique, le gouvernement se sent tout à fait dans les clous, car c’est aussi un des objectifs poursuivis via le contrôle de la qualité et la prévention.
Des arguments développés quelques instants auparavant par Carole Hartmann (DP). Les députés de la majorité ont tous défendu la légalisation, comme déi Lénk et le Parti pirate. Pour ce dernier, Sven Clement s’est moqué d’une loi qui interdirait de cultiver son petit plant pour sa consommation personnelle, alors que c’est précisément ce qui réglerait en partie le problème du marché noir et de la qualité du produit.
Les conséquences d’une consommation de cannabis chez les plus jeunes peuvent être graves, les députés ont tous fait référence aux dégâts sur le cerveau entraînant des problèmes de concentration, des psychoses aussi parfois. Des «bad trips», comme le souligne Carole Hartmann, qui peuvent aussi arriver avec une consommation d’alcool.
Comme le souligne Nathalie Oberweis (déi Lénk), tout dépend de la façon de consommer. L’alcool peut faire des ravages, comme le cannabis qu’il faut savoir apprécier avec modération, comme un verre de bon vin.
Geneviève Montaigu