Il est le caillou dans la chaussure du ministre des finances luxembourgeois, Pierre Gramegna. Depuis le mois de février et la mise en place de la commission spéciale TAXE au sein du parlement européen, l’Allemand Sven Giegold mène le combat de la justice fiscale.
Hier à Luxembourg, demain à La Haye et à Londres, l’eurodéputé et rapporteur de la commission TAXE attaque à domicile les États qui ne jouent pas le jeu. Sa démonstration, structurée et argumentée, ne laisse planer aucun doute: il ne lâchera rien dans sa croisade contre les paradis fiscaux. «J’ai commencé à travailler sur ce sujet à 25 ans, j’en ai aujourd’hui 45 et les choses changent, lentement», confie-t-il. Membre fondateur de l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac) Allemagne, l’eurodéputé est du genre empêcheur de tourner en rond.
«Le travail de la commission TAXE est loin d’être terminé, nous attendons toujours que les États nous transmettent les documents demandés, lance-t-il, frondeur. Parmi eux, le gouvernement luxembourgeois doit cesser son obstruction.» En cause, les demandes répétées au Grand-Duché qui se plaît à balader la commission TAXE. «Le 18 mai, Pierre Gramegna déclarait qu’il n’avait rien à cacher. Depuis, nous attendons toujours», continue Sven Giegold.
Une obstruction manifeste
Or, l’article 4.3 du traité de l’Union européenne est très clair: «En vertu du principe de coopération loyale, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités. (…) Les États membres facilitent l’accomplissement par l’Union de sa mission et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union.».
Le Luxembourg ne jouerait-il pas le jeu de l’Union? Sven Giegold le pense et demande que ses droits de citoyen européen soient respectées. «L’article 42 de la charte des droits fondamentaux de l’Union stipule que « tout citoyen de l’Union ou toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre a un droit d’accès aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission ». Or, treize États ne nous ont pas transmis leurs rescrits fiscaux», prévient-il. Le Luxembourg serait parmi les plus réticents à collaborer. «La stratégie d’obstruction prend différentes formes: le pays ne répond pas à nos questions, ne nous accorde pas l’accès aux documents et va même jusqu’à inculper le donneur d’alerte Antoine Deltour. C’est symptomatique.»
Désastreux pour l’Union
Loin d’être dupe, le croisé de la justice fiscale sait qu’une telle mauvaise volonté a des conséquences désastreuses sur l’idée même de l’Union européenne. «Cela fait des dégâts énormes en terme d’image. Les citoyens constatent que l’Europe est incapable de s’entendre sur la question des migrants, sur celle de la fiscalité», regrette-t-il. «Et quand Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, répond à nos convocations, il ridiculise le Parlement européen. Comment peut-il affirmer qu’il n’était pas au courant de la pratique des rescrits fiscaux alors qu’il était en même temps ministre des finances et Premier ministre à l’époque de leur mise en place?»
Habile et diplomate, Sven Giegold sait manier la litote. «Je ne peux pas affirmer que Jean-Claude Juncker ment. Je peux juste affirmer qu’il ne dit pas la vérité». Un art de la nuance qui en dit long sur les doutes des membres de la commission TAXE. Une instance dont le mandat s’achève fin novembre mais qui va demander une prolongation. Pour entendre ces États et multinationales qui ont refusé de répondre aux premières convocations. Et même pour demander à Jean-Claude Juncker de venir une deuxième fois s’expliquer. «Nos questions seront plus précise, nous attendons des réponses plus précises de sa part». Pierre Gramegna devrait être traité avec les mêmes égards. Autant dire que le caillou dans sa chaussure n’a pas fini de l’importuner. Et que l’histoire est loin d’être terminée.
Christophe Chohin